« En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afro-descendante, j’ai choisi d’être de ceux qui refusent d’oublier, qui refusent l’amnésie comme méthode », a déclaré Mati Diop en recevant, le 24 février, son Ours 2024 à Berlin.

Son film « Dahomey » raconte le processus de restitution au Bénin des 26 oeuvres pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises. Plus qu’un coup diplomatique, la cinéaste voit dans les restitutions une manière de rendre son histoire à la jeunesse africaine à travers une réappropriation culturelle. C’est un nouveau signal de rappel sur un chantier à peine démarré.
Car c’est un moment de bascule pour les trois pays les plus concernés par les restitutions à l’Afrique : France, Allemagne et Belgique. En février 2023, à la veille d’ une tournée en Afrique, Emmanuel Macron avait annoncé l’adoption d’une « loi-cadre » visant à faciliter à de nouvelles restitutions « au profit des pays africains qui le demandent », tout en souhaitant que cette démarche s’inscrive dans une dynamique européenne.
De fait, le principe de l’inaliénabilité des collections nationales impose de passer par le Parlement pour toute restitution à travers une « loi spéciale ». L’avantage d’une loi-cadre est de simplifier et de fluidifier la procédure.
Las ! Les remaniements gouvernementaux ont ralenti le processus. Et malgré la volonté revendiquée de la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, de reprendre le flambeau, la loi-cadre est encore restée dans les limbes. Six ans après le rapport de 2018 de l’historienne Bénédicte Savoy et de l’économiste sénégalais Felwine Sarr, qui prônait le retour définitif et sans condition des biens ayant fait l’objet de pillages durant la période coloniale, un autre rapport visant à « encadrer la loi-cadre » semble avoir refroidi les ardeurs au Parlement.
Dans ce rapport, l’ancien directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, prône l’adoption de neuf conditions de « restituabilité » qui, outre les critères d’acquisition illégale ou illégitime, imposeraient notamment à l’Etat demandeur de s’engager à préserver la nature patrimoniale des biens et à en assurer la présentation muséale au public.

« Fait du prince »
« C’est un rapport du siècle dernier qui reflète une approche coloniale très restrictive », s’insurge la franco-béninoise Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation Zinsou pour l’art contemporain, qui a joué un rôle moteur dans la restitution des oeuvres du Quai Branly au Bénin. D’autres s’inquiètent, au contraire, que ces critères soient purement « indicatifs » en laissant la décision finale au pouvoir politique, c’est-à-dire… au fait du prince, en invoquant la « faute historique » de Macron à Ouagadougou, en 2017, où il se serait arrogé, seul, le signal des restitutions.
Mais la question du retour des oeuvres dépasse largement l’idée d’un coup politico-diplomatique. C’est devenu une véritable urgence géopolitique si l’on veut permettre à l’Afrique de s’émanciper des vieux schémas néocoloniaux. L’Allemagne a déjà entrepris de restituer un millier de pièces au Nigeria. « Sans le discours de Macron à Ouagadougou et le rapport Savoy-Sarr, rien ne se serait fait », reconnaissait un diplomate allemand dans le cadre d’une récente conférence sur les restitutions à l’Afrique, organisée à l’hôtel Beauharnais à Paris.
Soixante ans après l’éditorial de l’écrivain-journaliste Paulin Joachim, « Rendez-nous l’art nègre » dans la revue « Bingo », le précédent béninois a déjà créé une dynamique culturelle au Bénin, avec la mise en chantier de quatre musées. Bénédicte Savoy estime à 500.000 pièces le total des oeuvres africaines détenues dans les musées européens, sans compter les collections du… Vatican.
En guise d’avancée, la France et l’Allemagne ont lancé, à la mi-janvier, un fonds de recherche commun sur la provenance des biens culturels issus d’Afrique subsaharienne. Mais la politique des petits pas ne suffira pas à remédier à un déséquilibre criant.

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