Le Sénégal s’enfonce dans une crise provoquée par la décision du président de la République d’annuler l’élection présidentielle. Après plusieurs tentatives de manifestations réprimées par les forces de sécurité, les Sénégalais se sont réveillés mardi matin avec une nouvelle date de scrutin dans dix mois, votée dans le chaos par l’Assemblée nationale. Comment en est-on arrivé là ? Eléments d’explications.

1. D’où est partie la crise ?
Le président Macky Sall a pris la population et l’opposition de court samedi dernier en annonçant, lors d’une brève allocution télévisée, l’annulation de l’élection présidentielle à trois semaines du vote. Il a justifié sa décision en évoquant un « différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert à propos d’une supposée affaire de corruption ».
Pour comprendre ce « différend », il faut remonter au 20 janvier, date à laquelle le Conseil constitutionnel a validé définitivement la liste des candidats admis à participer à l’élection présidentielle. A la surprise générale, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, a vu sa candidature rejetée. En cause : sa double nationalité franco-sénégalaise. Un imbroglio administratif qui s’est transformé en crise politique lorsque le camp Wade a accusé Amadou Ba, Premier ministre et candidat de la coalition au pouvoir, d’avoir lui-même corrompu deux sages du Conseil pour rejeter le dossier de leur champion. Pour éclaircir la situation, une commission d’enquête parlementaire a été chargée de déterminer les conditions de l’élimination de Karim Wade par le Conseil constitutionnel. Pour le président de la République, cette situation menaçait sérieusement « la crédibilité du scrutin. »

2. Comment le président a-t-il pu faire passer ce report ?
Pour reporter le scrutin présidentiel, Macky Sall a abrogé le décret convoquant les électeurs sénégalais aux urnes. La Constitution lui interdisant de prolonger lui-même son mandat, un projet de loi repoussant la date de l’élection a été présenté dans la foulée et voté par les députés à l’Assemblée nationale lundi soir, après une séance chaotique qui a fini par l’intervention de la gendarmerie dans l’hémicycle.
Cette nouvelle loi prévoit que le président Macky Sall reste au pouvoir en attendant le prochain scrutin programmé le 15 décembre. Pour Babacar Gueye, professeur de droit constitutionnel à l’université Cheikh-Anta-Diop, « cette loi est inconstitutionnelle puisque la Constitution stipule que la durée du mandat présidentiel est sanctuarisée et ne peut pas faire l’objet de révision. »

3. Que risque-t-il de se passer maintenant ?
C’est la grande inconnue. Depuis l’indépendance du pays le 4 avril 1960, l’élection présidentielle au Sénégal n’a été reportée qu’une seule fois, en 1963. Cette crise est donc quasiment inédite. Pour l’heure, la situation est calme et la rue est étroitement surveillée par le pouvoir, qui craint des débordements. Depuis lundi matin, les données Internet mobiles sont coupées, ce qui complique la tâche des manifestants qui utilisent les réseaux sociaux pour se mobiliser.

4. Que disent la communauté internationale et les Etats voisins ?
La communauté internationale n’a pas tardé à réagir à la suite de l’annonce de Macky Sall. Après la Cédéao, qui a fait part de sa « préoccupation » sur la situation du pays, la France a appelé le pouvoir à « lever les incertitudes autour du calendrier électoral », tandis que les Etats-Unis se sont déclarés « profondément préoccupés » par les événements. Dimanche, l’Union européenne a appelé à la tenue d’une élection « transparente, inclusive et crédible ».
A l’inverse, le président Umaro Sissoco Embalo de la Guinée-Bissau voisine a publié un message sur le réseau social X pour féliciter le président sénégalais de sa « sage décision ».

5. Quelle était la situation dans le pays ces dernières années ?
Au sein de la région, le Sénégal a toujours fait figure de modèle en termes de transition démocratique. Depuis son indépendance et contrairement à ses voisins le Mali, la Guinée ou encore le Burkina Faso, le pays n’a jamais connu de coup d’Etat.
Au mois de juin, la situation politique s’était déjà brutalement tendue à la suite de la condamnation judiciaire de l’opposant Ousmane Sonko pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». La rue s’était soulevée et la répression avait fait plus d’une vingtaine de morts, selon l’ONG Amnesty International. Le président Macky Sall avait ensuite rassuré la communauté internationale et une partie de la population en annonçant ne pas se représenter pour un troisième mandat. Jusqu’à ce dernier retournement de situation.

6. Peut-on parler d’un « putsch » ?
Dès l’annonce de l’annulation du vote, l’opposition a dénoncé un « coup d’Etat institutionnel ». Khalifa Sall, candidat à l’élection et ancien maire de Dakar, a même appelé à « dresser des barricades contre la monarchisation [du] pays ». Plusieurs juristes dénoncent également un précédent dangereux pour la démocratie et l’Etat de droit dans le pays. Pour autant, les institutions semblent en partie fonctionner normalement puisque la loi actant le report de l’élection a pu être votée à l’Assemblée nationale.

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr