Sur le plateau de Saclay, à quelques kilomètres de la capitale, se dessine un bastion de l’excellence française en intelligence artificielle. Là-bas, le master « MVA » (Mathématiques, Vision, Apprentissage) de l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay forge des esprits que les recruteurs se disputent. Et ce, jusque dans la Silicon Valley.

« La France est en avance sur le sujet, avec une scène de l’IA dont elle n’a pas à rougir », remarque Anshul Bhalla, DRH de Stellia.ai, une start-up spécialisée dans l’IA et l’éducation, qui compte une petite trentaine de salariés.

Les grandes entreprises puisent notamment dans le vivier des grandes écoles françaises mais pour une petite entreprise, qui n’a pas les moyens d’un géant de la tech, il faut trouver d’autres arguments pour dérouler le tapis rouge. La société fonctionne en total télétravail, lui permettant de recruter en dehors du bassin uniquement parisien. Elle vend un esprit « familial » et « autonome » à ses collaborateurs, ainsi qu’une « grande flexibilité ». Un de ses data scientists va d’ailleurs bientôt rentrer d’un mois de télétravail en Afrique du Sud pour enchaîner avec l’Argentine.

« La difficulté a changé de camp »
« Avant la démocratisation de ChatGPT, les profils dans l’intelligence artificielle étaient encore assez disponibles et les salaires alignés d’une entreprise à l’autre. Désormais, le secteur prend une autre ampleur, la difficulté a changé de camp et les salaires ont explosé », estime-t-il.
Dans les start-up, le salaire médian d’un ingénieur français en « machine learning » s’élève à 73.000 euros par an, selon une étude de Figures pour « Les Echos » parue fin 2023. Les chercheurs dans cette discipline gagnent autour de 67.000 euros, un data scientist 60.000 euros et un ingénieur computer vision, 62.000 euros. Mais les disparités peuvent être élevées si l’entreprise a levé ou non des fonds.
Ils sont data scientists, ingénieurs en compteur vision et algorithmique, data managers… Les métiers liés à l’intelligence artificielle se multiplient et s’immiscent dans toutes les entreprises. « Elles veulent de plus en plus des profils hybrides, avec une expérience sectorielle, comme la finance, et des compétences techniques », remarque Aurélie Vattier Delaunay, recruteuse chez OkayDoc, un cabinet spécialisé dans le placement de chercheurs dans les entreprises. L’écrasante majorité des demandes concernent l’intelligence artificielle. « Certaines entreprises qui veulent vraiment un candidat sont prêtes à attendre six mois qu’il soutienne sa thèse », poursuit-elle.

Des « stars »
Mais le tapis rouge a aussi ses limites. « Nous allons regarder les desiderata de chacun, mais nous n’allons pas jusqu’à l’extrême. Une personne trop demandeuse et peu renseignée sur l’entreprise peut poser problème », souligne Maxime Paul, chef data scientist Europe de Shift Technology, la licorne française dont l’outil d’intelligence artificielle aide les assureurs. Près de la moitié des effectifs sont liés à l’IA.
L’entreprise fait le pari de la « diversité » en recrutant à travers une dizaine de pays, dans des pools universitaires et des écoles d’ingénieurs. « Nous sommes ouverts sur le niveau de séniorité, il est très compliqué de trouver des profils avec plus dix ans d’expérience. Moi-même, je suis l’un des plus âgés de mon équipe », poursuit le trentenaire.
Chez les Gafam, la lutte est aussi de taille, les Microsoft, Meta et Google cherchant à attirer les mêmes talents. « Les ‘stars’ de l’IA sont très difficiles à capter, même pour Google. Ces candidats savent qu’ils ont de la valeur et peuvent imposer leurs conditions de venue », souligne Maureen Rousseau, ancienne DRH de Google France.
Et de se souvenir du cas d’une « star » du milieu, installée à Grenoble. Pour la recruter, le géant de la tech a alors ouvert une sorte de bureau dans le chef-lieu de l’Isère. Le géant de Mountain View mise aussi sur des mobilités internes, à l’instar de Joëlle Barral , revenue à Paris en 2022, avant de prendre la tête de la recherche en intelligence artificielle de Google DeepMind, la branche IA du groupe.

Gérer l’intégration
Au-delà du recrutement, ces profils ont souvent leurs spécificités. « Ces équipes font parfois la fierté des autres collaborateurs, mais restent assez secrètes, leur étage n’est pas accessible à tous les employés », poursuit Maureen Rousseau. Certains profils peuvent se montrer aussi plus taiseux ou introvertis.

« Plus les personnes sont techniquement douées dans les algorithmes, plus elles ont tendance à être fermées socialement. Il y a tout un défi côté DRH à vérifier cet aspect et à l’accompagner pour fonctionner avec le reste des équipes », remarque Anshul Bhalla, de Stellia.ai, qui consacre également une partie de son temps à retenir ses salariés, souvent sollicités par d’autres entreprises, notamment avant les vacances d’été et la nouvelle année.

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr