Ces années-là, Abercrombie & Fitch était au pinacle de la mode. Ses mannequins jeunes et mâles, le torse nu avec des pectoraux développés et des abdominaux sculptés, alpaguaient le chaland sur la 5e avenue à New York et les plus belles artères du monde. Une fois dans le magasin, la musique était haletante et le parfum violent. De 1992 à 2014, Mike Jeffries a transformé la chaîne de prêt-à-porte r avec un marketing hypersexualisé, qui choquait le bourgeois et séduisait la jeunesse. Mardi, l’ex-PDG vedette, âgé de 80 ans, a été arrêté par la police en Floride sur des soupçons de trafic sexuel. Deux autres personnes ont été embarquées en même temps que lui : son partenaire Matthew Smith, et un employé du couple, James Jacobson.
Mike Jeffries aurait organisé un réseau de prostitution de top-modèles masculins entre 2008 et 2015. Quinze victimes ont porté plainte. David Bradberry, qui a porté plainte au civil en 2023, est défendu par des avocats des victimes de Jeffrey Epstein, l’animateur d’un réseau de prostitution de très jeunes filles à New York. Ce plaignant estime qu’il pourrait y avoir plus de cent victimes.
L’enquête de la BBC
C’est la BBC qui a mis au jour ces agissements , dans une enquête très détaillée, publiée il y a un an. Dans cet article, David Bradberry a raconté que James Jacobson avait exigé une fellation en échange d’un accès au management d’Abercrombie & Fitch. Il lui a ensuite donné 500 dollars. Le jeune homme qui voulait faire carrière comme modèle, âgé de 23 ans à l’époque, a ensuite été invité dans la résidence des Hamptons de Mike Jeffries. Le dirigeant lui a fait inhaler du poppers, puis ils ont eu des relations sexuelles, environnés d’employés de maison vêtus aux couleurs de la marque de prêt-à-porter.
Les jeunes hommes interrogés par la BBC et ayant vécu de semblables mésaventures racontent qu’au moment de repartir, le personnel leur passait des enveloppes avec des milliers de dollars de cash.
Selon la BBC, James Jacobson était chargé de sélectionner les proies, et entretenait un réseau de recruteurs eux-mêmes payés entre 500 et 1.000 dollars. Certaines victimes devaient d’abord passer entre les mains d’un esthéticien qui leur rasait les poils. Toutes les recrues ont dû signer un accord de confidentialité assorti de menaces de poursuites en cas de non-respect.
Résurrection de la marque
Selon les procureurs de Brooklyn, qui ont pu corroborer les éléments publiés par la BBC, Mike Jeffries a trompé certains de ces jeunes gens en leur faisant croire qu’ils allaient participer à une séance de photos de mode, et non à une orgie sexuelle. Les parties fines étaient organisées à New York ou dans des hôtels en France, en Angleterre, en Italie, au Maroc, détaille le « Wall Street Journal » . Dans certains cas, les cobayes se faisaient injecter des produits érectiles dans le pénis pour que la fête continue qu’ils le veuillent ou non.
Quand l’article de la BBC a été publié, Abercrombie & Fitch a déclaré être « horrifié et dégoûté » par les faits décrits, et a fait appel à un cabinet d’avocats extérieur pour mener l’enquête. Mike Jeffries a quitté le groupe en 2014 alors que les ventes ralentissaient, en perte de vitesse face à la « fast fashion », et que la contestation montait sur les pratiques discriminatoires de la marque envers ses employés…
Sous Fran Horowitz, le groupe a complètement revu son marketing. L’hypersexualisation qui attirait les teenagers a disparu. Abercrombie & Fitch cible désormais plutôt les vingtenaires – les « jeunes millenials »- en mettant l’accent sur la qualité des vêtements et la coupe des jeans. De nombreux magasins ont fermé et la moitié des ventes se font désormais en ligne.
Une recette qui a permis de ressusciter la firme. Le titre Abercrombie & Fitch, coté au New York Stock Exchange, valait environ 17 dollars il y a deux ans. Il a quasiment décuplé depuis, à 155 dollars ce mardi.
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