Cela s’appelle une « routine ». Chaque matin et soir, la Coréenne en respecte scrupuleusement dix étapes. Dans l’ordre, elle applique démaquillant, nettoyant, exfoliant, lotion tonique, essence, sérum, masque, crème pour les yeux, crème pour le visage et enfin protecteur solaire. Elle passera plus d’une heure devant son miroir sans même compter le temps du maquillage. Tel est le prix pour s’assurer d’être belle et irréprochable.
A l’inverse de l’extravagance américaine, la beauté coréenne vise à la perfection non seulement physique, mais aussi morale. Cet idéal est propre aux sociétés confucéennes qui prônent le dépassement de soi, la rigueur du travail, en somme « un stakhanovisme de la beauté », résume Eric Briones, spécialiste du luxe. Pour cela : une peau sans défaut, des paupières larges, un visage ovale, le modèle de beauté coréen doit être homogène et uniforme. L’objectif reste de ne surtout pas verser dans l’originalité, au risque de paraître vulgaire. Le « nude », tendance maquillage du teint au naturel, prend d’ailleurs ses racines en Corée.
Les femmes, mais aussi les hommes
Ici, il est impensable de sortir de chez soi sans être parfaitement apprêté au risque de subir l’opprobre de ses amis et collègues. Il s’agit d’abord de se démarquer socialement. L’apparence est un moyen de se distinguer dans un pays marqué par les inégalités sociales, comme l’a brillamment montré le film « Parasite », du réalisateur Bong Joon-ho. Elle est aussi un atout essentiel à l’embauche dans un marché du travail tendu. « La concurrence est rude, les places sont chères, les Coréennes misent donc sur l’apparence physique », signale Sylvie Octobre, auteure de « K-pop, soft power et culture globale ».
« Pour les femmes, cet idéal est un nouveau modèle de féminité, pour les hommes, il constitue une référence aux éphèbes grecs », estime Vincenzo Cicchelli, coauteur de l’ouvrage. Car dans cet essor des cosmétiques, les hommes ne sont pas en reste : 20 % des produits de beauté masculins vendus dans le monde le sont en Corée. Cela fait des hommes coréens les premiers consommateurs au monde de cosmétiques.
Vague Hallyu
Cette obsession de la beauté et de l’apparence que nourrissent les Coréens se retrouve dans la sphère culturelle. La vague Hallyu a fait émerger des modèles venant tout droit des stars de la K-pop, tel que le groupe Blackpink aux 86 millions d’abonnés YouTube ou des acteurs de K-drama, ces séries à l’eau de rose que l’on voit fleurir sur les plateformes de streaming.
L’engouement autour de la culture coréenne. Elle couvre à la fois la musique avec la K-pop, les séries avec les K-drama mais aussi les cosmétiques avec la K-beauty.
Dans ces séries, les promotions des produits de beauté s’enchaînent à l’écran. Lorsque les personnages féminins vont prendre un verre d’alcool, elles n’oublient pas leur brumisateur pour pouvoir se réhydrater le visage. Même chose pour les personnages masculins. Dans la série « Descendents of the Sun », des soldats d’une base militaire sont surpris en train de s’étaler un masque pour le visage la veille de leur permission.
Un miroir connecté
Depuis une dizaine d’années, les marques se délectent de cet Hallyu de la beauté. Selon Global Data, les ventes de produits de maquillage en Corée du Sud vont augmenter de 5,5 % chaque année jusqu’en 2026. Le marché devrait donc atteindre2, 8 milliards de wons – soit 2,5 milliards de dollars.
Sur l’imposant stand coréen de VivaTech 2023, un objet attire l’attention : Icon.ai, un miroir connecté présenté par son fondateur, James Shin. Il y a quelques années, sa fille de 13 ans lui a donné l’idée de ce miroir multitâche. Non seulement il livre une analyse détaillée de la qualité de la peau, mais diffuse également de la musique et donne la météo. James Shin veut aujourd’hui exporter son produit à l’étranger.
Des marques dépassées
Sur le marché coréen, plus de 2.000 marques de cosmétiques coexistent. « Mais malgré quelques percées de marques coréennes comme Laneige ou Erborian, paradoxalement ce ne sont pas les marques nationales qui bénéficient le plus de cette passion pour les cosmétiques », explique Eric Briones. Les grandes gagnantes sont les entreprises occidentales notamment françaises. Partenariat entre le géant coréen Amore Pacific et Christian Dior en 2015, lancement à Séoul de la ligne de maquillage pour hommes de Chanel ou encore rachat de la marque de maquillage Stylenanda par L’Oréal en 2018, les marques occidentales courtisent également les égéries locales. Lisa des Blackpink est désormais la star du canadien MAC Cosmetics tandis que Dior (qui appartient comme « Les Echos » à LVMH) a choisi Jimin du groupe coréen BTS comme égérie mondiale.
Grâce à TikTok, ces stars communiquent sur les nouvelles tendances qui se succèdent : du « layering perfume » au « skin fooding » en passant par la « quiet luxury beauty ». « Mais cet enchaînement effréné de tendance n’écarte pas le risque d’une montée de la concurrence étrangère et donc d’une perte de vitesse de la K-beauty », estime Eric Briones. En Asie, d’autres pays se développent sur le marché. Les investisseurs sont notamment tournés vers l’Inde, qui pourrait devenir le futur terrain de jeu de la beauté mondiale.
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