« Roads » est l’une des illustrations de ce que voudrait être le Renault du futur version Luca de Meo, aux manettes du groupe depuis quatre ans : une « tech company » où logiciels, algorithmes et intelligence artificielle (IA) mènent la danse. Objectif ultime ? Dans les usines comme dans les bureaux, gagner en efficacité, en maîtrise des coûts, en rapidité de développement et en finesse d’exécution. « Renault sera l’une des premières entreprises de la vieille économie à se retrouver intégralement dans le cloud », se félicite le patron qui reçoit dans son bureau du bâtiment X, l’immeuble historique de Boulogne-Billancourt où, en 1919, Louis Renault avait installé le siège de l’entreprise. « D’ici 2025 ou 2026, nous aurons créé un jumeau digital de toute la boîte. L’ensemble des données relatives à son fonctionnement seront accessibles partout et dans la même langue. On va casser les silos. Pour un même fait, on disposera tous de la même information. C’est un truc révolutionnaire, qui nous donne deux ou trois ans d’avance sur les autres ! » s’emballe le boss en blazer bleu, aminci par la pratique assidue du padel…

Scénario de science-fiction
L’organisation est déjà en pleine mutation pour appliquer ce scénario digne de la science-fiction. « On a la base technique, relève Philippe Krief, le nouveau directeur de l’ingénierie du groupe et directeur général d’Alpine. Le reste, c’est du management pur : il faut encourager la créativité, tester, risquer, donner le droit à l’erreur. » Pour l’instant, les équipes adhèrent à fond. Il faut dire que, malgré le contexte de plus en plus tendu sur le marché automobile mondial, les derniers résultats du groupe les y encouragent. Déjà un effet de la digitalisation à marche forcée ?
Toujours est-il qu’en 2023, le chiffre d’affaires de l’ensemble constitué des marques Renault, Dacia et Alpine, a grimpé de près de 18 % par rapport à l’année précédente : 52,4 milliards d’euros, pour 2,35 millions de véhicules écoulés. Le résultat net s’est affiché à 2,3 milliards. Surtout, la marge opérationnelle, indicateur phare de la santé de l’entreprise, s’est établie à 7,9 %. Au premier semestre, le curseur est même monté à 8,1 %. « Cela place Renault parmi les constructeurs les plus rentables du moment. Le groupe s’en sort même mieux que certains représentants du premium allemand comme BMW ou Mercedes ! » salue Rémi Cornubert, fondateur du cabinet de conseil en stratégie Strat Anticipation.

Cette fois, « l’alignement des planètes » cher à Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a joué en faveur de son éternel rival… Alors qu’elle avait loupé le créneau si rémunérateur du SUV de segment C (3008, etc.), la marque Renault est repassée à l’offensive et a engrangé les bénéfices de ses lancements et « restylages » opérés depuis 2022. « On a commencé avec Arkana, puis Austral, suivi du nouvel Espace et cette année de Symbioz, énumère le patron du losange, Fabrice Cambolive. La numérisation nous aide à faire des choix plus rapides et variés. » L’emblème a profité de son pari sur les motorisations hybrides, qui a boosté les ventes. « Nous avons choisi un segment gagnant, poursuit le directeur général de la marque. Aujourd’hui, nous sommes les seconds du marché en Europe, derrière Toyota. » Renault a su aussi tenir ses prix. « Il y a eu un effet de rattrapage. Pendant des années, la marque a sous-gagné, elle était à la traîne derrière ses rivaux, privilégiait les volumes plutôt que la valeur et accordait trop de rabais », commente Philippe Houchois, analyste chez Jefferies à Londres.

Il lui reste à réussir son pari dans l’électrique. Une obligation, pour l’inventeur de la Zoe, qui a créé dans le Nord un pôle consacré à l’électrique et aux batteries, baptisé Electricity. Mais pas une mince affaire. Les ventes de Megane et Scenic E-Tech ont déçu. Du coup, Renault fonde ses espoirs dès cette année sur la bonne bouille de la nouvelle R5, l’héritière à watts de l’ex-best-seller, désormais produite à la manufacture de Douai. Elle sera la vedette du stand Renault au Mondial de l’automobile de Paris, du 14 au 20 octobre.
Aujourd’hui, c’est encore Dacia qui, au sein du groupe, offre le profil le plus rassurant. En dépit de sa montée en gamme, accompagnée d’un relèvement des tarifs, la marque reste le chouchou des clients particuliers, un marché plus lucratif que celui des professionnels. Ses ventes ont progressé de près de 15 % en 2023 et la filiale roumaine du groupe compte poursuivre elle aussi, son incursion dans le segment C du business, démarrée avec Jogger. Pour y parvenir, Denis Le Vot, directeur général de Dacia, mise sur une arme de séduction massive : le gros SUV Bigster, lui aussi présenté au salon de Paris. « On refait le hold-up habituel ! » plaisante le patron depuis Berlin où, en ce début octobre, il est allé vanter les charmes du dernier-né (les Allemands adorent Dacia). « Le modèle est équipé de la climatisation bi-zone à l’avant et orientable à l’arrière, d’un vide-poche réfrigéré, d’un toit ouvrant, d’un haillon électrique. Il proposera plusieurs motorisations thermiques et hybrides. Malgré tout ça, le tarif d’entrée sera de 25.000 euros dans le premier cas et de moins de 30.000 euros dans le second, alors que dans cette catégorie de SUV, les tarifs dépassent allègrement les 35.000 euros », énonce le patron à la façon d’un bon camelot.
Les équipes d’Alpine, elles, n’ont pas non plus à rougir des performances récentes de la petite marque sportive du groupe . L’an dernier, les ventes de l’unique modèle A110 et de ses différentes versions ont progressé de 22,1 % (4.328 unités). L’accélération s’est poursuivie en 2024 et la famille s’agrandit. Le label au A fléché s’apprête à faire son apparition dans le créneau des petites voitures avec la A290 électrique, un clone de la R5 fabriqué sur la même plateforme. Et ce n’est pas fini. « En cinq ou six ans, nous allons développer une nouvelle gamme de produits électriques prémium et nous attaquer au segment des allemandes où nous n’étions pas présents », précise Philippe Krief, le directeur général de la marque et directeur de l’ingénierie du groupe…

« Miracoloso », comme on dirait de l’autre côté des Alpes ! Car rappelez-vous : il y a quatre ans, lorsque Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault et ex-patron de Michelin, débauche Luca de Meo chez Seat, le groupe est au bord du gouffre. Arrestation de Carlos Ghosn au Japon, guerre avec le partenaire Nissan, intérim loupé de Thierry Bolloré, résultats en berne… tout va mal. « A l’époque, on perdait 40 millions d’euros par jour », rappelle Luca de Meo. Un plan drastique avait même été décidé peu avant son arrivée. Il prévoyait 15.000 suppressions d’emploi dans le monde, dont 4.600 en France. Mais il aurait pu être encore plus sévère. Aujourd’hui, Luca de Meo, ancien bras droit de Sergio Marchionne chez Fiat, l’assure : il a empêché la fermeture de certaines usines françaises, alors envisagée.

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