Depuis plus de deux décennies, Google règne sans partage sur la recherche en ligne. Le no 2, Bing, qui appartient à Microsoft, reste très loin derrière, avec un peu moins de 9 % du marché mondial. Cet éternel second pourrait-il un jour remplacer Google ? Son PDG, Satya Nadella, affiche ses ambitions sans complexe. « A partir de maintenant, la marge brute de la recherche en ligne va chuter sans s’arrêter », menace-t-il dans un entretien au « Financial Times ».
Microsoft mise sur l’intelligence artificielle pour détrôner son rival. Il a mis au point, avec OpenAI, une IA qui permet d’organiser l’information sous la forme d’une conversation entre un humain et une machine. Et il espère séduire les internautes avec son moteur de recherche amélioré . Au lieu d’obtenir une liste de sites web, comme sur Google, il suffira de poser sa question en langage naturel à un chatbot pour que le nouveau Bing réponde en phrases et en paragraphes structurés, avec des liens en notes.

Une erreur à 100 milliards de dollars
Face à cette offensive, Google a présenté Bard , capable lui aussi de répondre aux questions des utilisateurs. Manque de chance, le chatbot s’est trompé dès la première démonstration à Paris le mois dernier. Le cours de l’action Alphabet a chuté, effaçant 100 milliards de dollars de valeur en un jour.
ChatGPT, le chatbot développé par OpenAI, a, lui aussi, tendance à affabuler. Mais Microsoft ne dépend pas financièrement de Bing. Ses revenus proviennent de la vente de PC, de services aux entreprises avec sa branche Azure et de logiciels (Word, PowerPoint, Teams… ) Il peut prendre des risques, contrairement à Google, qui tire plus de la moitié de ses revenus de la publicité sur son moteur de recherche.
Fin 2022, pour la seconde fois de son histoire, les ventes publicitaires de Google ont baissé d’une année sur l’autre. Le précédent remonte au printemps 2020, lorsque l’économie mondiale était presque à l’arrêt à cause de la pandémie. Le géant californien n’échappe plus au ralentissement de l’économie et à la baisse des budgets publicitaires.

Amazon et TikTok dans le rétroviseur
Pas sûr, cependant, que Bing puisse le détrôner. « Pour l’instant, je n’ai rien vu ou entendu du côté de Microsoft et du nouveau Bing qui permette d’affirmer qu’il offrira une meilleure expérience que Google », témoigne Evelyn Mitchell, analyste chez Insider Intelligence. « J’ai vu quelques exemples sur la façon dont Microsoft espère intégrer la publicité à Bing, mais j’ai l’impression qu’ils tâtonnent encore. »
Microsoft n’est toutefois pas la seule menace à l’horizon pour Google. De plus en plus d’internautes se tournent ainsi vers le moteur de recherche d’Amazon pour trouver des produits – des aspirateurs aux jouets en passant par des consoles de jeux vidéo. Le groupe fondé par Jeff Bezos en profite : au dernier trimestre, pendant que les revenus publicitaires de Google reculaient de 3,6 % sur un an, ceux d’Amazon bondissaient de 19 %.
De même, TikTok est souvent utilisé par les plus jeunes pour chercher des informations. « Environ 40 % des jeunes, lorsqu’ils cherchent un endroit pour déjeuner, ne vont pas sur Google Maps ou Search, ils vont sur TikTok ou Instagram », reconnaît Prabhakar Raghavan, le vice-président chargé de la recherche chez Google. Sur l’application de vidéos courtes, « vous voyez vraiment ce que ressent la personne qui a mangé » dans un restaurant, explique Nailah Roberts, 25 ans, au « New York Times » . Mieux vaut un clip de quelques secondes qu’un long commentaire.

La menace Apple
Amazon et TikTok n’ont pas encore ébranlé la domination de Google. Mais « après des années de spéculation, ce serait extrêmement intelligent de la part d’Apple de lancer un moteur de recherche, remarque Evelyn Mitchell. Et ce serait une menace très, très significative pour la domination de Google. »
Chaque année, Google verse plusieurs milliards de dollars à Apple pour être le moteur de recherche par défaut sur les IPhone. Cet accord a attiré l’attention des régulateurs , qui y verraient une distorsion de concurrence. Selon le département de Justice américain, plus de la moitié du trafic sur Google provient d’appareils produits par Apple. Perdre l’accès à ces utilisateurs serait dramatique.
« Si Apple lance son propre moteur de recherche et en fait le moteur par défaut sur Safari et les appareils iOS, l’effet sera massif sur les dynamiques de marché dans la recherche en ligne », confirme l’analyste. L’entreprise de Cupertino dispose déjà d’un moteur de recherche, baptisé Spotlight, qui permet de faire des recherches dans son téléphone et en ligne. D’ici à quatre ans, il pourrait être en mesure de lancer un vrai remplaçant à Google Search, selon The Information .

Un labyrinthe et des souris
Mais pour Google, le défi ne vient pas que de l’extérieur. Praveen Seshadri est un ancien employé d’Alphabet, qu’il a rejoint en 2020 après le rachat de sa start-up, AppSheet. « Je viens de quitter Google en comprenant comment une entreprise, qui était grande autrefois, a peu à peu cessé de fonctionner », écrit-il sur son blog .
Le groupe « a plus de 175.000 employés compétents et bien payés qui accomplissent très peu de choses trimestre après trimestre, année après année, poursuit-il. Comme des souris, ils sont piégés dans un labyrinthe d’approbations, de processus de lancement, d’examens juridiques, d’entretiens d’évaluations, de comités d’études, de documents, de réunions, de rapports de bug, de processus de tri, d’objectifs et résultats clés (OKRs), de plans H1 suivis de plans H2, de rencontres au sommet, et d’inévitables réorganisations. »
« On perd notre temps à faire des design docs pour expliquer ce qu’on fait au lieu de coder », témoigne un ancien salarié. Ces documents décrivent en détail les changements qui seront mis en oeuvre, le contexte de la décision, ses objectifs, les choix faits et les alternatives rejetées. Dans la Silicon Valley, les employés de Google – comme ceux des autres géants de la tech dont Meta – n’ont pas pour réputation de se tuer au travail.

Google ne risque certes pas de disparaître du jour au lendemain. Sa position ultradominante dans sa recherche en ligne lui assure des profits faramineux. Et ses compétences de pointe dans l’IA devraient lui permettent de résister aux attaques de Microsoft. Mais le géant californien, qui a perdu l’agilité de ses débuts, est confronté à un cocktail de menaces sans précédent.

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