« Suis l’argent et tu trouveras la mafia », répétait le juge Giovanni Falcone, assassiné en 1992 par Cosa Nostra . Pour les aider dans leur traque, les institutions italiennes ne disposent plus seulement du flair de leurs magistrats et policiers mais pourront bientôt compter sur l’intelligence artificielle : celle des algorithmes mis au point pour débusquer les accointances entre la criminalité organisée et les milieux économiques et politiques.
Depuis la mort des célèbres juges anti-mafia Falcone et Borsellino il y a un peu plus de trente ans, près de 400 conseils municipaux ont été dissous pour infiltrations mafieuses.
La corruption est un délit qui laisse bien peu de traces, à la différence des crimes et règlements de compte éclatants auxquels les mafieux ont de moins en moins recours. L’idée est ainsi venue à Gian Maria Campedelli, criminologue spécialisé en « machine learning » à la fondation Bruno Kessler, ainsi qu’aux économistes étudiant la criminalité organisée Marco Le Moglie et Gianmarco Daniele, d’utiliser l’IA pour anticiper les infiltrations mafieuses au sein des conseils municipaux, sans attendre le résultat de longues et complexes enquêtes.

200 algorithmes testés
« Nous avons travaillé pendant deux ans sur un système avec des résultats prometteurs et encourageants, se félicite Gian Maria Campedelli, qui s’apprête à publier, avec ses collègues, un article scientifique sur leurs travaux. Nous avons recueilli 152.000 informations concernant plus de 90 % des communes italiennes entre 2001 et 2020 ».
Initialement, seules les dépenses publiques étaient prises en compte mais des variables politiques ont été ajoutées comme le parti politique du maire, son genre, son niveau d’études, ou encore le score obtenu lors de son élection.
« Ce sont autant de facteurs qui nous permettent d’affiner le risque d’infiltrations mafieuses, précise Gian Maria Campedelli. Nous avons confronté 200 algorithmes et celui que nous avons élaboré est le plus performant. Il indique dans plus de 90 % des cas les communes dont le conseil municipal a bien été dissous. »
« Il y a enfin les cas des ‘faux positifs’, poursuit l’expert. Ils sont indiqués par l’algorithme comme étant infiltrés, mais s’avèrent, pour l’instant, ne pas l’être officiellement. On s’aperçoit que leurs caractéristiques sont très proches, ce qui ouvre de grandes perspectives pour anticiper et faciliter les enquêtes. »

L’algorithme a déjà 80 % de chances de prédire les infiltrations mafieuses lorsqu’il est utilisé pour analyser des informations d’un conseil municipal deux ans avant sa dissolution.

L’intérêt du monde économique
Outre les autorités italiennes, qui devraient bientôt manifester publiquement leur intérêt pour cette technologie, « le monde économique pourrait également en tirer profit, considère Gian Maria Campedelli. Il sera plus facile par exemple pour une entreprise française qui souhaite investir en Italie de faire son choix dans la commune qui est la plus propice à l’accueillir ».

L’utilisation de l’IA devient en effet un allié précieux dans la lutte contre la criminalité organisée. La mafia italienne n’opère évidemment pas uniquement dans les régions reculées et plus pauvres du Mezzogiorno.
Un long travail de recherche a été initié en 2014 par Antonio Parbonetti, professeur d’économie d’entreprise à l’université de Padoue. L’analyse de centaines de condamnations définitives pour appartenance à la mafia prononcées au nord et au centre de la péninsule lui a permis, avec l’aide de deux autres chercheurs, de mettre au point un outil prédictif capable « d’identifier, en termes de risque, la probabilité qu’une entreprise soit liée à une mafia ».
Il est alimenté en continu par les données financières qui « dressent » l’algorithme à déceler la moindre anomalie ou incohérence dans les finances ou le fonctionnement : un chiffre d’affaires faisant un brusque bond par rapport au nombre d’employés à des administrateurs au passé trouble ou des changements de gestion fréquents.

Interpol s’inspire de l’Italie
Pour la seule Vénétie, l’un des poumons économiques italiens, 30.000 sociétés – soit 5 % à 7 % du tissu économique du pays – sont liées d’une manière ou d’une autre au crime organisé. Elles opèrent dans des secteurs traditionnellement à risque, comme le BTP, l’immobilier, l’industrie manufacturière ou encore la gestion des déchets.
Interpol s’est d’ailleurs inspiré d’un logiciel similaire à celui de l’université de Padoue pour lancer I-Can, un programme de collaboration internationale contre la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise considérée comme la plus puissante du monde. Au total, treize pays – dont la France, l’Espagne, la Suisse et les Etats-Unis – ont rejoint l’Italie pour combattre son expansion hors de la botte.

Le logiciel devrait atteindre son plein potentiel d’ici à l’an prochain devenant ainsi l’un des plus fins limiers de la police dans son combat contre le crime organisé.

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