Ils ont remis le feu aux poudres. Deux hommes qui se connaissent depuis vingt ans, Jean-Charles Naouri et Moez-Alexandre Zouari, ont décidé de remettre sur le devant de la scène l’explosif sujet de la recomposition de la grande distribution française. Cette fois, le coup ne concerne pas Carrefour, ni Auchan, ni un acteur étranger – Intermarché, Leclerc et Système U étant de facto mis hors jeu par leurs colonnes vertébrales constituées de magasins indépendants.
Ce n’est pas encore l’heure du Grand Soir. Le patron de Casino et son principal franchisé, qui détient par ailleurs Picard, discutent d’une opération impliquant une fusion entre la branche hexagonale de Casino et Teract , la société cotée contrôlée par la grande coopérative céréalière InVivo, épaulée dans l’affaire par le couple Zouari, et dans une moindre mesure par Xavier Niel et Matthieu Pigasse.

Stade préliminaire
La discussion amicale, qui en est à un stade préliminaire et qui a été confirmée par un communiqué mercredi soir, porte sur un mariage entre des enseignes qui ne se piétinent pas : d’un côté Franprix, Casino, Naturalia et Monoprix, des marques alimentaires pour l’essentiel rentables et urbaines, et de l’autre côté Jardiland, Gamm Vert, Grand Marché-Frais d’ici et les boulangeries Louise , des griffes implantées dans les zones souvent périphériques des villes moyennes.
La silhouette du montage financier reste floue – tout comme la gouvernance. Casino et Teract évoquent une fusion qui donnerait la majorité à Casino de l’activité distribution, et la création à côté d’une entité contrôlée cette fois par les actionnaires de Teract, « chargée notamment de l’approvisionnement en produits agricoles, locaux et circuit court ».
Vu les contours de l’attelage potentiel, assez complémentaires sur le plan de la géographie, des formats et des activités, les questions de concurrence semblent a priori abordables. « Ce dossier n’est pas sensible socialement, c’est malin », commente un consultant du secteur.
Jeudi matin, l’action Casino progressait de 3 %, celle de Rallye – le holding qui contrôle à 51 % Casino – de 4 %, et le titre Teract de presque 6 %. Sur les marchés, Casino pèse 1,2 milliard d’euros, Teract désormais 500 millions.

Secteur sous tension
Alors que l’agressivité commerciale des allemands Lidl et Aldi ne laissent aucun répit, le secteur fait aujourd’hui face à la flambée des prix qui grève le budget des clients. « La forte inflation accélère la nécessité d’une consolidation dans la grande distribution et 2023 devrait probablement voir émerger des projets de rapprochement. La France est atypique avec une concurrence exacerbée entre de nombreux acteurs », souligne un bon connaisseur du secteur, Nicolas Winkler, associé EY Strategy & Transactions.
Entre les promotions, la vente en ligne et la mise au goût du jour des rayons, les efforts financiers à fournir sont imposants. Et gare à celui qui ne tient pas la cadence. « Nous avons clairement besoin d’une consolidation dans l’alimentaire et le non alimentaire. L’inflation va accélérer la tendance, il va falloir optimiser les coûts dans une logique de prix. Je suis persuadé que cela va bouger dans les douze prochains mois », lançait aux « Echos » Moez-Alexandre Zouari il y a quelques mois , en vantant les marques de distributeurs « de qualité et à moindre coût » et en martelant sa croyance dans le « commerce de centre-ville ».
L’idée du jour n’est pas forcément ce que les marchés attendaient en matière de restructuration du paysage commercial – un grand rapprochement entre l’un des trois acteurs « disponibles ». Même si le succès du mariage à l’étude placerait Casino et Jean-Charles Naouri dans une meilleure posture en cas d’interaction avec les plus gros poissons du bocal. Au passage, Casino pourrait réduire sa dette si Teract apporte une soulte, et/ou diminuer son ratio d’endettement si l’entité est cotée et bien perçue par les investisseurs.
« L’opération pourrait permettre de valoriser les activités de distribution de Casino en France », dont la pépite Monoprix, relève Oddo dans une note.

La dette de Jean-Charles Naouri
Pour rappel, Casino doit achever d’ici à la fin de l’année un plan de cession devant ramener sa dette nette à 4 milliards d’euros , et Rallye, qui dispose de 51 % du capital de Casino, doit assumer une créance de 2 milliards d’euros en 2025. Au premier semestre 2002, la branche française de Casino a enregistré environ 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et dégagé 539 millions de résultat opérationnel.
Un tableau qui réclame une forte remontée de dividendes chez Rallye et qui empêche les enseignes du groupe d’investir de façon inconsidérée, malgré les besoins.
Chez Teract, ce « deal » serait un retour aux sources du SPAC mis sur pied par Moez-Alexandre Zouari, Xavier Niel et Mathieu Pigasse, dont InVivo a pris le contrôle en apportant sa branche retail. A la base, le trio voulait secouer le monde du commerce avec une nouvelle proposition, à l’opposé de « la course à l’échalote », expliquait Moez-Alexandre Zouari, qui tient les rênes opérationnelles de Teract et qui prendrait pied, le cas échéant, au capital de Casino. « Nous, on veut proposer une alternative plus responsable, avec moins de promotions, mais des prix justes et des circuits courts », explique-t-il.
Secouer le secteur
Aujourd’hui, Teract aligne un chiffre d’affaires avoisinant le milliard d’euros, quelque 1.700 points de vente et un résultat opérationnel annuel supérieur à 100 millions. Détenue à 69 % par la coopérative agricole InVivo, 12 % par les Zouari, 3 % par Xavier Niel et Matthieu Pigasse, la société dispose de 100 millions d’euros pour investir. Elle prévoyait l’été dernier des recours à la dette et des augmentations de capital pour la suite .

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