Jusqu’à présent, le bitcoin était essentiellement une cryptomonnaie. Il contentait tantôt les investisseurs surfant sur ses variations, tantôt des idéalistes, comme le président du Salvador, qui y voient le futur de la monnaie. Pour d’autres, il est désormais temps que bitcoin passe un cap. C’est le cas des partisans d’Ordinals, qui veulent en faire une blockchain d’infrastructure comme ethereum, afin de créer des applications dessus. Mais cette idée déchire la communauté. Explications.
1. Qu’est-ce que le protocole Ordinals ?
Le 20 janvier, l’un des principaux développeurs du réseau bitcoin, l’ingénieur Casey Rodarmor, annonce sur Twitter qu’il est désormais possible de créer des « NFT » directement dans les blocs de la blockchain bitcoin ; il appelle plutôt ça des « artéfacts numériques ». Ce peut être du texte, des images ou des vidéos. Ils sont eux aussi immuables, décentralisés et non reproductibles.
Cette possibilité d’héberger du contenu dans la blockchain bitcoin – comme dans un cloud Google, mais décentralisé entre une myriade d’ordinateurs dans le monde, et lisible par tous – est en fait… involontaire. C’est un effet de bord de deux mises à jour de bitcoin, SegWit en 2017 et Taproot en 2021. Elles ont permis de quadrupler la taille des blocs (de la blockchain) pour atteindre 4 mégaoctets. Pour résumer, cela a ouvert la voie à la création de NFT sur bitcoin.
Jusqu’à présent, la quasi-totalité des NFT étaient sur ethereum, quelques autres sur solana. Un mois après l’arrivée d’Ordinals, selon Dune, une dizaine de milliers d’artéfacts ont été créés.
2. Quel intérêt de créer des NFT sur bitcoin ?
La qualité d’une blockchain se mesure à l’aune de trois critères : sa sécurité, sa capacité à accueillir beaucoup de transactions (« scalabilité ») et son niveau de décentralisation (toutes les validations de blocs ne doivent pas être effectuées par une seule personne !). Sur ethereum, le problème a été la scalabilité. Des pics de création de NFT ont déjà eu pour conséquence de faire exploser les frais (les « gas fees » ). Solana a été créé en réponse à cette limite, mais au prix du compromis de la sécurité. Et bitcoin ? Pour Stanislas Barthélémi, manager Cryptos et Web3 chez KPMG France, il n’y a pas de panacée et « les mêmes causes produiront les mêmes effets ».
L’autre bénéfice possible pour l’utilisateur est la sécurité. La validation des blocs de bitcoin repose sur le calcul de nombreux ordinateurs (« proof of work »), un processus vu comme très énergivore , mais dont le corollaire – qu’on ne souligne pas assez – est la forte sécurisation ; il faudrait des moyens considérables (en calcul et électricité) pour détourner cette blockchain.
Mais à ce jour, les NFT sur ethereum ne posent pas de problèmes de sécurité particuliers ; les pertes se font surtout via des arnaques d’utilisateurs mal intentionnés. Alors, quel intérêt, ces NFT sur bitcoin ? D’après le créateur d’Ordinals, Casey Rodarmor, il s’agirait avant tout d’un « projet artistique amusant », fait pour « encourager les gens à en savoir plus sur bitcoin ».
3. Pourquoi un tel émoi chez les « bitcoiners » ?
Cela a relancé un débat historique sur le rôle de bitcoin : peut-il être utilisé à des fins non-financières ? En 2010, son inventeur anonyme Satoshi Nakamoto avait dit que non. Aujourd’hui, ses apôtres s’attachent à cette parole. De façon plus prosaïque, ils craignent que ces artéfacts ne concurrencent les transactions traditionnelles, encombrent les blocs et augmentent les frais.
Ordinals veut éviter d’enfermer bitcoin dans une vision conservatrice.
Le débat a lieu au coeur du protocole bitcoin, dans le cénacle des développeurs principaux. Car face à Casey Rodarmor, on trouve Adam Back, PDG de Blockstream, lui aussi développeur fondamental. « Bitcoin est fait pour résister à la censure mais ça n’empêche pas de dire qu’un projet est stupide », a-t-il tweeté. Luke Dashjr, lui, voit Ordinals comme une « attaque ».
Voilà pour les conservateurs. Du côté des progressistes, on argue que valider ces nouveaux blocs fera travailler les mineurs et leur fera gagner de l’argent, alors que leurs récompenses sont divisées par deux tous les quatre ans – la prochaine échéance est en 2024. Les mineurs servent à sécuriser la blockchain et il est vital pour bitcoin qu’ils continuent de travailler.
4. Bitcoin peut-il prendre la place d’ethereum ?
Depuis 2021, l’écosystème du Web3 a connu un fort développement à la faveur des NFT , des applications décentralisées et des contrats intelligents. Or, c’est sur ethereum que tout cela s’est en grande partie déroulé. Avec Ordinals, il y a en creux l’idée de « remettre l’église au milieu du village en réhabilitant le bitcoin comme acteur central de cette évolution en cours du web, et de ne pas l’enfermer dans une vision conservatrice », pointe Stanislas Barthélémi, de KPMG.
Pour lui, « bitcoin a vocation à devenir un écosystème applicatif proche d’ethereum mais ce sera lent car il faudra trouver des consensus ». Contrairement à Ordinals qui a pris le taureau par les cornes en imposant ses « NFT » au sein même de la blockchain bitcoin, les choses seront plus simples en utilisant des surcouches (« layer 2 »), une tendance à l’oeuvre aussi sur ethereum.
Dans ce schéma, rien n’est impossible. « Bitcoin a pour doctrine une ossification de ses règles, une fois qu’elles sont fixées, on s’y tient et ensuite on peut construire des applications mais sur des couches supérieures, là où ethereum est si progressiste qu’il est capable de changer son système de consensus ( « The Merge » ), ce qui revient à changer de moteur en plein vol », compare l’expert.
Jusqu’alors, un esprit conservateur a prévalu dans la maison bitcoin. C’est pour concrétiser sa vision plus ouverte qu’en 2015, le fondateur de Bitcoin Magazine, Vitalik Buterin, a créé ethereum.
5. Un tel changement peut-il doper le cours du bitcoin ?
A court terme, ces bas instincts spéculatifs ne seront pas rassasiés par l’initiative Ordinals, qui relève avant tout du test, du défi technique et du challenge philosophique pour la communauté du bitcoin. A long terme, si les applications se multiplient, pour Stanislas Barthélémi, cela peut soutenir le cours, mais – et cela vaut pour ethereum – « à condition qu’il y ait des usages ».
Ces développements restent soumis à l’environnement macroéconomique . Tant que les taux d’intérêt sont hauts, la cryptosphère et ses débats resteront, littéralement, en bout de chaîne.
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