Y a-t-il un problème de sécurité chez Air France ? On pourrait le penser au vu des incidents spectaculaires qui ont défrayé la chronique ces derniers mois. Des incidents à répétition qui n’ont heureusement fait aucune victime, mais qui ont indéniablement suscité des interrogations, y compris en interne, même si du côté d’Air France, on souligne que les indicateurs en matière de sécurité des vols « évoluent favorablement depuis la sortie de la période Covid. »
Le dernier incident en date est la décision d’Air France de suspendre les survols de la mer Rouge le 3 novembre dernier, après que les pilotes d’un vol en route pour La Réunion ont signalé un « objet lumineux » au-dessus du Soudan, ressemblant à un tir de missile. Le vol a poursuivi sa route vers Saint-Denis de La Réunion. En revanche, suite à ce signalement, la compagnie a demandé à deux autres vols, l’un pour Nairobi et l’autre pour Antanarivo, de faire demi-tour. Air France a également décidé de rerouter tous ses vols vers le Kenya, La Réunion, l’île Maurice et Madagascar, avant d’éviter la zone. Et ce, sans attendre d’en savoir plus sur le risque réel.

Air France, seule à éviter le survol de la mer Rouge
Depuis, aucune autre compagnie qu’Air France n’a jugé nécessaire d’éviter la mer Rouge, ce qui rallonge ses vols vers Nairobi, Saint-Denis, Maurice et Tananarive de plus d’une heure. Et rien n’est venu confirmer la dangerosité de ce mystérieux objet lumineux. Pour les autorités de l’aviation civile françaises et européennes, la zone ne présente aucun risque particulier et la reprise des vols d’Air France au-dessus de la mer Rouge serait imminente.
Cependant, ce nouvel incident illustre les tensions actuelles chez Air France sur les questions de sûreté et de sécurité. Des tensions dues à une accumulation de problèmes, qui mettent parfois à rude épreuve les nerfs des pilotes et l’image de marque de la compagnie.

Le précédent cuisant du Paris-Dubaï
L’année 2024 avait mal commencé, avec un atterrissage manqué à Toronto suivi d’une remise des gaz en janvier, durant laquelle l’arrière d’un Airbus A350 avait raclé la piste. Un « tail strike » sans dommage pour les passagers, mais qui avait valu à l’appareil des mois d’immobilisation et des millions de dollars de réparations.
Mais l’évènement le plus médiatisé dernièrement fut la présence d’un vol d’Air France dans le ciel irakien, le 1er octobre dernier, au moment même où l’Iran lançait quelque 200 missiles balistiques sur Israël . Un événement là encore sans conséquence pour la sécurité des passagers, la trajectoire de ces missiles passant très au-dessous de l’altitude de croisière d’un vol commercial, mais qui a laissé des traces chez Air France, où une enquête interne est toujours en cours. Car contrairement à Air France, Lufthansa et British Airways avaient dérouté leurs vols avant cette attaque, dont l’imminence avait été annoncée par des médias américains plusieurs heures avant.
L’enquête interne doit permettre de comprendre pourquoi cette alerte et les changements de cap des vols de British Airways et de Lufthansa n’ont pas été davantage pris en compte et imités. Selon nos informations, les responsables du Centre de contrôle des opérations d’Air France se seraient un peu trop fiés aux autorités françaises, qui n’auraient pas confirmé une menace imminente. Depuis, la compagnie n’a pas repris ses vols dans le corridor aérien irakien qui longe la frontière iranienne. Et ce, bien que la DGAC le considère fréquentable à condition de rester à plus de 10.000 mètres d’altitude.

Un quart de l’espace aérien mondial interdit
Mais pour la compagnie tricolore, dont le réseau est l’un des plus étendu au monde, l’évitement des zones à risque devient de plus en plus complexe. Pour se rendre en Extrême-Orient, les vols d’Air France, comme ceux des autres compagnies européennes, ne peuvent plus survoler la Russie, ce qui les oblige à passer plus au Sud. Air France ne peut pas non plus survoler la Syrie, ni l’Iran. Elle a aussi dû suspendre ses vols vers Israël et le Liban. Ce qui lui laisse donc seulement deux routes ouvertes vers l’Est, par-dessus la mer Rouge et l’Arabie Saoudite ou l’Azerbaïdjan.
En Afrique, Air France s’est vu interdire l’accès au ciel du Niger, après celui de Libye et du Soudan. Et si elle peut encore survoler le Mali, elle a dû suspendre la desserte de Bamako pour des questions de sécurité. Même chose pour Ouagadougou et Bangui, dont les aéroports, comme celui de Bamako, sont contrôlés par des mercenaires russes du groupe Wagner, qui disposent de missiles antiaériens.

Une situation « totalement inédite » selon un pilote, qui n’avait jamais connu des restrictions de vols aussi étendues. Environ un quart de l’espace aérien mondial serait aujourd’hui inaccessible aux avions d’Air France. Avec les risques d’erreur que cela induit pour ses pilotes, obligés de jongler avec les contraintes.

Pénurie de pièces détachées pour la maintenance
A cela s’ajoute une autre situation inédite : la pénurie de pièces détachées et les problèmes de moteurs, qui contribuent également à tendre les relations internes. Du fait des difficultés de production des équipementiers aéronautiques, Air France, comme toutes les autres compagnies, doit parfois faire voler des avions avec des problèmes techniques sans danger pour la sécurité des vols, mais qui contribuent à exaspérer les pilotes. Ces « tolérances techniques » prévues par la réglementation auraient été particulièrement nombreuses en fin d’année dernière et durant le 1er semestre 2024. Depuis, la situation se serait toutefois normalisée.

En revanche, Air France ne prévoit pas d’amélioration à court terme en ce qui concerne les problèmes de moteurs Pratt & Withney, victimes d’une sorte de vieillissement prématuré. Là encore, le problème ne présente pas de risque pour la sécurité des vols, mais il complique la vie du réseau court moyen-courrier. Sur les 38 A220 monocouloirs d’Air France, cinq sont toujours cloués au sol faute de moteur de rechange. Et la liste devrait continuer à s’allonger, le motoriste américain n’étant pas en mesure de régler ce défaut de fabrication avant 2026.

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