Pour la première fois, la menace d’un démantèlement plane sur Google, accusé de pratiques anticoncurrentielles. Et elle est d’autant plus spectaculaire qu’elle vient concomitamment des Etats-Unis et de l’Europe.

Outre-Atlantique, c’est dans la recherche en ligne que les autorités antitrust envisagent une scission, alors que le géant de la Tech a déjà été visé, l’an dernier, par une plainte du ministère de la Justice qui veut scinder son activité de publicité sur le web . Google pourrait ainsi être sommé de se séparer de certaines de ses activités clés, notamment son navigateur Chrome et son système d’exploitation Android.
Mi-2023, l’Union européenne avait emboîté le pas aux Etats-Unis, en réclamant, fait rare, un démantèlement dans les technologies publicitaires. « La cession est le seul moyen » de dissiper les inquiétudes concernant la manière dont l’entreprise favorise ses propres services au détriment de ses rivaux, des annonceurs publicitaires et des éditeurs en ligne, avait alors lâché Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission européenne, dans une déclaration encore dans toutes les mémoires à Bruxelles.
Historiques, ces mouvements sont révélateurs d’un changement de paradigme dans la façon dont les autorités de la concurrence perçoivent désormais le pouvoir exorbitant des géants de la tech, qu’elles cherchent à limiter avec un cadre légal plus strict.

On ne compte plus les exemples de pratiques anticoncurrentielles dénoncées de part et d’autre de l’Atlantique dans quasi tous les secteurs d’activité de la quatrième entreprise mondiale, avec une capitalisation boursière de plus de 2.000 milliards de dollars.
Ici, on lui reproche d’avoir conclu des accords d’exclusivité avec des fabricants de smartphones pour imposer son moteur de recherche comme option par défaut. Des pratiques qui, selon les autorités, réduiraient le choix des consommateurs et freineraient l’innovation.
Là, on l’accuse d’abuser de son pouvoir dans le secteur de la publicité – dont il tire la majeure partie de ses revenus – , ce qui pénalise les éditeurs de sites web et les annonceurs publicitaires, contraints d’utiliser ses outils. Au cours des dix dernières années, Google a accumulé plus de 8 milliards d’euros d’amendes antitrust dans l’UE pour des abus commis dans le cadre de divers services…

Gagner du temps
Mais quelle est la probabilité que les autorités antitrust enclenchent ce qui est considéré comme l’arme atomique en droit de la concurrence ? En réalité, l’issue des batailles juridiques actuelles reste encore bien incertaine. D’abord parce qu’un démantèlement est un processus long et complexe, aussi parce qu’il est difficile d’en évaluer l’impact potentiel sur les marchés et le consommateur.
Ensuite, parce que Google saisira toutes les occasions de contester les décisions devant les tribunaux pour gagner du temps. Tout en coopérant avec les autorités, en proposant des « remèdes » – souvent jugés insuffisants – pour tenter de mettre fin aux enquêtes antitrust.
Enfin, parce qu’il ne faut pas exclure que les régulateurs ne cherchent ainsi qu’à envoyer le « signal » qu’ils n’accepteront pas de faibles mesures « correctrices » comportementales pour garantir un marché équitable et empêcher Google d’abuser de sa position dominante pour étouffer la concurrence.

« House of Cards »
Du côté de Bruxelles, on y réfléchira aussi à deux fois avant de prononcer un démantèlement. « Si l’Europe doit prendre une telle décision, dans l’idéal, elle préférerait quand même commencer par un cas européen », glisse ainsi une source au fait du dossier.

Il est tout à fait possible que, dans le litige sur la publicité, le régulateur envisage un système en deux temps, avec une grosse amende d’abord, puis un démantèlement si Google continue à mal se comporter. Comme en 1982, lors la scission américaine retentissante d’AT & T : elle ne s’est produite qu’après des années de tentatives infructueuses de régler les problèmes par des mesures réglementaires.
Par ailleurs, les futurs arbitrages américains pèseront à coup sûr sur les décisions européennes. « Si les Etats-Unis décident de casser Google en deux, forcément l’UE sera alors encore plus encline à le faire elle aussi », souffle-t-on à Bruxelles, sous-entendant que les deux décisions seraient coordonnées.
Car l’UE suit très attentivement tout ce qui se passe aux Etats-Unis et les régulateurs européens et américains se parlent régulièrement. Au sein de la « DG Comp’» (direction générale de la concurrence), un Etat dans l’Etat à la Commission Européenne, on lit ainsi tous les comptes rendus du procès américain actuel de Google dans la publicité, comme un feuilleton de « House of cards » !
Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux continents ont ouvert des enquêtes sur les mêmes secteurs, qui pourraient aboutir en même temps, à quelques mois près.

Si un démantèlement constituerait un tournant majeur dans l’histoire de la régulation du numérique dans le monde, on est cependant encore bien loin de la fin de l’histoire. Le temps, justement, jouera-t-il un rôle dans cette affaire alors que les dommages collatéraux peuvent s’accumuler si les autorités tardent trop avant de passer à l’action ? Surtout, il ne faut pas oublier le cas Microsoft, condamné au démantèlement par la justice américaine, avant que le gouvernement n’y renonce, préférant conclure un accord…

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