De Dakar à Abidjan, et dans de nombreuses capitales africaines, les agences Société Générale ont pignon sur rue depuis des décennies. Pourtant, au rythme auquel elle cède ses filiales , la banque au logo rouge et noir pourrait bientôt disparaître du paysage. Après le Congo, le Tchad, le Bénin, le Burkina Faso , le Mozambique et la Mauritanie, la banque a annoncé il y a quelques semaines qu’elle cédait sa filiale en Guinée. En 2025, cela devrait être au tour de ses filiales ivoiriennes et sénégalaises.
C’est la suite logique d’un désengagement progressif impulsé il y a un peu plus d’un an par Slawomir Krupa, le directeur général du groupe . Ces dernières années, Crédit Agricole , BPCE et BNP Paribas avaient déjà réduit considérablement leur présence sur le continent. Et le mouvement devrait continuer dans l’année à venir, d’après l’agence Fitch Ratings.
« C’est la queue de la comète » analyse Estelle Brack, experte des systèmes bancaires africains. « Cela prend du temps avant de trouver un repreneur et de négocier le rachat d’une filiale, mais bientôt il n’y aura quasiment plus de banques françaises en Afrique. » Une série de départs qui ne concerne pas que les banques françaises : les anglaises Standard Chartered et Barclays ont également réduit leur présence.

Risques et imprévus
En cause : un déséquilibre trop important entre la rentabilité de ces filiales et les risques pris sur le marché bancaire africain. Selon les chiffres publiés par Société Générale, l’Afrique représente un produit net bancaire (PNB) de 1,8 milliard d’euros, soit à peine 7 % du total pour le groupe. Dans le cas de la BNP, qui a aussi acté son départ du continent, c’était à peine 1 %. Un maigre bilan comparé aux risques et aux imprévus que réserve le marché africain.

Il est plus périlleux de prêter à des Etats, des entreprises ou des PME en Afrique qu’en Europe : le risque d’impayé est plus élevé
Estelle Brack, experte des systèmes bancaires africains

« Il est plus périlleux de prêter à des Etats, des entreprises ou des PME en Afrique qu’en Europe : le risque d’impayé est plus élevé », résume Estelle Brack. Par ailleurs, les flux financiers illégaux, le blanchiment d’argent et le poids de l’économie informelle sont autant d’obstacles qui pénalisent les filiales africaines.
Or, ces dernières années, la réglementation bancaire européenne et les obligations de conformité ont évolué vers un contrôle plus strict. En raison des risques bancaires qui pèsent sur le marché africain, les banques doivent provisionner du capital pour soutenir leurs filiales. Des exigences en fonds propres qui ont été renforcées, mobilisant toujours plus de liquidités. Les banques européennes sont « très conservatrices dans leur gestion du risque », souligne Jamal El Mellali, analyste chez Fitch et spécialiste de l’Afrique.

Où est « le miracle africain » ?
« La dégradation de l’environnement politique et économique, dans les pays du Sahel par exemple, ou la sortie probable du franc CFA , inquiètent aussi les banques. » Et malgré l’émergence d’une classe moyenne africaine qui plébiscite la voiture individuelle, les équipements high-tech et les prêts immobiliers, « le miracle africain » promis par les économistes il y a une quinzaine d’années, n’a pas réellement eu lieu et le marché est trop étroit pour intéresser les mastodontes français.
« La Société Générale ne s’intéresse pas à la classe moyenne africaine et aux PME locales, ce n’est pas du tout son coeur de cible », rappelle Thierry Vircoulon, chercheur à l’Ifri. « Or, la présence des entreprises françaises décline, donc ils perdent une clientèle sûre. » Echaudés par de mauvais indicateurs économiques , les états-majors des grandes banques préfèrent miser sur des marchés mieux connus, plus sûrs et plus stables, comme en Europe ou aux Etats-Unis.

« Un esprit start-up »
« Il faut avoir le goût du risque, presque un esprit start-up quand on se lance dans des activités bancaires en Afrique », s’amuse Jean-Luc Olivier Akoto, ancien de la direction de la BNP en Afrique, qui a vécu de l’intérieur le désengagement du groupe. « Chez nous, on devait faire face à un bashing permanent sur l’Afrique » se souvient-il aujourd’hui. « On nous disait que c’était corrompu, que c’était impossible d’y faire du business… Tout cela a plombé notre stratégie sur le continent. »
Impossible de faire du business en Afrique ? Simon Tiemtoré, homme d’affaires américano-burkinabé pressé, n’est pas de cet avis. A la tête du groupe Vista Bank et du fonds d’investissement Lilium Capital, il veut bousculer la hiérarchie et profiter du désengagement français pour se tailler la part du lion sur le marché africain. Depuis plusieurs mois, il rachète en cascade les filiales cédées par les banques françaises pour développer son réseau bancaire sur une bonne partie du continent.
Cet ancien d’Afreximbank et de Morgan Stanley a déjà racheté 100 % des filiales de la Société Générale au Mozambique et au Burkina Faso. Avant cela, il s’implantait en Guinée, au Sierra Leone et en Gambie en rachetant notamment des filiales de la BNP et d’Oragroup, une holding bancaire basée à Lomé. Une stratégie agressive qui porte déjà ses fruits : Vista Bank est présent dans 14 pays africains. « D’ici à 2026, nous serons présents dans 25 pays », promettait Simon Tiemtoré il y a quelques mois. Son objectif : miser sur le tissu de PME et de PMI, trop souvent négligé par les banques françaises, soutenir le commerce intra africain et investir dans les politiques de développement.

