Si les cieux sont plutôt généreux en pluie depuis le début de l’année, permettant aux agriculteurs de connaître une rare et relative sérénité, cette parenthèse humide ne saurait occulter la tendance de fond. Alors qu’il faudra nourrir près de 10 milliards d’individus d’ici la fin du siècle, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) affirme que, du fait de la multiplication des sécheresses, les rendements agricoles dans le monde ont baissé de 25 % entre 1961 et 2006. Le réchauffement climatique renforce bien évidemment cette dynamique et les agriculteurs ne s’y trompent pas, comme le montre une récente étude du géant allemand de la chimie Bayer réalisée auprès de 500 exploitants du monde entier. Ceux-ci, à une écrasante majorité, plaçaient la sécheresse au premier rang de leurs préoccupations, loin devant l’augmentation des températures ou la présence de nuisibles. Cependant, l’espoir reste permis.

Depuis quelques décennies, la littérature scientifique s’intéresse à une variété de molécules présentes naturellement au sein des plantes, les phytostérols. Ces lipides, résidant dans les membranes des cellules, jouent un rôle dans la croissance des plantes et dans leur défense contre le stress, notamment hydrique. Mais personne n’avait encore réussi à trouver la formulation pour faire pénétrer cette molécule dans les plantes et augmenter ainsi artificiellement le taux de phytostérols, afin de booster leurs défenses et leur croissance. Jusqu’à ce qu’Olivier Goulay, cadre d’un laboratoire travaillant pour le secteur de la cosmétique et utilisant ces précieux lipides, parvienne enfin à mettre au point la bonne recette.
Il comprend alors très vite le potentiel colossal de son produit pour l’agriculture et s’allie avec l’entrepreneur Jean-François Déchant et l’ingénieur agronome Aymeric Molin pour fonder la société Elicit Plant en 2017. L’équipe de la jeune pousse installe dans la ferme charentaise d’Aymeric Molin trois laboratoires de chimie, de biologie et d’agronomie pour développer leurs solutions au plus près des cultures. Pendant plusieurs années, ils potassent leurs recettes à l’abri des regards.

300.000 hectares couverts dans le monde
Et la sortie de l’anonymat est spectaculaire. En 2021, la société obtient sa première autorisation de mise sur le marché pour son produit destiné à la culture du maïs. En 2022, elle lève pas moins de 16 millions d’euros auprès de Sofinnova Partners, Bpifrance, ECBF, Naco, Crédit Agricole CPE et la région Nouvelle-Aquitaine pour accélérer la commercialisation de sa solution. Deux ans plus tard, ses produits sont utilisés sur 300.000 hectares dans le monde, en France, au Brésil, en Ukraine et dans d’autres pays européens, et elle vient récemment de recevoir les autorisations nécessaires pour accéder au marché américain dans quelques Etats de la « corn belt ». Voici la fiche d’identité de ces biostimulants au succès foudroyant, dont le principal atout est d’améliorer la croissance des plantes en les rendant résilientes à la sécheresse.
« Nous identifions le type de phytostérols que nous voulons dans les plantes, puis nous les extrayons avant de les formuler dans nos produits afin qu’ils puissent pénétrer dans la plante en plein champ, résume Jean-François Déchant, PDG et cofondateur d’Elicit Plant. Notre formulation spécifique, une suspo-émulsion, permet de pulvériser le produit sur la plante afin qu’il soit absorbé par les feuilles. » La start-up a développé une gamme de biostimulants destinés au maïs, au tournesol et à diverses céréales dont le blé et, surtout, l’orge de printemps.

« Nous ciblons en priorité les grandes cultures d’été, gourmandes en eau, assume le dirigeant. Si l’on veut sauver la planète, c’est par là que l’on doit commencer. » A l’échelle du globe, ces cultures représentent près de 90 % des surfaces agricoles – hors prairies et pâturages – et 25 % du territoire en France – dont la majorité, dans l’Hexagone, ne sont pas irriguées. D’où l’importance de cette solution, à mi-chemin entre le vaccin et l’immunothérapie, pour rendre les plantes plus résilientes à la sécheresse.

Naturel mais pas (encore) bio
Les produits d’Elicit Plant agissent sur les plantes de plusieurs manières. Déjà, en accroissant les racines des végétaux, ils permettent à ceux-ci d’étendre la zone où ils peuvent puiser de l’eau. En outre, en cas de stress hydrique, la molécule limite l’ouverture des stomates – l’équivalent feuillu des pores de notre peau – afin de restreindre l’évapotranspiration de la plante, qui conserve ainsi l’eau à son usage. Un atout majeur, quand on sait que le maïs, par exemple, peut évacuer en transpirant jusqu’à 98 % de l’eau qui lui est donnée ! Résultat, les cultures testées présentent en moyenne une augmentation de 10 % des rendements et une économie de 20 % dans l’usage de l’eau.
Pour l’agriculteur, l’usage du produit est simple. Vendu en bidon de 5 ou 10 litres, « il s’insère parfaitement dans l’itinéraire technique de l’exploitant qui peut l’appliquer avec son pulvérisateur », assure Jean-François Déchant. Il suffit de répandre le produit préventivement une seule fois au début du cycle de croissance de la plante, à raison d’un litre par hectare. Le tout pour un coût d’environ 40 euros/ha, avec un retour sur investissement moyen de trois fois la somme engagée pour le traitement grâce à la hausse des rendements et à l’économie en eau. En outre, il n’interfère pas avec les autres traitements utilisés sur les parcelles.

La recette exacte du produit est un secret bien gardé, mais Elicit Plant assure qu’il est composé à 99 % d’ingrédients naturels : les phytostérols et deux autres composants d’origine végétale. « Notre biostimulant a été classé sans risque pour l’environnement et la santé humaine par plusieurs agences de réglementation, en Ukraine, aux Etats-Unis ou encore par l’Anses en France, se réjouit le PDG de la société, grâce à des dossiers scientifiques très complets étudiant l’absence d’effet du produit sur l’environnement et la santé. » En revanche, les conditions d’extraction des phytostérols ne permettent pas pour l’instant son usage en agriculture biologique, mais la start-up assure travailler sur un nouveau produit compatible avec les normes du bio.

La vigne et le soja ciblés
Pour la gestion du cycle de l’eau, en revanche, l’impact de ce biostimulant pourrait être important si le produit venait à être généralisé, en limitant le recours à la ressource en eau pour les cultures irriguées ou en cas de sécheresse. En revanche, pour le moment, l’utilisation de cette molécule ne permet pas de se substituer aux produits phytosanitaires, qui agissent pour éliminer les nuisibles et non renforcer la plante. Mais la donne pourrait changer dans l’avenir, car Elicit Plant travaille à une nouvelle formulation qui pourrait permettre de limiter, pour certains végétaux, l’usage des fongicides.
Si la conception et la formulation de ses produits prennent place dans la ferme-laboratoire de Moulins-sur-Tardoire (16), la production industrielle est assurée par l’usine française Phyteurope, propriété du groupe Bioline by InVivo. Aujourd’hui, la start-up de 80 salariés fournit quelque 150 clients dans le monde entier, dont les coopératives françaises Axereal, Océalia, Dijon Céréales ou encore Maïsadour.

Et la jeune pousse croît toujours plus vite. Elle prépare une nouvelle levée de fonds de 40 millions d’euros, afin de développer son réseau de distribution dans le monde entier – coopératives ou négoces -, et planche au développement de nouveaux produits à destination du soja brésilien ou de la vigne française. Une manière de résoudre la quadrature du cercle et concilier durablement rendements agricoles, sécheresse et ressource en eau ?

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