L’anecdote est racontée devant un parterre de professionnels des télécoms, dont le métier est de déployer la fibre optique. « Un restaurant sur la côte atlantique ouvre deux mois dans l’année et a souhaité se raccorder à la fibre. Le devis était de 120.000 euros. Pour lui, cela n’a aucun sens de choisir la fibre alors qu’il peut aller chez Darty et acheter une antenne Starlink à 350 euros. »
Alors que l’extinction du réseau cuivre, qui sert à véhiculer le téléphone et l’ADSL, va se concrétiser le 31 janvier 2025 avec un premier lot de 162 communes concernées, la question du satellite resurgit de façon aiguë. Un Français sur dix n’est toujours pas éligible à la fibre optique, selon l’Arcep, le régulateur des télécoms. Et ils ne le seront peut-être jamais, car leur raccordement est soit trop cher ou trop complexe. Autant de clients qui intéresseront Starlink, l’opérateur satellite d’Elon Musk.
Dans les zones mal desservies par la fibre
La France a fait le choix du 100 % fibre : opérateurs et collectivités (qui déploient les réseaux en régions) ne jurent que par les fils de lumière. Si bien qu’ils osent à peine évoquer Starlink, devenu « l’éléphant dans la pièce ».
L’opérateur est pourtant de plus en plus présent dans l’Hexagone. D’un point de vue commercial d’abord, il se positionne en concurrence frontale avec les offres fixes du marché, avec un abonnement à 40 euros par mois. Au niveau des usages ensuite : si l’Américain ne dévoile aucun chiffre – et ne répond pas aux sollicitations des journalistes -, le trafic aurait néanmoins triplé en France en 2024, selon Cloudflare.
D’après l’Arcep, qui vient de mener une consultation publique auprès de 4.700 personnes, Starlink est plébiscité pour développer la connectivité dans les zones mal desservies par la fibre et le mobile, tant par les particuliers que les entreprises. Les utilisateurs existants du service américain se disent d’ailleurs globalement satisfaits.
Pour les particuliers, le kit satellitaire est seulement distribué par FNAC-Darty, et depuis plus récemment par Boulanger, et sur Internet. Sur le terrain, il suffit de tendre l’oreille. « Starlink perce fort dans les campagnes qui ne sont pas desservies par la fibre, mais aussi dans les quartiers résidentiels où il y a des problèmes », raconte Gaspard Pierre, installateur Starlink. Implanté à Arles et Carpentras, il voit son activité grimper depuis 2021, avec 15 installations par mois.
Le recours à un artisan est certes coûteux, de 700 à 1.000 euros pour la main-d’oeuvre, sans l’antenne ni le bras officiel. Mais selon le professionnel, « il y a de plus en plus d’installateurs spécialisés dans la fibre qui proposent Starlink ».
Des clients lassés d’attendre la fibre
Si le satellite est logiquement envisagé par les propriétaires isolés (fermes, chalets, commerces saisonniers, maisons secondaires…), la solution technologique touche aussi « ceux qui sont lassés d’attendre la fibre, et même les logements neufs, où il faut désormais payer 650 euros rien que pour localiser le point d’accès au réseau, contre 15 euros avant pour le cuivre », souffle Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca, l’association du numérique en région.
« Bravo Orange ! » ironise sur le forum Lafibre.info un abonné qui fait face à ce problème et s’est, depuis, abonné à Starlink pour moins cher. Ce n’est pas tout. Alors que la France est réputée avoir déployé sa fibre optique vite – mais avec parfois des problèmes de qualité -, l’Avicca observe que, de plus en plus d’abonnés, déçus par leur connexion fibre, basculent chez Starlink.
« Le satellite peut servir de solution transitoire pendant les déploiements, mais il n’y a rien de mieux que la fibre », plaide Laurent Halimi, le nouveau président de la Fédération française des télécoms. Or, l’exemple de Mayotte a montré que la résilience des réseaux terrestre avait ses limites. L’île, dont les réseaux télécoms sont presque totalement tombés, doit s’en remettre à des kits de secours envoyés par les opérateurs… dont aucun n’avoue qu’ils contiennent du Starlink !
Les entreprises intéressées
Chez les opérateurs, seul Bouygues Telecom Entreprises a choisi de « pactiser » avec la firme d’Elon Musk, en nouant un partenariat de distribution en juillet. Cette offre doit répondre aux besoins des entreprises qui seront bientôt coupées du cuivre, et n’ont pas de possibilité de se connecter en 4G ou 5G. Et constitue un mode de connexion en plus (« back-up »), par sécurité.
« Starlink apporte une réponse aux entreprises qui n’ont pas encore d’accès à la fibre », relève Sylvain Plagne, directeur marketing chez Bouygues Telecom Entreprises, qui compte accentuer la mise en avant de cette offre à l’avenir. L’intérêt des entreprises serait manifeste, entre inquiétude liée à la fin du cuivre et hésitation à passer à la fibre.
La France reste très bien équipée en télécoms. « La guerre porte sur les 10 % qui ne sont pas encore raccordés à la fibre », pointe Sylvain Chevallier, analyste chez BearingPoint. « Mine de rien, cela fait 3 millions de foyers, ce qui est loin d’être négligeable », complète l’expert – c’est à peine moins que le parc fixe de Bouygues Telecom. D’ailleurs, Starlink est en train d’être rejoint par d’autres…
Orange et Amazon sur les rangs
Orange, qui reste très discret sur ce sujet, a lancé son offre Nordnet d’Internet par satellite en décembre, avec des débits (200 mb/s) et un prix (50 euros par mois) comparables à Starlink, mais une latence supérieure. Contrairement à l’Américain qui possède 6.000 satellites de basse orbite à 550 km de la Terre, Nordnet ne compte que sur un lointain satellite géostationnaire situé à 36.000 km. La différence est la latence : 33 millisecondes pour Starlink et 700 millisecondes pour le second.
Les choses pourraient s’agiter en 2025. Pas avec la constellation européenne Iris2 , attendue seulement en 2030. Mais avec Amazon qui prévoit de lancer commercialement son offre Kuiper l’année prochaine. Après avoir obtenu un feu vert de l’Arcep en juillet pour des tests, Amazon a accéléré mardi 17 décembre avec la demande d’« établir et exploiter un réseau ouvert au public ».
Et il se dit que les prix de Kuiper seront inférieurs à ceux de Starlink… Pour le secteur français des télécoms, qui peine à rentabiliser ses 14 milliards d’euros investis dans les réseaux fixes depuis dix ans, il ne manquerait plus que la guerre des prix du mobile s’étende désormais au fixe.
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