Explorer le futur, c’est aussi devoir analyser, mi-circonspecte, mi-amusée, l’émergence du web 3.0, du métavers et la ruée vers cette nouvelle terre promise du capitalisme à laquelle participent toutes les grandes marques. C’est donc aussi, au cours de sa veille quotidienne, avoir régulièrement l’occasion de tomber sur ce genre d’anecdotes, a priori surréalistes : « McDonald’s prépare l’ouverture d’un restaurant virtuel dans le métavers ». Mieux : du 9 au 18 avril dernier, McDonald’s a organisé un concours sur Instagram pour recevoir gratuitement des Big Mac, McNuggets et autre Sundae… en NFT ! En consommatrice parfois compulsive de Big Mac, ma première réaction a été de me dire : existe-t-il quelque chose de plus terriblement triste qu’un méta-Big Mac ? Qu’un burger privé de sa densité matérielle, de son odeur addictive, du plaisir de la première bouchée ? Bref, mon incompréhension devant la possibilité de collectionner des nuggets dématérialisés était totale.
Hasard ou coïncidence, à la même période, entre deux sessions de travail essentiellement consacrées à la guerre en Ukraine, aux alarmes totalement anxiogènes du GIEC ou à l’élection présidentielle, je me suis surprise à céder au délit de fuite que je dénonce en permanence – mais je ne suis pas avare en contradictions – en me lovant dans l’univers totalement régressif des comptes dédiés aux souvenirs de notre enfance qui fleurissent aujourd’hui sur Instagram pour restituer l’ambiance des années 1990 avec, en guise de brillante phrase d’accroche : « Qui a connu ? » Qui a connu la colle Cléopâtre ? Qui a connu la boîte à bonbons Quality Street ? Qui a connu le tube de Smarties ? Qui a connu les yaourt Yoco ?
Tout en likant compulsivement, comme pour signifier que « Oui, j’en étais » – actuellement, tout ce qui peut donner le sentiment d’appartenance à un collectif est bon à prendre – je ne pouvais m’empêcher de constater que toutes ces madeleines de Proust étaient rattachées à des marques. En somme, que tout mon imaginaire enfantin se cristallisait autour de grands produits de consommation, que les marqueurs visuels de mes premières années étaient rattachés à… des logos. Je me suis également souvenue que, comme de nombreux enfants ayant grandi dans les années 1990, je collectionnais compulsivement les Pin’s. Je devais en posséder une centaine, soigneusement stockés dans une petite boîte à trésors dédiée. Et parmi les favoris de cette collection dont je m’enorgueillissais figuraient, en tête, les Pin’s du logo McDonald’s.
D’où ma question : et si le méta-Big Mac n’était que la suite logique du Pin’s de mon enfance ? Une continuation de la reconfiguration de notre imaginaire et de notre identité par le design marketing amorcée bien des années avant ma naissance ? Après tout, pourquoi ne pas collectionner des nuggets en NFT si nous avons été acculturés, enfants, à arborer fièrement sur nos petites vestes en jeans le logo de la marque qui reste, encore aujourd’hui en France, la troisième marque préférée des Français ?
Certes, les goodies de notre enfance avaient le grand avantage d’être palpables. Mais le saut anthropologique qu’a représenté le déploiement du numérique dans nos vies est immense. On pourrait penser que notre rapport au réel, dans sa matérialité la plus basique, est encore trop puissant pour que le renoncement à cette tangibilité de l’objet, dans notre rapport à la consommation, soit total. Mais le désir de fuite face aux frictions du réel est, lui aussi, gigantesque. Et le métavers nous promet une fuite dans un tentaculaire bain de fun où nous pourrions bâtir notre petit univers sur-mesure, ultra-paramétré et sécurisé, rempli de références pop, régressives et rassurantes. Un univers au sein duquel notre avatar partirait à la chasse aux goodies, s’affublant d’une casquette Balenciaga et de baskets Adidas tout en allant joyeusement chercher son Big Mac dématérialisé…
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