Il nous reste environ trente ans de numérique devant nous, selon le cabinet Green IT. Or même dans les milieux technocritiques, on s’inquiète – à juste titre – de l’essor du numérique mais très peu de sa fin programmée. C’est pourtant un risque majeur, et nous ne sommes pas du tout prêts. Nos imaginaires futuristes reposent toujours sur une extension sans fin de la robotique, d’exosquelettes et d’intelligence artificielle. On devrait se poser sérieusement la question de ce qui va se passer quand les écrans s’éteindront et commencer à anticiper le monde d’après le numérique.
Ne devrait-on pas aussi dire adieu à la ruée vers la productivité ?
CORINNE MOREL DARLEUX
Les seuils de contre-productivité établis par Ivan Illich, professeur à l’université d’État de Pennsylvanie, montrent que si certaines innovations technologiques peuvent apporter, à un moment donné, un mieux-être, elles ont par la suite des effets contre-productifs. Il utilise l’exemple de la voiture qui, au lieu de nous faire gagner en mobilité et en confort de vie, a pris une place vorace et toxique dans la société. Alors qu’elle devait nous faire gagner du temps, entre le temps passé à travailler pour gagner de quoi payer les assurances et le carburant, les heures passées dans les embouteillages ou à chercher une place pour se garer en ville, au final Illich a calculé qu’on n’allait pas plus vite en voiture qu’un cycliste.
Prenons la fameuse « dématérialisation », censée optimiser les démarches en les passant en ligne. C’est une calamité. On fait face à des erreurs 404 en rafale. Les personnes âgées se retrouvent seules face à leur écran. On ne peut plus parler à un être humain pour se faire expliquer les points obscurs. On perd des heures à essayer de comprendre et in fine des technologies qui étaient censées nous simplifier la vie nous la rendent juste plus compliquée.
Pensez-vous que nos standards de bonheur vont changer et que, demain, ce ne seront plus Elon Musk ou Jeff Bezos qu’on admirera mais des personnes au mode de vie sobre ?
CORINNE MOREL DARLEUX
C’est un des gros enjeux de la bataille culturelle que de changer le camp du cool et du stylé. On aura fait un grand pas quand se balader en quad ou organiser un rallye automobile dans un parc naturel sera perçu comme honteux et malaisant. Il y a tout un référentiel et des codes culturels à déconstruire. Mais c’est un processus long et compliqué, il est difficile de se défaire des normes qu’on nous a inculquées.
« On doit retrouver une notion du luxe qui ne passe pas par des logiques de domination et de prédation »
Corinne Morel Darleux, autrice et militante écosocialiste
Nos référents du luxe doivent aussi changer. On doit pouvoir déboulonner l’imaginaire du yacht et des diamants, trouver du calme et de la volupté ailleurs que dans un jet privé ou une villa à l’autre bout du monde avec chauffeur et piscine chauffée. Si l’on considère que le luxe aujourd’hui est d’avoir du temps, du calme et un espace à soi, alors une cabane remplie de belles choses simples peut devenir une réelle source de plaisir et de bonheur. Ce n’est qu’un exemple, chacune et chacun aura sa propre version de ce qui le fait rêver, mais on doit retrouver une notion du luxe qui ne passe pas par des logiques de domination et de prédation.
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