Le cadre juridique autoroutier français s’apparente à ce que Winston Churchill pensait de la démocratie : « Un mauvais système, mais le moins mauvais de tous les systèmes. » Dans un épais rapport présenté ce mercredi pour la commission des finances, et alors qu’il faut imaginer le nouveau dispositif qui régira bientôt les 9.300 km d’autoroutes concédées, le sénateur Hervé Maurey (Union centriste), en convient tout de go : « Les contrats de concessions historiques présentent de nombreux défauts. »
En résumé, une relation de plus en plus déséquilibrée entre l’Etat concédant et les sociétés d’autoroutes (SCA), une « surrentabilité » captée par ces dernières même si les hausses des péages sont régulièrement inférieures à l’inflation, et des durées plus que canoniques. Sans possibilité de remettre en cause ces contrats gravés dans le marbre, depuis plus de 75 ans pour les plus anciens, à l’époque tranquille où l’Etat s’arrangeait avec lui-même.
L’Etat en situation de faiblesse
Quel modèle pour succéder aux concessions actuelles ? Si le sénateur préconise de reconduire les contrats concessifs, il précise qu’ils doivent être très sérieusement remaniés pour en gommer les défauts et corriger « les insuffisances des contrats historiques ». La fenêtre de tir approche à grands pas : elle est même programmée pour demain matin, selon les professionnels du secteur, qui s’étonnent de l’inertie étatique. Car entre 2031 et 2036, viendront à expiration de manière échelonnée tous les contrats conclus entre la fin des années 1950 et le début des années 1970, soit environ 90 % du réseau autoroutier concédé. Le premier sur la liste sera la Sanef (nord et est de la France), qui devra remettre à l’Etat les clés de ses 1.400 km de réseau dès 2031.
Juridiquement, les détenteurs des concessions devront remettre gratuitement à l’Etat des infrastructures « en bon état d’entretien et libres de dettes », soit un patrimoine total estimé à 194 milliards pour l’Etat concédant. Avec en filigrane le risque que ce dernier défende mal ses intérêts patrimoniaux. Ces contrats dont la durée s’échelonne entre 64 et 75 ans, non révisés à l’époque de la grande privatisation de 2006, excepté de discrets avenants, « placent l’Etat concédant en situation de faiblesse », déplore le rapport du Sénat.
Dans l’Hexagone, le vaste réseau à péage est ventilé dans 21 sociétés distinctes , mais qui sont in fine aux mains de trois grands groupes privés : Vinci, Eiffage et l’espagnol Abertis (famille Benetton), à de rares exceptions près comme les tunnels du Fréjus ou du Mont-Blanc, à capitaux publics. « Il faut se concentrer sur l’échéance actuelle, celle de la fin des concessions. Tout le monde l’ignore, mais on est déjà en plein dedans. C’est maintenant que tout ou presque se joue », explique Hervé Maurey aux « Echos ».
Baux raccourcis, distances réduites
L’Autorité de régulation des transports (ART) avait certes préconisé une période de dix ans pour concevoir le nouveau cadre et éviter que les pouvoirs publics aient le couteau sous la gorge. Mais, à l’évidence, le timing sera beaucoup plus serré. Le sénateur balaye diverses options pour la suite comme la gratuité des autoroutes, « un piège démagogique à éviter » puisqu’il torpille le principe de l’utilisateur-payeur. Tout comme une gestion publique en régie, qui soumettrait les financements pour les rénovations à la merci de l’annualité budgétaire et des aléas politiques.
En revanche, en vue des futurs appels d’offres, le système concessif a besoin d’un très sérieux toilettage. Selon le rapport, il faut limiter tant leur durée que leur périmètre géographique. Sur le premier point, Hervé Maurey préconise des baux de quinze à vingt ans maximum. De manière à coller « sur un cycle complet d’entretien et de maintenance des infrastructures », avec des rendez-vous tous les cinq ans pour faire le point sur des sujets comme la rentabilité interne.
Sur la taille des futurs réseaux, la norme pourrait être de 1.000 ou 1.500 km, comme l’ART l’a déjà préconisé, ce qui, selon le sénateur, « pourrait intensifier la concurrence lors des futurs appels d’offres, et limiter les barrières à l’entrée ». Aujourd’hui, la palme du plus long réseau concédé revient à ASF avec quelque 2.730 km de linéaire.
Par ailleurs, le rapport plaide pour affecter plus de recettes des péages au financement des travaux sur le réseau non concédé, en assez mauvais état, et aux divers réseaux de transports en commun. Au-delà de la récente taxe ad hoc voulue par l’ex-ministre des Transports Clément Beaune (450 millions annuels versés par les autoroutes depuis cette année).
Restent enfin beaucoup de sujets de court terme concernant les préparatifs de la fin des concessions et de leur remise au pot. Certes, jusqu’à présent, les concessionnaires ont bien joué le jeu : 93 % des chaussées étaient en bon état ou très bon état en 2022, contre 87 % dix ans plus tôt. Mais plus l’échéance de la fin des concessions approche, moins les sept sociétés historiques trouveront un intérêt économique à lancer de grands travaux si ceux-ci ne sont pas rentabilisés par des péages.
Dans son rapport très fourni, Hervé Maurey recense toutes les mines cachées de la fin des concessions. Le coût total de la remise en état des autoroutes d’ici la fin des contrats actuels atteint les 5 à 6 milliards, selon l’ART. Par ailleurs, l’Etat devra notifier aux concessionnaires les travaux impératifs à réaliser sept ans avant la fin des contrats, simplement pour remettre le réseau à niveau.
La peur des contentieux au long cours
Le document pointe aussi les « investissements de deuxième génération » : ces travaux prévus, comme l’élargissement de portions de voies, payés de longue date dans les péages des automobilistes, mais finalement jamais réalisés… soit une ardoise de 1 à 5 milliards selon les sources. Comme pour l’état des lieux de sortie d’un logement entre propriétaire et locataire, les débats risquent d’être serrés.
Mais c’est là que le bât blesse : l’Etat risque fort de baisser pavillon sur la notion mal définie de la remise en état en cherchant un compromis qui reviendrait à brader ses intérêts patrimoniaux, s’alarme le rapporteur. « L’Etat craint par-dessus tout que les sociétés d’autoroutes n’engagent des contentieux au long cours, qui seraient susceptibles de compromettre la bonne réalisation des travaux de remise en état des biens », selon le sénateur.
Face à une puissance publique qu’il juge « tétanisée par cette perspective », Hervé Maurey exhorte au contraire l’Etat à « user de toute la plénitude de ses prérogatives de puissance publique », au besoin devant le juge.
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