Près de 38 %. C’est la part de la viande rouge dans l’empreinte carbone d’un Français, selon le Haut Conseil pour le climat. Si la France veut atteindre la neutralité carbone en 2050, impossible de faire l’impasse sur cet aliment si savoureux. Mais dans un pays où la vache est sacrée (ou plutôt sa consommation), quels leviers utiliser pour inciter à moins en manger ?
HEC a mené une étude sur sa propre cantine, à laquelle « Les Echos » ont eu accès en exclusivité. Deux chercheurs en finance, Stefano Lovo et Yurii Handziuk, ont observé pendant près de deux ans les 140.000 plateaux passés par le réfectoire de l’école de commerce. Objectif : comprendre comment les choix variaient en fonction des méthodes mises en place pour inciter les utilisateurs à choisir le plat vegan (à faible intensité carbone) plutôt que le steak haché.

Les chercheurs ont d’abord affiché l’empreinte carbone de chaque plat. Résultat : nul, ou presque. Etudiants, professeurs et personnels d’HEC continuaient, dans la même proportion qu’auparavant, à choisir le plat carné. Stefano Lovo et Yurii Handziu ont aussi tenté d’interdire la viande le jeudi. L’empreinte carbone moyenne a baissé (-12 %) tout comme la fréquentation de la cantine ce jour-là ! Ils en ont déduit un déplacement de la consommation de plats carbonés en dehors de la cantine. Levier peu concluant…

Les deux hommes ont alors essayé de faire varier les prix. Un système de bonus-malus a été mis en place en fonction des émissions de CO2 de chaque plat. Bingo. Rien qu’une légère baisse du prix du plat vegan et une augmentation, tout aussi contenue, de celui du steak réduit d’un quart l’empreinte carbone moyenne des plateaux.

Diviser par deux le prix des plats vegan
Stefano Lovo et Yurii Handziu ont ensuite accru les variations,  en divisant par deux le prix du plat vegan et en multipliant par deux celui du steak. Là, l’empreinte carbone a chuté de 42 %. L’action sur le prix est alors jugée la seule méthode efficace pour modifier les habitudes.

Oui, mais à une condition : « Pour obtenir un réel changement de comportement, il faut rendre systématiquement le prix du plat bas carbone inférieur à celui du plat à haute intensité carbone. Si on baisse le premier mais qu’il reste au-dessus du second, il n’y a pas d’effet », explique Stefano Lovo. Autrement dit, et en appliquant ces résultats à un autre domaine, pour inciter les citoyens à prendre le train, il ne suffirait pas d’en baisser le prix, il faudrait le rendre inférieur à celui de l’avion.
Au sortir de l’étude terrain, les chercheurs ont réalisé un sondage auprès de la population HEC, en partageant les résultats obtenus, pour savoir si elle était prête au déploiement de cette politique du bonus-malus. Sous réserve qu’elle soit raisonnée, une majorité des répondants l’a validée.

Conclusion : faut-il déployer à tout-va des politiques basées sur l’effet prix ? On ne saurait être trop prudent car l’échantillon d’HEC n’est pas représentatif de la population française. Les Français sont-ils prêts à voir doubler le prix de la viande ? Pas un politique n’a oublié que la taxe carbone avait déclenché le mouvement des gilets jaunes…

Les leçons à tirer de cette expérience
Sur le sujet de l’acceptabilité face aux taxes, une étude sur la fiscalité environnementale – publiée en septembre par le Crédoc pour l’Ademe – pourrait éclairer la lanterne de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher. On y apprend que 18 % des Français sont prêts à payer plus de taxes sur les carburants, le gaz naturel et le fioul domestique pour lutter contre le réchauffement climatique. Avec un tel niveau d’acceptabilité, bon courage pour surtaxer les produits polluants ! Sauf qu’à y regarder de plus près, les chiffres sont plus encourageants que cela.

En effet, selon l’étude, parmi les 82 % de Français réfractaires, la moitié peut changer d’avis si on lui explique ce qui est fait de l’argent du malus écologique (pour la transition énergétique, la redistribution sociale, une compensation fiscale ou encore la réduction du déficit public). Alors ce ne sont plus 18 % mais 57 % qui sont prêts à payer davantage. Ça progresse.

Augmenter le soutien aux politiques climatiques
Peut-on faire encore grimper ce chiffre ? « Oui », répondent trois doctorants du Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po, qui se sont penchés sur les politiques écologiques. En ciblant le comportement à fort impact carbone des groupes sociaux privilégiés, un gouvernement augmente le soutien aux politiques climatiques coûteuses. Selon leur recherche publiée en septembre 2024, le ressort est simple : faire appel aux sentiments d’injustice et de ressentiment envers ces groupes.
Ils se sont, par exemple, demandé comment faire accepter une baisse de la vitesse sur les routes, sujet ô combien inflammable, que ce soit sur les départementales ou le périphérique parisien. Eh bien le niveau d’acceptabilité d’une telle mesure augmente significativement si, dans le même temps, les pouvoirs publics régulent le transport aérien pour les catégories favorisées. « Ce niveau est fort si on cible, par exemple, les transports en jets privés des ultrariches. Il l’est encore davantage si on cible celui des ministres », explique Théodore Tallent, premier auteur de l’étude.
Autrement dit, associer un symbole à un coût – financier ou comportemental – permet de faire passer la pilule. Et ce, même si la mesure symbolique est rigoureusement inefficace. Contraindre les ministres à moins utiliser l’avion aura une influence très limitée sur la trajectoire bas carbone de la France mais incarnera un modèle. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les ministres, désormais vous savez que la planète pourra vous remercier de vous être montrés exemplaires…

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