Une révolution financière dans un petit pays d’Amérique centrale. C’était le 7 septembre 2021, lorsque le Salvador est devenu le premier pays au monde à faire du bitcoin une monnaie officielle. Une réforme historique, portée par un jeune président triomphalement réélu ce dimanche à la tête de ce pays de 6,3 millions d’habitants. Nayib Bukele, 42 ans, qui se qualifie lui-même de « dictateur cool », s’est employé durant son premier mandat à redorer l’image d’un pays gangrené par la criminalité, et dont la majorité de la population reste prisonnière de la grande pauvreté.

Au centre de cette opération de modernisation, faire du Salvador le premier pays à reconnaître légalement le bitcoin . Une décision audacieuse, qui a permis au Salvador, et à son médiatique président, de se faire connaître du monde entier, et plus particulièrement des cryptos enthousiastes.

Moins de 2 % des transferts de fonds via les cryptos
« À court terme cela créera des emplois et contribuera à l’inclusion financière de milliers de personnes en dehors de l’économie formelle », avait promis le président lors de l’adoption de la « Ley bitcoin ». Le but affiché par le chef de l’Etat est notamment de récupérer des frais de transfert d’argent de la diaspora salvadorienne vers la population restée au pays, dont 70 % ne possèdent pas de compte bancaire. Des frais bancaires qui représentent près de 6 milliards de dollars chaque année et qui pèsent l’équivalent de 20 % du PIB du Salvador.
Pour encourager l’utilisation du bitcoin le gouvernement a alors lancé un portefeuille virtuel appelé « Chivo », et offert l’équivalent de 30 dollars en bitcoin pour toute personne téléchargeant l’application. Des centaines de distributeurs sont également installés dans le pays pour échanger leurs bitcoins en dollars. Quelques semaines après son lancement, l’opération semble être un succès et les autorités annoncent que la moitié de la population a téléchargé l’application.
Mais en réalité, une fois les 30 dollars retirés, la majorité des Salvadoriens n’a jamais réutilisé son portefeuille Chivo. Selon le bureau national de recherche économique (NBRE), un organisme privé américain, 40 % de tous les téléchargements de Chivo ont eu lieu en septembre 2021, et « presque aucun » en 2022. Et les transferts d’argent, qui ont servi d’argument à l’adoption du bitcoin, n’ont jamais décollé. Selon la Banque centrale salvadorienne (BCR), moins de 2 % des envois de fonds sont entrés dans le pays via des portefeuilles cryptos entre janvier et novembre 2023.
Le « Chivo » n’a pas non plus trouvé de salut auprès des Salvadoriens restés dans le pays. Seuls 12 % des Salvadoriens interrogés dans le cadre de la dernière enquête de l’Université d’Amérique centrale (UCA), ont déclaré avoir utilisé du bitcoin pour payer ou acheter quelque chose en 2023. 85 % ont répondu qu’ils ne l’avaient pas utilisé au cours de l’année, et les 3 % restants ont déclaré ne jamais l’avoir utilisé. Entre les freins technologiques et la précarité financière, l’adoption du bitcoin n’a jamais vraiment trouvé son public.

Avertissements du FMI
L’entrée du Salvador dans l’ère bitcoin a également été marquée par un long hiver crypto. Une métaphore saisonnière pour désigner la dégringolade du marché des actifs numériques qui a maintenu le cours du bitcoin dans une longue phase baissière. De près de 50.000 dollars l’unité de bitcoin lors de sa légalisation, la reine des devises numériques a perdu plus de la moitié de sa valeur dans l’année qui suivit. Une conjoncture qui n’a néanmoins pas refroidi l’ardeur du président pour la crypto, avec l’achat d’un bitcoin par jour pour le compte de l’Etat depuis novembre 2022. Un investissement direct de l’Etat qui s’évalue à 121, 4 millions de dollars, d’après le site spécialisé et non officiel, Nayibtracker.com. Soit un rendement d’1,24 % depuis que cette politique d’accumulation de bitcoin a été mise en place, et qui serait largement dans le rouge, sans le récent rebond du marché des cryptomonnaies.
De quoi donner du relief aux avertissements du FMI qui exhorte le Salvador à retirer le bitcoin du marché officiel, pointant la volatilité de la cryptomonnaie et sa perméabilité au blanchiment d’argent. Nayib Bukele négocie âprement avec l’institution monétaire pour obtenir un prêt d’1,3 milliard de dollars alors qu’en 2022, la dette publique du pays a atteint 25 milliards de dollars, un record en trente ans. Mais Nayib Bukele persiste et signe. « Nous sommes pleinement conscients que le prix continuera à fluctuer à l’avenir, cela n’affecte pas notre stratégie à long terme », a-t-il fait savoir, promettant qu’après sa réélection, le bitcoin restera une des monnaies officielles du pays.

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