Interview  Nestlé Waters a vendu pendant plusieurs années des eaux « de source » ou « minérales naturelles » qui avaient pourtant subi des techniques de purification interdites. Des ministres seraient au courant depuis 2021.

Nestlé Waters a dupé les consommateurs, et le gouvernement était dans la confidence. En janvier, « le Monde » et Radio France révélaient que l’industriel avait recours à des traitements interdits sur ses eaux en bouteille. La filiale du géant suisse de l’agroalimentaire, qui commercialise Perrier, Hépar ou encore Contrex, avait alors reconnu avoir eu recours à des systèmes de désinfection interdits pour maintenir la « sécurité alimentaire » de ses eaux minérales.
En avril, les deux médias révélaient l’existence d’une note de l’agence sanitaire Anses, recommandant à l’Etat « une surveillance renforcée » des sites de captage d’eaux, soulevant notamment un « niveau de confiance insuffisant », et relevant de « multiples constats de contaminations microbiologiques d’origine fécale » dans ces sites. Pour la sénatrice écologiste Antoinette Guhl, rapporteuse d’une mission d’information « flash » lancée en avril et dont les conclusions ont été adoptées mercredi 16 octobre par la commission des Affaires économiques du Sénat, les pouvoirs publics sont donc aussi responsables que les industriels de l’« opacité » qui entoure l’affaire.
Nestlé Waters a bel et bien triché. C’est la principale conclusion de la mission d’information « flash » que vous avez lancée en avril ?
Antoinette Guhl C’est avéré et même avoué. En effet, c’est une certitude : Nestlé Waters a dupé les consommateurs. Pendant des années, l’entreprise a vendu comme de l’eau minérale naturelle ce qui n’en était pas. Les consommateurs ont été trompés, achetant des bouteilles d’eau qu’ils pensaient naturelles à un prix parfois 200 fois plus élevé que l’eau du robinet.

Comment cela a-t-il pu être possible ?
Cette affaire n’est pas seulement un scandale industriel, c’est aussi un scandale politique : les pouvoirs publics ont été informés dès 2021 de ces pratiques, mais ils ont laissé faire. Rien, ou très peu, n’a été fait pour sanctionner les industriels. Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, et Olivier Véran à la Santé n’ont pas non plus prévenu la Commission européenne.
Alors qu’ils étaient au courant, les gouvernements successifs n’ont pas choisi de suspendre les activités de Nestlé Waters. Pire, ils ont assoupli la réglementation pour permettre aux industriels d’utiliser des microfiltres avec un seuil de filtration inférieur à 0,8 micron. C’est une mesure jugée non réglementaire par la Commission européenne. Il y a eu une véritable opacité et une volonté de garder confidentielle l’ensemble des éléments de cette affaire.

Y a-t-il eu et y a-t-il encore des risques pour la santé ?
L’ensemble des analyses disent qu’il n’y a pas de risque pour la santé. Le produit est sain parce qu’il est traité. Mais l’eau minérale naturelle doit être pure sans traitement. Or, dans ce cas, elle n’a pas la pureté originelle, c’est au départ une eau dégradée.
Comment être certain que des filtres interdits ne sont pas toujours utilisés de façon frauduleuse par Nestlé ?
Aujourd’hui, nous n’avons pas la garantie de la traçabilité des différentes eaux de Nestlé Waters. L’entreprise produit dans la même usine de l’eau de boisson [rendue potable grâce à un traitement, NDLR] et de l’eau minérale pure. Les inspecteurs ne sont pas en mesure de savoir d’où vient telle ou telle eau.
Il y a eu des fraudes pendant de nombreuses années, des filtres étaient cachés dans des armoires électriques pour que les experts ne puissent pas les voir. Lors d’un des derniers contrôles inopinés de la DGCCRF [la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, NDLR] en mai, les contrôleurs ont dû attendre une heure et demie avant qu’on ne leur ouvre les portes de l’usine… Dans ces conditions, comment avoir confiance ? Pour ôter tout doute, il faudrait rendre traçable ces lignes d’eau.

Cette mission est-elle suffisante ? Quelle va être la suite ?
Je fais dans mon rapport plusieurs recommandations, que j’entends présenter très rapidement à la secrétaire d’Etat chargée de la Consommation, Laurence Garnier. D’abord, j’encourage le « name and shame », c’est-à-dire qu’il faut nommer les marques qui ont des pratiques problématiques. Les industriels n’ont pas tous les droits, il y a des règles qu’ils doivent respecter.

Il est également nécessaire d’augmenter la fréquence des contrôles inopinés et de faire adopter au niveau européen un seuil de microfiltration acceptable. Concernant l’information aux consommateurs, il est impératif d’obliger les minéraliers à rendre publiques leurs informations de traitement.

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