Comment éviter qu’un fiasco tel que celui de la plateforme FTX ne se reproduise ? Au crépuscule de l’an 2022, le géant américain des cryptos s’effondrait en laissant des milliers d’investisseurs particuliers sur le carreau. On découvrait alors que l’ex-deuxième plateforme d’échange d’actifs numériques, pourtant réputée sûre, faisait l’objet d’une gestion chaotique.
C’est dans ce contexte troublé pour l’écosystème que l’Union européenne (UE) a finalisé l’élaboration de normes communes à l’ensemble des pays membres. Adopté mi-2023, le règlement européen sur les marchés de cryptoactifs – ou Markets in Crypto Assets regulation (MiCA) – s’appliquera progressivement à l’ensemble de l’industrie à partir du 30 décembre. Il prévoit de solides exigences en matière de lutte contre la fraude, de fonds propres ou de protection des investisseurs…

Un cadre rigoureux qui tranche avec la volonté nouvelle, outre-Atlantique, d’assouplir les contraintes du secteur. Le président élu américain Donald Trump, qui s’est mué en chantre des cryptos durant sa campagne, a en effet multiplié les promesses à leur égard. Il veut en finir avec la répression menée ces dernières années par la Securites and Exchange Commission (SEC) – le gendarme boursier américain – sous l’impulsion de son patron démissionnaire, Gary Gensler. Ce dernier sera bientôt remplacé par le pro-crypto Paul Atkins, ex-commissaire de la SEC et pourfendeur du « capitalisme woke ». Début décembre, la perspective d’un encadrement favorable au développement du marché a propulsé le bitcoin, roi des devises numériques, au-delà des 100.000 dollars.

L’industrie inquiète
Le fossé réglementaire qui risque de se creuser entre les Etats-Unis et l’UE soulève un certain nombre de questions et d’inquiétudes, au sein de l’industrie comme chez les superviseurs européens. Interrogé début décembre sur le plateau de BFM Business, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, jugeait « très souhaitable » que les Etats-Unis adoptent une régulation similaire à celle du Vieux Continent, « dans l’intérêt des investisseurs cryptos ». Les efforts des régulateurs pour protéger les consommateurs à travers MiCA pourraient, de fait, être affaiblis par un cadre américain trop permissif. Les entreprises cryptos seront naturellement tentées de s’y implanter pour continuer d’opérer sous des normes plus accommodantes.

En vertu du principe de sollicitation inversée, ces plateformes non conformes à MiCA pourront même continuer, dans certains cas, de contracter avec des résidents de l’UE. Cette exemption leur permet, en effet, de fournir leurs services à un client européen si ce dernier est à l’initiative exclusive de l’entrée en relation.
Autrement dit, les sociétés domiciliées hors UE seront tenues de répondre aux exigences de MiCA seulement si elles ont sollicité ces investisseurs, via des publicités, par exemple. Dans ses dernières lignes directrices publiées le 17 décembre, le gendarme européen des marchés, l’Esma, précise qu’il adoptera une approche très restrictive de ce principe pour limiter les abus. Le superviseur entend étroitement surveiller les actions marketing ciblant le public européen.

Perte de souveraineté
Du côté de l’industrie, on redoute qu’un tel écart réglementaire ne freine l’innovation et ne menace, in fine, la souveraineté numérique du bloc. Certes, un cadre clair et harmonisé était souhaité par le secteur. Il introduit une certaine stabilité susceptible de favoriser les investissements de long terme, qui fait aujourd’hui défaut aux Etats-Unis : la réglementation y piétine depuis plusieurs années, et nul ne sait si Trump passera de la parole aux actes.
Mais pour les start-up en particulier, la marche de MiCA est haute. Beaucoup sont loin d’avoir achevé le travail de mise en conformité. Les exigences de la licence européenne s’inspirent fortement de celles qui conditionnent aujourd’hui l’obtention de l’agrément français de Prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Or, à ce jour, seuls quatre acteurs l’ont reçu en France. Le pays a, comme la plupart des Etats membres, opté pour une période transitoire – en l’occurrence, jusqu’en juillet 2026 – à l’issue de laquelle tous devront se conformer à MiCA.

« Le coût de la mise en conformité avec MiCA s’annonce exorbitant pour les PSAN français. Les estimations évoquent un million d’euros par entreprise, un montant considérable qui risque de contraindre de nombreux acteurs à sortir du marché », s’alarmaient récemment Cyril Armange, directeur général délégué de Finance Innovation, et Benjamin Messika, directeur juridique de Vancelian, dans une tribune publiée par « Les Echos ». Cette situation pourrait entraîner une consolidation du secteur, estiment-ils, avec le risque de voir « les grands groupes internationaux racheter les fintechs françaises en difficulté ».

Rachel Cotte

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