Créée en 2017, JO&JOE est la petite dernière et l’une des marques stratégiques de la division Lifestyle ENNISMORE du groupe Accor. Positionnée au départ sur le marché des « millennials » de l’auberge de jeunesse, elle mise sur une stratégie de diversification de sa clientèle et se développe rapidement à l’international. Elle annonce des ouvertures à Rome, en Nouvelle-Zélande et en Chine. Explications du directeur de la petite chaîne qui monte, François Leclerc
INfluencia : comment est née l’enseigne JO&JOE ?
François Leclerc : le groupe Accor, depuis l’arrivée à sa tête de Sébastien Bazin, il y a une dizaine d’années, a beaucoup évolué, notamment en se lançant dans une stratégie plus internationale et une hôtellerie moins traditionnelle. La décision a été prise de regrouper les établissements de type lifestyle et boutique hôtel, dans une division baptisée Ennismore, où nous avons mis les marques que le groupe a rachetées petit à petit, comme Mama Shelter qui a été créée par la famille Trigano et dont nous détenons maintenant 100%, 25ème Heure, SBE, The Hoxton, TRIBE dont je m’occupe également, etc. JO&JOE, en revanche a été créé in-house par les équipes opérationnelles et le département « Innovation Lab &Design ». Ce département pense l’hébergement de demain, a réalisé que nous rations complètement une tranche de clientèle, plus jeune, entre 18 et 35 ans, qui zappe l’hôtel quand elle voyage, opte pour les auberges de jeunesse ou pour leurs nouveaux concurrents. Il y a certes une quarantaine de marques et 5500 hôtels dans 110 pays dans le groupe, mais pas de lieu différent pouvant répondre à cette attente. J’ai donc rejoint ce projet disrupteur et passionnant il y presque 6 ans. Pourtant, je ne viens pas de l’hôtellerie, j’ai travaillé 25 ans dans le retail – j’étais entre autres le directeur de la clientèle Internationale au Printemps – mais il y a des vraies similitudes entre un hôtel et un grand magasin : le client veut avant tout vivre une vraie expérience. C’est justement parce que je n’avais pas d’expérience dans l’hôtellerie, parce je devais être entrepreneur dans l’âme, et parce que nous allions casser les codes, que j’ai choisi de rejoindre cette aventure »
Nous sommes donc partis d’une page blanche et avons tout inventé avec l’agence W et un designer anglais qui lui aussi a travaillé sur son premier hôtel. Nous sommes allés à la pêche aux insights, nous avons impliqué des publics jeunes dans le processus d’idéation pour in fine imaginer non pas un lieu où l’on vient dormir mais où l’on se crée des souvenirs. C’est ainsi que l’on a créé, avec l’agence, des marqueurs d’expérience que l’on a voulu tester grandeur nature. Un demi-étage de la tour Accor était consacré au projet et nous avions recréé un hôtel type avec un dortoir et sa salle de bain, sa cuisine partagée, ses espaces communs, un vrai JO&JOE. Quand je suis arrivé j’ai proposé qu’on « habite » cet endroit : 400 mètres carrés pour une quinzaine de personnes ! C’était impossible mais on l’a fait et pendant 4 ans nous avons vécu dans ce premier JO&JOE !
IN. : le design des hôtels est très important pour vous. Est-il le même partout ?
F.L. : JO&JOE a une âme-, un ADN commun à chaque projet tout en gardant une vraie unicité. Aujourd’hui, les clients veulent retrouver des lieux personnalisés, dans lesquels ils retrouvent certes le même niveau de services, mais dans des univers différents. Nous avons mis en place un canevas, des guidelines et une charte très précise sur laquelle chaque designer de chaque JO&JOE s’appuie aujourd’hui. Mais chaque lieu garde une grande latitude pour personnaliser ses espaces, en fonction de la destination et de la typologie de l’établissement. Le Street Art a, par exemple, une très grande place et se traduit par l’intervention d’artistes locaux. A ce jour, nous avons dû faire travailler une trentaine d’artistes sur les 7 JO&JOE existants.
A côté de cela, on retrouve les codes JO&JOE, avec son bar central, son sofa géant appelé « pizza bed », ses lits aux formes particulières, sa scène, etc. Mais avec une ambiance graphique complètement renouvelée.
IN. : Au fait, qui sont JO et JOE ?
F.L. : JO et JOE n’existent pas. C’est vous et c’est moi. Il fallait un nom unisexe, à la fois féminin et masculin selon le pays, moderne, qui se prononce dans toutes les langues et parle à deux voix comme deux amis en road trip : JO&JOE est arrivé́ tout naturellement. Nous avons testé et crée ces « personae », JO est plutôt calme quand JOE veut faire la fête, tantôt solitaire, tantôt en groupe, ils sont comme nous, différents selon notre humeur !
IN. : en quoi JO&JOE est-il un lieu différent ?
F.L. : l’idée n’était pas de faire de l’hôtel pas cher mais un espace ouvert à tous, locaux et touristes, venant seuls, en couple, entre amis, collègues de bureau ou en famille tout simplement. Il fallait se demander comment nous allions répondre à des besoins de personnes qui se détournaient de l’hôtellerie traditionnelle et qui veulent plutôt un lieu de vie et de rencontre. Cela peut être des gens qui ont un panier moyen assez élevé, mais aussi des personnes qui cherchent une solution très économique. Donc, du coup tout est devenu sujet à innovation permanente et nous avons créé avec l’agence W ce concept totalement nouveau de A à Z. Cela fait presque 60 ans que le groupe Accor vend des chambres, mais nous, nous vendons des lits et des moments de convivialité. Ainsi, nous avons aussi bien une population qui préfère des chambres privées avec le service qui va avec, qu’une clientèle qui choisit des dortoirs de 10 personnes et fait son lit. Mais nous restons des hôteliers. Notre rôle est de faire en sorte que nos clients aient accès à un vrai confort : nos lits mesurent deux mètres de long par un mètre de large, ce qui est beaucoup plus que les standards des auberges. Nous avons créé une « changing room », un peu comme une cabine d’essayage : un espace d’environ 1mètre carré avec un rideau où les gens peuvent se changer en toute intimité. Nous avons multiplié les douches dans les dortoirs et évité au maximum les douches communes, etc.
