Cinquante ans et pas une ride. Pas de bouche non plus. Depuis sa création en novembre 1974, Hello Kitty reste cette petite chatte blanche aux traits épurés, coiffée d’un noeud rouge. Eternellement jeune, elle n’a jamais épousé Dear Daniel, son petit ami de 30 ans. Et Sugar, son hamster, est toujours aussi joueur.
On le voit s’amuser sur le calendrier Hello Kitty 2025 vendu 1.496 yens (9 euros) dans le magasin Sanrio World de Ginza, l’un des temples de la franchise japonaise, qui a généré, dans le monde, un chiffre d’affaires de 90 milliards de dollars. Selon les calculs de Visual Capitalist, c’est plus que Star Wars ou même Mickey Mouse.
En cette fin octobre, des clients japonais, coréens et thaïlandais s’offrent des mugs, des peluches ou encore des crèmes hydratantes illustrés de la petite chatte blanche. Des consommateurs de tous les âges. « La force du groupe Sanrio, c’est d’avoir su évoluer avec ses fans et de proposer des produits aux adultes, qui étaient fans dans leur enfance », explique Joshua Paul Dale, un professeur de la Chuo University, auteur du livre « Irresistible : How Cuteness Wired our Brains and Conquered the World ».

Une inspiration européenne
Fondé en 1960, à Tokyo, par Shintaro Tsuji, le groupe Sanrio s’était d’abord spécialisé dans les produits en soie avant de se lancer dans les sandales en caoutchouc. Pour se démarquer de la concurrence, il a commencé à décorer ses modèles avec des illustrations de fruits puis il a recruté des dessinateurs pour créer des personnages mignons -« kawaii » – à décliner sur des accessoires en plastique et des cartes de voeux.
Conçu par une jeune illustratrice, Yuko Shimizu, Hello Kitty apparaît, fin 1974, sur un petit porte-monnaie transparent, dans une série où sont testés cinq autres petits personnages. Les modèles au chat blanc sont plébiscités. Et Sanrio commence à le décliner pour ses jeunes clientes nippones, fascinées, à l’époque, par l’Europe.
En 2013, la popstar américaine Lady Gaga s’affiche avec un poupée Hello Kitty lors d’un gala de charité.YOSHIKAZU TSUNO / AFP
Officiellement, Hello Kitty n’est d’ailleurs pas japonaise mais britannique. Sur son site, Sanrio précise qu’elle est née un 1er novembre à Londres. Elle s’appelle officiellement « Kitty White ». Elle est « haute comme cinq pommes » et « adore se faire des amis à l’école ». Elle aime voyager, lire et manger des biscuits, cuisinés par sa soeur jumelle Mimmy.
Détail important dans un Japon où l’on croit souvent que le groupe sanguin détermine le caractère et la compatibilité amoureuse, elle est de type A. « Sanrio n’a commencé à associer Hello Kitty au Japon que dans les années 1990 et 2000, lorsque la culture japonaise a gagné en popularité », rappelle Joshua Paul Dale.

Infantilisation des femmes
C’est l’époque où Hello Kitty s’internationalise et devient cette icône mondiale de la « mignonitude », du « kawaii » , avec laquelle s’affichent Britney Spears, Mariah Carey ou encore Lady Gaga. « Ce succès est beaucoup lié à ce design très simple, sans véritable expression, où chacun peut projeter ses propres interprétations », analyse l’expert.
« Elle représente divers rêves fantastiques, des espoirs, des instincts maternels de protection, la faiblesse, la docilité, l’enfance et, plus récemment, la mode », écrit l’anthropologue Christine Yano dans son ouvrage « Pink Globalization : Hello Kitty’s Trek Across the Pacific ». Des intellectuels ont moqué ce personnage figé, sans bouche.
Des féministes nippones y voient même une image de l’infantilisation des femmes dans leur société ou de leur effacement, notamment dans la vie politique et économique. « Mais c’est lui faire porter un poids symbolique un peu trop lourd, sourit Joshua Paul Dale. D’ailleurs, elle n’est pas totalement sans voix puisqu’elle parle dans ses dessins animés. »
Ces séries diffusées à partir des années 1990 ont accéléré la popularisation de la marque dans le monde et la multiplication des contrats de licence. Plus de 50.000 produits estampillés lancés dans 130 pays . Des gommes. Des peluches. Mais aussi des guitares, des cartes de crédit, des vins californiens, des bijoux dont un collier de perles Mikimoto à 290.000 dollars, deux parcs d’attractions au Japon, un grille-pain.
Et même des avions. La compagnie taïwanaise EVA Airways exploite des Airbus A330 décorés des personnages de Sanrio. Sur le dernier exercice fiscal, achevé fin mars, le groupe Sanrio a réalisé un chiffre d’affaires de 100 milliards de yens (600 millions d’euros) et un profit opérationnel de 27 milliards de yens (163 millions d’euros), deux fois supérieur au bénéfice réalisé un an plus tôt.
Le retour dans le pays des touristes étrangers a relancé la franchise, très malmenée avant et pendant la pandémie de Covid. Dans le rouge en 2021, le groupe a d’ailleurs remanié sa stratégie. Encore aux commandes à 92 ans, le fondateur a confié le pouvoir à son petit-fils Tomokuni Tsuji. L’héritier de 35 ans a rajeuni le management, déployé les marques dans le numérique et réduit la dépendance à Hello Kitty.
Elle représentait 75 % des revenus de l’entreprise en 2014 mais seulement 30 % aujourd’hui. « Pour mettre fin à la volatilité de nos résultats, nous devons trouver de nouveaux canaux de monétisation et élargir notre portefeuille de propriété intellectuelle », prévenait Tomokuni Tsuji en mai dernier.

Une capitalisation quadruplée
Les traders adorent. La capitalisation du groupe a quadruplé en quatre ans, à 6,8 milliards de dollars. « Ils se connectent désormais mieux avec la nouvelle génération de consommateurs », se félicite, dans un blog, Valentina Luo, de la firme M&G Investments. « Et ils disposent d’un très large portefeuille de personnages. Il n’y a pas que Hello Kitty », insiste-t-elle.

Dans le grand sondage en ligne, organisé, chaque année, par le groupe pour mesurer la popularité de ses franchises, elle n’apparaît plus qu’à la 5e place, loin derrière Cinnamoroll, un chiot blanc aux grandes oreilles. Un palmarès qui laisse toutefois la petite chatte impassible. A 50 ans, elle reste l’indétrônable impératrice du Kawaii.

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