Un chef d’Etat privé de son avion pour des factures impayées. C’est la situation cocasse dans laquelle se trouve le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, depuis que son Falcon 7X, a été saisi et vendu aux enchères à Bordeaux.
La vente s’est déroulée le 3 octobre, à l’hôtel Intercontinental. Ce jour-là, des clichés du jet au liseré vert, jaune et rouge sont projetés sous les dorures du salon Sauternes. Le commissaire-priseur détaille le millésime, les heures de vol et les caractéristiques techniques. Malgré les encarts dans des journaux annonçant cette vente judiciaire peu banale, les acheteurs ne se bousculent pas. Il faut du cran pour s’offrir un bien confisqué à un président en exercice.
Un prix bradé
L’enchère se conclut au premier coup de marteau. L’appareil est adjugé 7,1 millions d’euros, soit un tiers ou un quart de sa valeur. Un prix « bradé », s’offusque le gouvernement congolais, qui a subi l’affront à des milliers de kilomètres.
L’identité du nouveau propriétaire du Falcon aux armoiries du pays – le lion portant la torche, encadré de deux éléphants – reste un mystère. Mais celui qui a monté cette opération retentissante et à qui reviendra le produit de la vente est connu.
Il s’agit de Mohsen Hojeij, ennemi juré de Denis Sassou-Nguesso. Autrefois à tu et à toi avec l’homme qui règne d’une main de fer sur le Congo, ce Libanais issu d’une grande famille chiite ferraille contre lui depuis la fin des années 1980.
La pomme de discorde : des factures que l’Etat n’a pas intégralement réglées à Commisimpex, sa société de BTP. Entre 1983 et 1988, celle-ci avait remporté plusieurs marchés publics, notamment un programme de construction et d’assainissement à Brazzaville. Les juteuses promesses ont laissé place à une guérilla judiciaire dont l’épicentre se trouve en France.
Pigasse et Strauss-Kahn
Deux sentences de la cour internationale d’arbitrage de Paris de 2000 et 2013 constituent le point de départ de ce feuilleton presque aussi rocambolesque que la saga Ioukos , ce litige à 50 milliards qui oppose des investisseurs au Kremlin.
Les juges donnent raison à l’homme d’affaires libanais et condamnent le Congo à l’indemniser. Mais la victoire s’avère toute théorique face à un adversaire enferré dans le déni. Denis Sassou-Nguesso refuse de verser le moindre centime.
Matthieu Pigasse, qui l’a conseillé pendant des années – jusqu’à son départ de Lazard en 2019 -, affirme aux « Echos » qu’il « ne connaît pas le dossier ». Dominique Strauss-Kahn, venu offrir ses services de consultant ne s’en est sans doute pas davantage mêlé. L’ex-patron du FMI négociait une aide pour le pays auprès de son ancienne maison.
Le rythme d’intérêts annuel est d’environ 9 à 10 %, soit 150 à 170 millions d’euros.
L’ardoise est pourtant astronomique. Elle se monte aujourd’hui à 1,7 milliard d’euros. Soit environ 12 % du PIB congolais ! « Le rythme d’intérêts annuel est d’environ 9 à 10 %, soit 150 à 170 millions d’euros », avance Jacques-Alexandre Genet, l’avocat du créancier, qui se démène pour que le Fonds monétaire cesse d’ignorer cette donnée.
Avec une créance pareille, l’entreprise de BTP est sans doute le premier prêteur privé de la République du Congo, devant les tout-puissants négociants pétroliers Trafigura et Glencore, avec qui le pays a fini par trouver un accord pour régler sa dette.
Convocation de l’ambassadrice
Pour se rembourser, l’entrepreneur libanais, qui vit sous la protection de gardes du corps, devrait saisir et vendre 240 Falcon présidentiels ! Inimaginable. Chaque actif congolais qui tombe dans ses filets requiert des trésors d’ingéniosité, du temps, et sans doute beaucoup d’argent. En témoigne l’affaire du jet privé.
Le 3 octobre, à peine quelques heures après l’enchère, l’ambassadrice de France à Brazzaville est convoquée par le ministre des Affaires étrangères de Sassou-Nguesso, choqué par ces « procédures vexatoires, qui tendent à humilier la République du Congo ». Pas de quoi impressionner la diplomate fraîchement nommée par Paris. « Il y a un principe qu’il est difficile de faire comprendre entre nos deux pays : en France, les décisions de justice ne se discutent pas, c’est la règle de droit, la justice est indépendante », lâche Claire Bodonyi, invitée sur le plateau du 20 Heures d’une chaîne de télévision locale. Cette affaire de créance « très sensible », selon ses termes, « n’est pas un sujet diplomatique, c’est un sujet juridique ».
Le Congo prétend que la procédure n’est pas terminée. Il n’y a en réalité plus de recours possible. Le mauvais payeur ne peut plus récupérer son avion.
Il le sait d’autant mieux que cette manche s’est jouée trois ans plus tôt. Il faut remonter au 5 juin 2020. Ce jour-là, l’un des avocats de Mohsen Hojeij donne l’alerte. La balise GPS du Falcon 7X de Denis Sassou-Nguesso vient de se réveiller. Les équipes du créancier libanais l’ont identifiée en 2015, mais celle-ci a ensuite cessé d’émettre. Le signe d’une certaine paranoïa des autorités congolaises ?
Locaux de Dassault Falcon Service
Ce vendredi de juin, en fin de matinée, les conseillers de Commisimpex scrutent la trajectoire de l’appareil. Le Falcon blanc décolle du Congo et se dirige vers l’Hexagone. La chance est avec eux. En fin d’après-midi, il atterrit à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Les avocats mandatent un huissier de toute urgence. Après quelques péripéties, le jet est saisi le lundi à la première heure dans les locaux de Dassault Falcon Service, où il fait une visite de maintenance.
Il y a un principe qu’il est difficile de faire comprendre entre nos deux pays : en France, les décisions de justice ne se discutent pas. Le jeu du chat et de la souris ne s’arrête pas là. Le gouvernement congolais tente d’obtenir la levée de la saisie. Brazzaville ayant renoncé à son immunité dans ses contrats avec Commisimpex, seuls des biens utilisés à des fins diplomatiques bénéficient d’une protection. Pour confisquer le Falcon, il faut donc démontrer aux juges qu’il ne rentre pas dans cette catégorieLe carnet de vol et l’agenda officiel de la présidence recèlent une mine d’informations. Il n’y a qu’à piocher. Un exemple avec la journée du 4 mai 2020 : l’appareil effectue un aller-retour entre Brazzaville et Antananarivo, à Madagascar. Objectif : « acheminer des médicaments à base de plantes médicinales prétendument miraculeux contre le coronavirus », lit-on dans les écritures transmises au juge. La mission n’a rien de diplomatique. CQFD.
Boeing luxueux, salon, salle de bain
Surtout, pour ses voyages diplomatiques, le président que les Africains surnomment « l’empereur » préfère utiliser un Boeing 787. Un appareil « beaucoup mieux adapté aux déplacements officiels à l’étranger d’un chef d’Etat puisqu’il a été réaménagé de façon très luxueuse pour recevoir 40 personnes et dispose notamment d’un salon, d’une salle à manger, d’une chambre, d’une salle de bain », souligne avec une pointe d’ironie l’avocat du créancier.
C’est d’ailleurs dans ce Boeing que l’ancien officier parachutiste s’est rendu aux obsèques de son ami Jacques Chirac à Paris en septembre 2019.
Cette bataille perdue, le clan Sassou-Nguesso va tenter un coup. Il va essayer de faire annuler la sentence arbitrale de 2013. Des conseillers et enquêteurs privés montent un dossier d’accusation à l’encontre du président du tribunal qui a tranché en faveur du créancier. Ce juge français est une sommité dans le monde de l’arbitrage.
Montres Rolex
Les faits allégués sont graves. On parle de « liens financiers et secrets avec Commisimpex » et d’un « pacte de corruption ». Ses accusateurs déclarent qu’il aurait reçu des cadeaux, dont des montres Rolex, et qu’il aurait négocié un pourcentage sur le montant de la condamnation à venir contre le Congo. Les mêmes font valoir que la société Commisimpex est proche du Hezbollah.
« Après deux ans d’instruction, le tribunal a rendu une sentence de plus de 100 pages qui balaie une par une les allégations de la République du Congo », s’est félicité l’avocat de Mohsen Hojeij, lorsque la décision a été rendue publique, il y a un mois.
Trois juges ont débouté Brazzaville à l’unanimité. L’arbitre mis en cause a estimé « être la victime indirecte d’une grossière manoeuvre destinée à retarder l’exécution de la sentence ».
Le parquet national financier a ouvert une information judiciaire qui est toujours en cours, selon nos informations.
L’hinterland burkinabé
Le jeu est dangereux. Les recours abusifs du Congo peuvent se retourner contre leurs instigateurs. Kevin Grossmann en a fait l’amère expérience. Cet avocat français, qui se présente sur son site Internet comme « le stratège des présidents », dont l’influence s’étend « de l’hinterland burkinabé aux rives du fleuve Congo, de Port-au-Prince à Alger ou encore Djibouti » n’est pas près d’oublier le camouflet du 10 novembre 2022.
Ce jour-là, la cour d’appel l’a condamné aux dépens, solidairement avec son client – la République du Congo -, jugeant qu’il avait intenté une procédure « particulièrement injustifié [e] ». Une sanction rare.
L’année où l’audacieux avocat est finalement évincé, un autre épisode dans la saga des biens congolais a défrayé la chronique : celui de la villa de Vaucresson. Comme pour le Falcon présidentiel, les juges ne reconnaissent pas le caractère diplomatique de la propriété située dans cette commune bourgeoise de l’ouest parisien. Ils ordonnent une vente forcée par adjudication. L’entreprise de Mohsen Hojeij achète elle-même la demeure délabrée.
Drapeau sur la villa de Vaucresson
Mais, coup de théâtre, quatre mois plus tard, en avril 2022, les autorités congolaises ont repris possession des lieux par effraction. Les serrures ont été changées. Un drapeau flotte, accroché à la façade blanche, tandis qu’une affichette scotchée sur la boîte à lettres indique « délégation permanente du Congo auprès de l’Unesco ».
La technique des fausses plaques diplomatiques est un classique des contentieux en recouvrement de créances touchant des Etats. Mais cette fois, la manoeuvre dépasse les limites. La police débarque, le parquet est saisi, le quai d’Orsay alerté.
Au long de cette bataille homérique, Commisimpex affirme avoir récupéré 45 millions d’euros. Immeuble dans les beaux quartiers de Paris, avoirs placés auprès du Trésor français, subventions versées par l’ Agence française de développement , comptes bancaires… même les impôts dus par EDF ou Air France au Congo ont été pris pour cibles. Toutes les saisies n’ont cependant pas abouti.
Cette affaire demeure un caillou dans la chaussure du pays africain. « Quand le Congo rencontre de grands investisseurs du type Blackrock, Fidelity ou Amundi, ils posent inévitablement une question sur la dette Commisimpex », témoigne un acteur financier.
La banque Rothschild , mandatée il y a deux ans par la République du Congo pour l’accompagner dans son programme avec le FMI et faire remonter sa note de crédit, devra s’y préparer. Les nouveaux conseillers de Denis Sassou-Nguesso envisageraient d’organiser des rencontres avec les investisseurs l’an prochain et, à terme, une opération d’échange de dette sur les marchés. Un défi.
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