Une opportunité pour les banques africaines
Ces groupes bancaires africains régionaux misent également sur leur parfaite connaissance des marchés locaux et leur plus grande appétence pour le risque. « On pense que le retrait des banques françaises, qui étaient frileuses sur les crédits et visaient une clientèle plus aisée, va bénéficier au marché africain et que ces nouvelles banques vont favoriser la croissance des pays dans lesquelles elles s’installent », analyse Jamal El Mellali de l’agence Fitch.
Au Tchad et en Mauritanie, c’est la Coris Bank, fondée par le banquier Idrissa Nassa, originaire du Burkina Faso, qui a racheté les filiales de la Société Générale. En Côte d’Ivoire, elle a mis la main sur la britannique Standard Chartered. Au Mali, au Gabon et aux Comores, la holding ivoirienne Atlantic Financial Group a, quant à elle, fait passer dans son giron les filiales de la BNP. Autant de rachats qui démontrent que, pour ces groupes relativement jeunes dans le secteur, ces filiales françaises sont des valeurs sûres et reconnues sur le marché. « Les banques françaises sont d’excellentes prises pour les banques africaines, elles sont généralement déjà performantes et très bien gérées », rappelle Estelle Brack.

Le Sénégal ambitionne de racheter pour 268 millions d’euros la filiale locale de Société Générale, deuxième acteur bancaire du pays
Des prises de choix qui aiguisent également l’appétit des Etats, dont certains sont sur la ligne de départ pour racheter des filiales françaises. C’est notamment le cas du Sénégal, dont le secteur bancaire est dominé par de grands groupes étrangers, et qui ambitionne de racheter pour 268 millions d’euros la filiale locale de Société Générale, deuxième acteur bancaire du pays. Une transaction suivie de près par le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye , qui cherche à se doter d’un bras armé financier pour soutenir les investissements publics dans le pays et le développement des PME locales : celles-ci ne captent jusqu’à présent que 10 % des crédits accordés aux entreprises.

Opération séduction
« Les pays en développement ont besoin de contrôler des grandes banques avec une taille critique pour financer efficacement leurs projets de développement. Or, à la BNP par exemple, nous étions très frileux pour financer les gros projets publics », souligne Jean-Luc Olivier Akoto. Au Bénin, la Société Générale a déjà signé un accord avec l’Etat pour céder sa filiale. Un revers pour Simon Tiemtoré, encore lui, qui s’était également positionné pour la racheter avec Vista Bank.

En partant à l’assaut du marché africain, ces nouveaux acteurs bancaires s’inspirent d’un mouvement lancé de longue date par le Royaume du Maroc. « Dès les années 2000, les banques marocaines ont commencé à stimuler la concurrence en s’intéressant à la classe moyenne africaine et à la banque de détail, qui était absente de la stratégie des banques sur le continent », souligne Estelle Brack.
Cette stratégie de développement a été impulsée par le roi Mohammed VI lui-même : le pouvoir royal a poussé les banques et les entreprises marocaines à s’installer en Afrique subsaharienne pour y trouver des relais de croissance. Trop à l’étroit dans un marché bancaire marocain saturé, plusieurs grands groupes bancaires ont mis le cap vers l’Afrique francophone comme Bank of Africa ou Attijariwafa Bank.
Si les banques marocaines n’ont pas été jusqu’alors très représentées dans le rachat de filiales de banques françaises, elles s’intéressent de près aux quelque 5.000 sociétés tricolores toujours implantées sur le continent. Des entreprises qui « prennent acte » du retrait des banques françaises. « Ce n’est pas une excellente nouvelle pour la présence française en Afrique », regrette cependant Etienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN).

L’Afrique est en train de se doter de géants bancaires qui vont rapidement compenser notre départ. C’est un mouvement irréversible
Jean-Luc Olivier Akoto, ancien de la direction de la BNP en Afrique

Signe des mouvements tectoniques qui redéfinissent le secteur : Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank, était invité au mois d’octobre par ces mêmes entrepreneurs français pour un petit déjeuner dans les salons cossus de l’Automobile Club de France. Opération séduction pour l’une des banques les plus importantes d’Afrique francophone.
« Nos invités sont venus découvrir tous les moyens qu’Attijari pouvait mettre à disposition des entreprises françaises. Nous constatons que ces banquiers ont une stratégie subsaharienne et sont très désireux de travailler avec des sociétés françaises », détaille Etienne Giros. « L’Afrique est en train de se doter de géants bancaires qui vont rapidement compenser notre départ. C’est un mouvement irréversible », résume Jean-Luc Olivier Akoto.

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