IN. : JO&JOE n’est pas juste un hôtel…
F.L. : Le concept de JO&JOE est de proposer un style de vie, une expérience, mélangeant l’hébergement, la restauration et un bar qui est le cœur battant de chaque établissement. Avec son mur de bière emblématique, qui fut une première chez Accor, c’est le lieu où se retrouver en journée ou le soir, avec une cuisine maison fraîche et simple, à base de produits locaux de qualité, toujours à prix modéré. C’est une maison ouverte sur l’extérieur imaginée pour faciliter les échanges et le bien vivre ensemble. Chez JO&JOE, tous les soirs il se passe toujours quelque chose- d’ailleurs il n’y a pas de télé dans les chambres – On y dort et on y vit, on y mange, on y fait de la musique, on assiste à un concert, on y boit un verre, on y refait le monde avec des jeunes et des moins jeunes du quartier et de tous les pays.
IN. : vos prix sont moins chers qu’un Ibis. Quel est votre modèle économique ?
F.L. : nous sommes dans le segment économique mais nous avons deux atouts : la partie « restauration » Food and Beverage représente entre 35 et 60% de notre chiffre d’affaires selon les établissements (là où dans l’hôtellerie traditionnelle on dépasse rarement les 5%).
Nous avons remarqué que ce que la clientèle ne dépense pas en hébergement, elle le dépense pratiquement autant en nourriture et boisson. Cela nous permet de rajouter les marges d’un restaurant ou d’un bar à celle d’un hôtel ou d’une auberge… Sur la partie restauration, la clientèle locale peut représenter jusqu’à 50% du total, ce qui assure un chiffre d’affaires régulier et une ambiance assurée tous les jours.
Preuve que nous avons réussi notre mission d’imaginer lieux de vie, de nuit et de rencontre entre locaux et touristes !
IN. : votre concept a-t-il changé depuis la création de la marque ?
F.L. : le concept même d’auberge de jeunesse a un peu évolué, en s’ouvrant à différents types de population et en gardant notre authenticité. A côté de nos grands dortoirs, comme je vous le disais, nous proposons de plus en plus de chambres privées ou familiales. Les attentes de la clientèle ont aussi changé : nous accueillons par exemple des entreprises qui organisent leurs séminaires ou des séjours de team building chez nous. Cela n’aurait certainement pas été le cas il y a dix ans.
INf. : avez-vous souffert du Covid ?
F.L. : c’est vrai qu’avec le Covid qui arrivait alors que nous n’avions que deux ans d’existence, nous aurions pu avoir des doutes. On me disait : « mais Monsieur Leclerc, les endroits partagés comme ça, c’est fini. L’Auberge est morte », Je leur répondais : « Vous allez voir, cette génération de jeunes est bien plus résiliente que n’importe laquelle, elle va revenir ». Et quand on a réouvert au bout de quelques mois et qu’on a dit : « Welcome back », elle est en effet revenue. Nous avions ouvert nos établissements à la clientèle extérieure et locale, ce qui explique aujourd’hui les bons résultats que nous enregistrons, même en l’absence d’une partie des touristes étrangers. Notre format « d’open house » nous permet d’accueillir tout type de clientèle. À Hossegor par exemple, notre chiffre d’affaires est réalisé à 60 % par le Food and Beverage, grâce à des clients locaux. À Gentilly en mai, notre établissement a affiché 85 % de taux d’occupation avec des clients venant de destinations plus proches qu’avant la crise sanitaire.
IN. : combien de JO&JOE y a-t-il actuellement et quels sont vos projets ?
F.L. : pour l’instant, nous avons 7 hôtels. Le premier qui a été ouvert en 2017 en France, à Hossegor dans les Landes, nous a permis de valider le concept. Il a été suivi par deux autres implantations françaises d’abord à Gentilly (Val-de-Marne), puis une plus petite dans le 20eme arrondissement de Paris. Pour ouvrir un JO&JOE il faut une destination touristique, un nœud de transport parce que nos clients viennent plutôt en transport qu’en voiture, et une clientèle locale. Tous les hôtels sont différents mais avec un même ADN, que vous retrouvez partout. Nous nous sommes très vite attaqués à l’international et avons de nombreux projets. Un premier JO&JOE a été ouvert en 2021 en Autriche, à Vienne, dans un bâtiment iconique de la ville au-dessus d’un magasin Ikea de centre-ville. Puis nous sommes arrivés en 2022 à Medellin en Colombie et au Brésil avec un ressort à Rio, au pied du Corcovado avec deux piscines et 350 lits, dans un bâtiment triplement classé monument historique par la ville et l’état de Rio. Et nous allons ouvrir à Rome à la rentrée dans un ancien couvent du 17è siècle. Le prochain sera à Auckland. En France, nous avons remporté un appel d’offres à Isola 2000 avec le groupe AMO, dans les Alpes, dans le cadre d’un programme immobilier lancé par la commune pour une ouverture à l’horizon 2025.
Le groupe Accor a également signé une master franchise en Chine continentale avec le groupe Country Garden dont l’ambition est d’introduire la marque, avec l’ouverture de 1300 JO&JOE dans le pays, représentant plus de 100 000 chambres d’ici 30 ans. Les premières signatures ont commencé !
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