Quel pourcentage de mon budget média dépensé en programmatique s’évanouit dans la nature ? Ils sont nombreux à se poser cette question depuis la publication, en décembre 2020, d’une étude de l’ISBA, qui révélait qu’à peine 49% du montant dépensé par un annonceur allait dans les poches d’un éditeur et, surtout, que 15% de cette enveloppe disparaissait sans que l’on sache qui, des nombreux intermédiaires qui jalonnent la chaîne de valeur programmatique, mettait la main dessus.

Julien Lamb, media lead chez Nestlé, est de ceux-là. “On sait, depuis la publication de ce rapport, que nos investissements programmatiques alloués à l’Open Web sont souvent très opaques”, reconnaît cet ancien expert adtech en agence. Comme toujours, c’est de manque de transparence qu’il est question et, en l’occurrence, de la difficulté à remonter le fil d’une impression publicitaire programmatique, pour savoir qui capte quoi entre le DSP, le SSP et les autres intermédiaires impliqués dans la chaîne de valeur. 

Pour Nestlé, qui dépense près de 60% de ses budgets digitaux en programmatique, dont un peu moins de la moitié est allouée à l’open auction, l’enjeu financier n’était pas anodin. “L’essor de la data shopper fait que nous avons accéléré notre part d’investissements sur l’open auction”, précise Julien Lamb. D’où l’importance de comprendre la ventilation de ces budgets pour, dans un second temps, pouvoir agir dessus. 

Deux nouveautés ont permis à Nestlé d’établir un protocole de test en bonne et due forme. D’abord, l’ouverture de son premier siège en propre chez The Trade Desk. “Partir de zéro nous a permis de réconcilier plus facilement les investissements médias. Il n’y avait pas d’historique ou d’autres campagnes en cours pour venir polluer l’analyse”, justifie Julien Lamb. L’autre facteur, c’est la possibilité de plugger The Trade Desk en direct chez l’éditeur, grâce à une intégration client-side de la technologie Direct Path d’Hubvisor. Un chemin plus court, sans intermédiaire, qui permet de servir d’échantillon témoin. 

“Nous avons ciblé les six plus gros sièges SSP d’un gros éditeur français, aux audiences diversifiées”, précise Julien Lamb. Le budget média a été séparé en deux : une première poche transitait depuis The Trade Desk vers l’éditeur concerné, en passant par ces SSP. L’autre était dépensée directement depuis The Trade Desk vers l’éditeur via l’intégration Hubvisor. Pour chaque impression, un même prix de base, quelle que soit la route prise, en display comme en vidéo. La comparaison entre ces deux routes devait permettre à Nestlé de comprendre qui prenait quoi et, surtout, de voir si une part de budget s’évaporerait effectivement dans la nature.

 Le test a duré trois semaines, entre novembre et mi-décembre. “Seules quelques personnes de l’agence média et de la régie concernée avaient été mises au courant du test”, précise Julien Lamb. Un moyen supplémentaire de s’assurer de la fiabilité du test. À noter que Nestlé a également pris la décision de ne cibler que les sièges SSP des éditeurs en direct. “Nous avons d’emblée coupé les connexions aux resellers en ayant conscience que la réconciliation ne serait pas possible”, justifie Julien Lamb.

“Le ratio d’argent manquant pouvait monter haut, jusqu’à 27,5% du montant dépensé dans certains cas de figure”

Pour quel résultat ? Côté performance média, pas grand-chose à redire. “Qu’on prenne la route directe ou que l’on passe par un SSP, on avait globalement les mêmes performances en termes de visibilité, par exemple”, note Julien Lamb. Ce qui est problématique, en revanche, c’est que le test a permis de déterminer que “13% du montant dépensé en moyenne par Nestlé disparaissait dans la nature.” « C’est à dire qu’il n’était ni rétribué ou facturé par le SSP à l’éditeur mais en revanche bien imputé dans le budget Nestlé ». Un pourcentage qui variait selon les routes et qui pouvait, dans certains cas, dépasser la commission prise par une plateforme. Rappelons que celle-ci varie entre 5 et 15% selon les acteurs. “Le ratio d’argent manquant pouvait monter haut, jusqu’à 27,5% du montant dépensé dans certains cas de figure”, chiffre Julien Lamb.

Où est passé l’argent ? On pourrait se dire que Nestlé n’a peut-être pas été capable de retrouver l’ensemble de ses petits. Mais ce n’est pas le cas puisque le nombre d’impressions achetées depuis le DSP était quasiment le même que celui déclaré par les SSP auprès des éditeurs. “Nous avons retrouvé à chaque fois plus de 99% d’entre elles”, balaie Julien Lamb. 

Il y a fort à penser qu’un intermédiaire s’est “servi” au passage. “A priori pas le DSP, puisque ces écarts ne sont pas visibles sur la voie désintermédiée”, constate Julien Lamb. Forcément inquiétant. D’abord, parce que nous sommes, dans le cadre de ce test, dans le best case scenario. Comme évoqué plus haut, Nestlé a opté pour un achat via les sièges SSP de l’éditeur en direct. “À combien la déperdition serait-elle montée si des resellers étaient entrés en piste ?”, souffle Julien Lamb.

Les enseignements du test mené par Nestlé sont évidemment loin d’être anodins dans le contexte actuel, alors que la plupart des annonceurs font face à de réels enjeux de productivité. “L’objectif est double pour Nestlé avec une meilleure rétribution des éditeurs de contenus ainsi qu’une augmentation du working média alloué à nos campagnes ”. Les résultats vont également donner du grain à moudre aux détracteurs du programmatique, qui dénoncent, depuis des années, son opacité. Ils occasionnent également quelques questions philosophiques, parmi lesquelles celle que Julien Lamb se pose aujourd’hui avec insistance : est-ce que cette captation de valeur est une réponse à un coup de pression sur la marge des SSP ou juste un effet d’aubaine ?

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