Ghislain Pfersdorff:  La marque est jeune : elle est née en Suisse il y a 25 ans dans la ville de Sion, capitale du canton de Valais. Une marque dont le chiffre d’affaires au détail est encore inférieur à 50 millions d’euros. Lorsque sa direction m’est confiée il y a dix ans l’intention première est d’en assurer la pérennité. Un enjeu de taille dans la mesure où une croissance accélérée ne peux pas être la seule solution avec des concurrents comme La Prairie, Clé de Peau , La Mer, et moins connus peut-être, Valmont et CellCosmet. Ce sont des marques déjà établies dans leurs identités. Nous avons alors perçu que sa pérennité proviendrait de notre choix d’en faire la première marque à raison d’être sociale de la cosmétique de luxe.

IN. : vous dites que La Colline c’est tout petit. En clair?
Gh.Pf. : Oui, nous sommes loin des centaines de millions de chiffres d’affaires et nous ne sommes pas nombreux, c’est vrai, mais nous sommes une équipe soudée par notre raison d’être sociale. C’est elle qui nous permet de motiver nos équipes et nos partenaires : ils nous rejoignent parce qu’ils y trouvent un sens qu’ils partagent avec fierté. Notre mission à tous reste l’innovation cosmétique, l’éducation et l’engagement de nos partenaires en Asie, en Europe et depuis cette année grâce au succès de notre prospection en Inde et aux Etats-Unis.

IN. : cela s’avère être un casse-tête, la surenchère de promesses est de mise, et ce n’est pas votre choix…
Gh.Pf. : effectivement plutôt que de créer uniquement de nouveaux produits comme le font nos concurrents, et d’entrer dans cette surenchère de promesses que nous connaissons tous, nous suivons la piste qui nous semble à la fois la plus pertinente et la plus appropriée. La voie de la raison d’être s’est imposée à nous, mais ce n’est pas si évident d’y avancer en restant juste et légitime.

IN. : quelle est-elle, et comment aboutissez-vous à cette « solution »?
Gh.Pf. : Pour l’anecdote, je dois vous avouer honnêtement, qu’à cette époque, je suis surtout un bon ambassadeur et un bon commercial, mais je n’ai aucune idée de comment y arriver : le vocabulaire manque pour exprimer clairement ce choix d’une identité ancrée dans une raison d’être. Ce concept n’existe pas encore vraiment. Alors je vais sur internet et je tape : « Comment garantir l’existence d’une marque de luxe jusqu’en 2050 ? ». Et là je trouve beaucoup d’inspiration: en 2050 le luxe viendra du sens qu’y trouveront les clients. Il s’agira de trouver la justification de la valeur élevée autrement que dans le produit ou le service offert. En clair, les marques qui veulent se pérenniser devront étendre leur territoire et justifier leur existence par une responsabilité sociale accrue. Elles devront prouver aussi qu’elles font du sens. Nous sommes donc en 2010, je digère tout cela et décide de choisir une raison d’être sociale proche de notre métier d’experts en produits de soins pour la peau. Nous lançons alors un programme de recherche fondamentale pour améliorer la qualité des greffes de peau.

IN. : tout comme Typolgy qui va sur le terrain de la dermatologie (lire interview de Ning Li), vous partez sur un registre peu compatible avec le monde des crèmes qui font rajeunir et offrent du rêve…
Gh.Pf. : en effet, si la raison d’être sociale fait déjà partie du paysage aux US sur la côte ouest il y a quinze ans avec notamment une marque telle que Tom’s (tu achètes une paire de chaussures, et un enfant va à l’école) créée par Blake Mycoskie, nous faisons notre révolution en créant notre propre grammaire. Et dès 2013, nous lançons ce programme qui consiste à améliorer la qualité des greffes de peau.

IN. : pouvez-vous expliciter votre raison d’être?
Gh.Pf. : la qualité de vie d’un grand nombre de patients dépendra du succès de notre programme de recherche. Si notre activité commerciale vient à s’arrêter, si notre mission échoue et si nous arrêtons de développer notre marque nous ne pourrons plus apporter les ressources nécessaires à notre raison d’être sociale : temps, motivation, engagement et moyens financiers. Notre engagement social va donc se faire sur la durée et notre raison d’être suscite l’adhésion de l’université de Zurich… A la même époque, beaucoup s’interrogent sur le statut d’obligés de certains laboratoires de recherche financés par les entreprises… Nous arrivons avec notre programme qui garantit l’indépendance de la recherche de nos équipes… Nous nous lançons, mais tout est à faire.

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