En mai 1977, les Sex Pistols ont atteint le sommet des « charts » britanniques avec l eur reprise déjantée de « God save the Queen » . Le mouvement punk né en marge de la société et en réaction à l’ordre établi venait de faire son entrée dans la culture populaire. Il n’allait plus en ressortir, devenant une composante à part entière de la musique rock.

Un demi-siècle plus tard, c’est un moment équivalent que vient de vivre le bitcoin. Le 10 janvier dernier, les autorités boursières américaines lui ont ouvert les portes de Wall Street. En autorisant la création de produits d’épargne abritant le roi des cryptoactifs, elles l’ont fait passer à son tour de l’ombre à la lumière. Du ghetto de la finance alternative à la respectabilité du monde de la gestion d’actifs. Jusque-là globalement réservée aux initiés, la devise électronique créée par des outsiders désireux d’imaginer un système de paiement inviolable et décentralisé échappant aux canons de l’industrie financière, est devenue accessible aux épargnants, en tout cas américains. Une forme d’adoubement équivalent à ce qu’avait connu Johnny Rotten, Sid Vicious et consorts à l’époque.

L’or du XXIe siècle
Le succès a été immédiat. Le meilleur lancement d’ETF (fonds indiciels cotés) depuis trente ans. Et pour le moment personne n’a à s’en plaindre. Le cours du bitcoin s’est envolé. Il a pris 40 % en un peu plus d’un mois, franchissant allègrement la barre des 60.000 dollars pour la première fois depuis plus de deux ans. Le record historique de 69.000 dollars est en vue et la fête pourrait bien durer encore quelque temps. Pour une raison simple, le bitcoin est un actif rare. Il en existe un nombre limité en circulation et on sait d’ores et déjà que l’on n’en créera pas plus de 21 millions. De quoi donner corps à l’idée qu’il serait l’or du XXIe siècle. Un métal jaune new-look, dont on connaîtrait précisément la quantité.
La traduction financière de cette « finitude », c’est l’illusion que la tendance haussière des produits récemment commercialisés est garantie à long terme par le simple jeu d’une offre limitée et d’une demande en forte expansion. Un rêve d’investisseurs si tout se passe comme prévu. Un rêve surtout pour Wall Street, qui a beaucoup poussé pour que la SEC, l’AMF made in USA, approuve ces nouveaux produits. Le jeu en valait la chandelle, il faut dire, puisqu’il a abouti à la création d’une nouvelle classe d’actifs – on parle déjà de la création d’options sur le bitcoin – promesse de revenus supplémentaires pour l’industrie financière.

Subprime, Saison 2
Comparaison n’est évidemment pas raison. Mais un quart de siècle après les crédits subprime, les géants de la finance américaine sont en train de réécrire le même scénario. Celui de l’exploitation à l’échelle industrielle d’un filon répondant à une demande plus ou moins légitime au mépris des risques de formation d’une bulle spéculative. Une forme de cynisme illustrée par les déclarations récentes de Jamie Dimon, le très respecté patron de la première banque mondiale . Alors que JPMorgan joue un rôle clé dans la gestion des ETF récemment lancés et que ses gestionnaires de fortune pourront les proposer à leurs clients, il a conseillé de s’en tenir à distance, les comparant à des animaux de compagnie virtuels sans valeur réelle.
Et c’est bien là le problème. Quinze ans après sa création, si la technologie sur laquelle repose le bitcoin constitue une véritable innovation, la valeur économique réelle de la cryptomonnaie, et celle de l’ensemble de ses avatars d’ailleurs, reste un mystère. Dans une note publiée le 22 février, deux représentants de la Banque centrale européenne vont même plus loin . Ils en dénoncent « les fausses promesses » et les risques multiples. Un réquisitoire aux accents convaincants. Ils lui dénient d’abord toute valeur intrinsèque « en l’absence de flux de trésorerie ou d’autres rendements ». Tout ce qui brille n’est pas or ! Ils rappellent en outre que le bitcoin reste très peu utilisé en tant que moyen de paiement. En 2023, seuls 6.000 commerçants dans le monde l’acceptaient comme monnaie d’échange. Voilà pour les promesses non tenues.

Risques avérés
Concernant les risques, les auteurs de la note sont tout aussi catégoriques. Estimant que les cryptomonnaies restent utilisées dans le financement du terrorisme et pour le blanchiment d’argent, ils les qualifient de « monnaie du crime ». La plateforme Chainalysis recensait l’an dernier 22 milliards de dollars de fonds blanchis par des « cryptocriminels ». Une estimation forcément discutable, mais significative pour un univers dont la valeur de marché oscillait alors autour des 1.000 milliards l’an dernier. Quant à l’impact environnemental des cryptos, plus personne ne l’ignore depuis que l’on connaît la consommation d’électricité des fermes de minage.
Dans de telles conditions, rendre le bitcoin accessible aux épargnants peut paraître surprenant voire irresponsable. Difficile en tout cas de ne pas y voir la marque du court-termisme de Wall Street, capable de faire passer un pur objet spéculatif et non régulé pour un actif financier comme les autres. « Quand il n’y a pas de futur, comment peut-il y avoir des pêchés », chantaient les Sex Pistols en 1977.

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