La décennie marque un nouveau tournant pour les services prépayés quand la direction d’ Accor décide de se recentrer sur l’hôtellerie . Le 2 juillet 2010, le pôle de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 6.000 salariés d’Accor Services est introduit en Bourse sous le nom d’Edenred, un mot-valise associant la notion d’entreprendre ensemble et « red » comme le rouge du logo en anglais. Au passage, la nouvelle entité a été toutefois lestée d’une partie de la dette de son ancienne maison mère. Devenu patron d’Edenred, Jacques Stern, devra alors déployer tout son talent d’ancien argentier d’Accor pour assainir les finances, tout mettant le groupe en ordre de bataille en enclenchant, notamment, la dématérialisation des titres. « Cette séparation a été un grand avantage, estime Andrea Keller, aujourd’hui responsable d’Edenred PayTech, l’entité chargée de l’émission des solutions d’argent fléché d’Edenred et du traitement de toutes les transactions liées à leur utilisation. Nous avons pu focaliser notre attention et nos investissements sur notre métier, un secteur différent du tourisme et de l’hôtellerie . » Et acquérir une plus grande visibilité.

Avec l’appli Edenred, les tickets sont dématérialisés. Leur part dans l’activité est passée de 70% en 2015 à 44% aujourd’hui, au profit d’autres services proposés à l’international.©DR

En mai 2015, c’est le coup dur. Jacques Stern annonce, à la surprise générale, lors d’une convention de cadres son départ pour Global Blue, le champion mondial du remboursement de la TVA en Suisse. La Bourse réagit mal : l’homme est un dirigeant apprécié des investisseurs et sa succession n’est pas prête. Sans compter que son directeur financier quitte également le navire. Une période d’incertitude s’ouvre alors pour le groupe. À l’automne 2015, Bertrand Dumazy, un homme inconnu du sérail mais au charisme certain, accepte de prendre la relève. Au cours d’une carrière qui l’a mené du cabinet de consultant Bain au LBO de Deutsch (champion des connecteurs électriques pour milieux extrêmes, également à l’origine de l’entreprise d’ingénierie en ligne Constructeo), ce quadra formé à l’ESCP et Harvard a appris à évoluer dans un environnement très international.

Un an après son arrivée, cette force de la nature chaleureuse et souriante lance un premier plan stratégique sur trois ans, Fast Forward, puis un second, Next Frontier, en s’appuyant largement sur les vétérans de l’entreprise : Arnaud Erulin, alors patron de l’Europe centrale et de la Scandinavie, Gilles Coccoli, directeur général du Brésil, et Andrea Keller, responsable de l’Italie, mais également sur un nouveau directeur financier Patrick Bataillard. Venu du transport routier, celui-ci connaît la valeur de l’argent. Ambitieux, les objectifs de croissance passent par davantage d’investissements, donc moins de redistribution des profits sous forme de dividendes. « Les investisseurs nord-américains, qui représentent 50 % de l’actionnariat, nous ont suivis car ils aiment les stratégies ambitieuses de croissance », insiste Bertrand Dumazy, le regard pétillant derrière ses lunettes à monture noire. Et ils ne seront pas déçus. Car les résultats ont dépassé leurs espérances.

1,5
milliard Le nombre annuel de repas financé par des tickets-restaurants Edenred dans le monde, soit 576 millions par jour ouvré (Source : Edenred).

Entre 2016 et 2022, le chiffre d’affaires est passé de 1 milliard à 2 milliards d’euros, les effectifs de 5.000 à 12.000 personnes et la croissance moyenne du résultat a atteint 12 % dans un marché en pleine mutation. Un formidable parcours », commente Sabrina Blanc, qui suit la valeur depuis ses premiers pas en Bourse pour la banque d’investissement et de financement de Société Générale. Pour le responsable des avantages aux salariés, Arnaud Erulin, dans le groupe depuis 1993, « Bertrand Dumazy a su canaliser l’énergie historique des équipes et apporter énormément de méthode, de cadre et d’ambitions » . Entre les acquisitions ( Reward Gateway , Go Integro, CSI), l’innovation et des investissements en technologie cumulés de 2 milliards d’euros, bien au-delà de ce que font les concurrents, Edenred élargit régulièrement ses domaines de compétence, réduit les coûts d’accès à ses services à travers la dématérialisation et accède ainsi à une nouvelle catégorie de clientèle de plus petite taille composée de PME et d’artisans.
De fil en aiguille, la part du ticket-restaurant dans l’activité est passée de 70 %, à l’arrivée de Bertrand Dumazy, à 44 % aujourd’hui, au profit d’autres services, comme le ticket carburant et la maintenance des flottes de véhicules au Brésil, la dématérialisation des paiements par chèque interentreprises aux Etats-Unis, ou encore le remboursement de la TVA dans plusieurs pays européens. La tendance va se poursuivre, notamment à partir de la duplication en Europe continentale des avantages bien-être et engagement proposés par Reward Gateway en Grande-Bretagne, en Australie et aux Etats-Unis. Même si le groupe compte bien conforter ses positions dans un marché français (16 % du chiffre d’affaires) encore sous-digitalisé par rapport à l’Espagne ou au Brésil. L’essor du télétravail depuis le Covid et la période inflationniste y ont toutefois suscité un regain d’intérêt pour le ticket-restaurant, ainsi que toute une palette d’avantages pour séduire et fidéliser les salariés, malgré la récente polémique sur le montant des commissions prélevées par les émetteurs auprès des commerçants. « La notoriété du ticket-restaurant est si forte qu’elle a tendance à faire oublier tout le reste » , observe le directeur financier Julien Tanguy.

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr