Epilogue piteux, pour un conte qui fut magnifique. Lundi soir, WeWork a annoncé avoir déposé le bilan et s’être placé sous la protection du régime des faillites (« Chapter 11 ») aux Etats-Unis. Le cours du spécialiste des espaces de travail partagés avait été suspendu à la Bourse de New York dans la journée, après treize années de faste, d’extravagances, de déconvenues et de « storytelling ».

Depuis 2010, l’entreprise a enregistré plus de 16 milliards de dollars de pertes. Sa valorisation, qui avait dépassé 47 milliards en janvier 2019, a été réduite à quelques dizaines de millions. Quatre ans après le renvoi houleux de son fondateur Adam Neumann, par un conseil d’administration lassé de ses excès, le groupe n’a pas réussi à redresser la barre.

Longue dégringolade
La nouvelle ne prend pas le marché par surprise. Depuis cinq ans, l’histoire de WeWork est celle d’une longue dégringolade. L’agence de notation financière S&P l’a d’ailleurs déjà placée « en défaut partiel » le 1er novembre dernier. Seule une restructuration de la dette pourra ressusciter l’entreprise. Ce qu’elle espère : le PDG David Tolley a indiqué lundi soir avoir signé un accord d’aide à la restructuration (RSA) « avec nos créanciers clés, qui réduit drastiquement notre dette financée existante ». « Au cours de cette période, WeWork continuera à rationaliser son portefeuille de baux commerciaux », a indiqué le groupe, précisant que ses « opérations mondiales (doivent) se poursuivre normalement ».
A New York, de nombreux télétravailleurs ont déjà dû trouver un nouvel asile à la suite de la fermeture définitive de leur bureau partagé. Fin octobre, les clients du 880 3rd Avenue ont reçu un mail inhabituel : pas d’invitation à goûter le dernier kombucha alcoolisé ou à fabriquer ses « bracelets d’amitié » avec des perles de couleur, mais un avis de fermeture. « WeWork examine régulièrement son portefeuille immobilier afin de s’assurer que nous fournissons aux membres les meilleures solutions d’espace de travail possibles », s’est étrangement justifié le directeur de WeWork On Demand, Bart Clareman.

Echéance manquée
Début octobre, WeWork a manqué une échéance de paiement sur les intérêts de sa dette, ouvrant une période de négociation de trente jours, rallongée d’une semaine, avec ses créanciers, notamment SoftBank et King Street Capital Management.
Début août, le groupe avait indiqué, à l’occasion de ses résultats trimestriels, avoir des « doutes substantiels » sur sa capacité à poursuivre son activité. WeWork a dégagé un chiffre d’affaires de 1,7 milliard de dollars au premier semestre, et une perte nette de 700 millions. Plus de 80 % de ses revenus sont dépensés chaque mois dans les loyers et les intérêts. Le groupe n’a jamais réalisé un trimestre bénéficiaire.
Après une folle croissance depuis sa naissance en 2010 et une crise de gouvernance, le pionnier des bureaux partagés n’aura finalement pas réussi à purger ses premiers excès, ni à faire de la fin de la pandémie de Covid le tremplin d’une nouvelle ère du coworking.
« L’offre excédentaire dans l’immobilier commercial, la concurrence accrue dans les espaces flexibles et la volatilité macroéconomique ont entraîné un taux de roulement des membres plus élevé et une demande plus faible que prévu », indiquait cet été David Tolley, le PDG par intérim. Nommé au printemps après le départ surprise du coupeur de coûts Sandeep Mathrani, il a été confirmé dans ses fonctions mi-octobre.

Fragilité inhérente
La fragilité inhérente du modèle de WeWork est connue de longue date : des baux signés pour dix à vingt ans avec des rénovations massives, mais des locataires volatils qui vont et viennent à leur guise. De quoi créer un effet de ciseau ravageur en cas de chute de la demande. Et comme la plupart des baux ont été conclus lorsque le marché était au plus haut, en 2018-2019, la facture est salée : plus de 2 milliards de dollars en 2023, selon WeWork.
Les investisseurs, qui avaient cru aux belles paroles d’Adam Neumann et pris WeWork pour une start-up Internet alors qu’il s’agissait avant tout d’un projet immobilier, en sont pour leurs frais, notamment SoftBank, qui a laissé sur la table des milliards. Le fondateur prodigue a littéralement brûlé le cash, à coups de jet privé, de fêtes somptueuses. Sous sa férule, WeWork a surenchéri follement pour signer des baux le plus vite possible et afficher de forts taux de croissance. Rien qu’à New York, il exploitait 47 sites fin mars, soit 641.000 m2 ou 60 % des espaces de travail partagés de la ville.
Après son départ, Sandeep Mathrani introduit WeWork en Bourse. Les grands plans de diversification dans l’éducation ou la colocation sont enterrés, et le groupe ralentit son développement pour abaisser son point mort.
Fin 2019, juste avant la pandémie, la société a ainsi déjà mis les freins sur la signature de nouveaux baux à New York, l’épicentre de son activité. Elle met aussi moins l’accent sur les « membres » particuliers et davantage sur les entreprises, qui lui achètent de l’espace au forfait et pour un ou deux ans.

Offre excédentaire
La crise sanitaire à partir de mars 2020 fait rentrer tout le monde chez soi : WeWork perd 3,2 milliards de dollars cette année-là, autant que son chiffre d’affaires. WeWork met malgré tout sur pied un plan de croissance, renégociant ses baux et quittant dès que possible d’anciens immeubles pour réduire les coûts de fonctionnement.
Côté revenus, l’entreprise tente d’attirer les clients avec l’offre la plus flexible possible : ce sera WeWork On Demand, une formule imbattable à 29 dollars la journée pour un espace de travail et du café à volonté dans Manhattan.
Mais dix personnes sur un plateau ne rapportent que 290 dollars par jour : un gouffre annoncé, au vu des loyers et des frais de personnel. Et au 85 Broad Street, l’un des plus grands espaces de Manhattan au coeur de Wall Street, il reste encore, certains jours, près de 200 places de libre.
Avec un télétravail toujours plus répandu aux Etats-Unis qu’en Europe, les entreprises se débattent encore avec leurs mètres carrés en surnombre, et ont inauguré de nouveaux espaces qui ressemblent furieusement aux grands plateaux de WeWork. Ca ne va pas arranger les affaires du premier locataire privé de New York.

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