L’intelligence artificielle (IA) est sans doute l’une des innovations technologiques les plus marquantes de ces dernières années, promettant de transformer divers secteurs d’activité et d’améliorer considérablement la productivité économique. Cependant, cette promesse se heurte à une observation paradoxale énoncée par l’économiste Robert Solow (1924-2023) – pionnier de la théorie de la croissance, prix Nobel d’économie pour une nouvelle approche de la croissance économique et de la part imputable à l’innovation technologique -, en 1987 : « Vous pouvez voir des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Ce paradoxe, connu sous le nom de paradoxe de Solow, soulève des questions cruciales sur la manière dont les avancées technologiques se traduisent (ou non) en gains de productivité mesurables.

Le paradoxe de Solow s’appuie sur l’observation que malgré l’adoption massive des technologies de l’information et de la communication (TIC) depuis les années 1970, les taux de croissance de la productivité ne montrent pas l’amélioration attendue.

Pas d’essor de la productivité
Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ce phénomène. Parmi elles, on trouve le temps nécessaire pour que les entreprises réorganisent leurs processus autour des nouvelles technologies, ainsi que l’idée que les investissements en TIC peuvent d’abord entraîner des coûts avant de générer des bénéfices substantiels. En d’autres termes, une transformation profonde des organisations doit s’opérer pour être efficiente dans l’utilisation de ces technologies.
L’IA, avec ses applications en apprentissage automatique, analyse prédictive et automatisation, semble être une nouvelle phase de cette révolution technologique. Cependant, pourquoi ne voyons-nous pas encore une augmentation spectaculaire de la productivité malgré l’enthousiasme suscité par l’IA ? Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : l’adoption de l’IA nécessite des investissements considérables en termes de temps, d’argent et de formation. Les entreprises doivent acquérir des technologies coûteuses, réorganiser leurs processus internes et former leur personnel . La courbe d’apprentissage est significative. L’IA requiert de grandes quantités de données pour être efficace. La collecte, le nettoyage et l’analyse de ces données sont longs et complexes. Les entreprises doivent expérimenter et affiner leurs modèles avant d’obtenir des résultats tangibles.
L’un des principaux obstacles à l’adoption de l’IA est la nécessité de former adéquatement la main-d’oeuvre. Les compétences requises pour développer, mettre en oeuvre et maintenir des systèmes d’IA sont spécialisées et en constante évolution. Il est crucial que les entreprises investissent dans la formation continue de leurs employés pour qu’ils puissent s’adapter aux nouvelles technologies. Sans une force de travail qualifiée, même les technologies les plus avancées ne pourront pas être pleinement exploitées. L’hybridation des compétences, souvent indispensable de nos jours, est de plus en plus sollicitée par les entreprises. Elle est une des clés pour réussir la complémentarité avec l’IA. Elle permet d’offrir aux salariés et à l’entreprise un cadre d’analyse plus holistique, ce qui favorise l’innovation et la créativité.

Adopter une vision holistique
Pour surmonter le paradoxe de Solow dans le contexte de l’IA, il est crucial de revoir et d’adapter nos méthodes de mesure de la productivité . Les gains apportés par l’IA pourraient se manifester sous forme d’innovations qualitatives qui ne se traduisent pas immédiatement en termes de production ou de ventes accrues. Par exemple, une meilleure personnalisation des services clients ou des diagnostics médicaux plus précis grâce à l’IA sont des avancées dont les effets positifs pourraient ne se faire sentir qu’à long terme.
De plus, l’IA pourrait créer de nouvelles opportunités économiques et des modèles d’affaires innovants qui échappent aux mesures traditionnelles. Par exemple, les plateformes d’économie de partage comme Uber ou Airbnb, qui reposent en grande partie sur des algorithmes d’IA pour optimiser l’offre et la demande , ont redéfini la façon dont nous comprenons la productivité et l’efficacité économique.
Le paradoxe de Solow reste un cadre pertinent pour analyser l’impact des nouvelles technologies, y compris l’IA, sur la productivité. Toutefois, pour vraiment comprendre et mesurer l’impact de l’IA, il est essentiel d’adapter nos indicateurs économiques et d’adopter une vision plus holistique de la productivité. En reconnaissant les défis d’adoption, les délais d’implémentation, l’enjeu crucial de la formation hybride et les gains qualitatifs apportés par l’IA, nous pourrions être mieux préparés à capturer les véritables avantages de cette révolution technologique . Seul le temps dira si l’IA parviendra à briser le paradoxe de Solow ou si nous devrons continuer à réévaluer nos attentes et nos méthodes de mesure de la productivité dans une ère de changement technologique rapide et permanent.

Anthony Hié est Chief Innovation & Digital Officer chez Excelia.

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