Rue Volney, entre l’Opéra et la place Vendôme, au coeur de Paris, le bâtiment ravalé comme un sou neuf a tout du classique immeuble de bureaux haussmannien. Mais n’entre pas ici qui veut. Seul un code QR présenté au vigile électronique fait office de sésame. Alors, une haute porte noire s’ouvre en deux pans glissants, silencieux et mystérieux, sur une longue nef de bois clair, au design résolument futuriste, dépouillée de toute décoration.
Le symbole est travaillé : on emprunte cette allée mystique comme un chemin vers une source de vie. Une fontaine de jouvence. Pas besoin de formalités, on vous attendait. Personne d’autre à croiser qu’une hôtesse. Celle-ci vous conduit dans votre suite personnelle, aux lumières tamisées, et à l’apaisante forme ovoïde. Sandales, peignoir, vestiaire et jusqu’à la confortable table de soins, tout évoque un espace de bien-être haut de gamme. Le zen version science-fiction.

Organes échographiés un à un
Bienvenue dans le premier centre de prévention santé ouvert par une start-up avant-gardiste à l’intersection de la médecine et du bien-être, Zoī (« le fait de vivre », en grec ancien). Au préalable, on a renseigné, grâce à l’appli mobile, un questionnaire très fouillé, depuis ses antécédents familiaux jusqu’au mode de vie, et recueilli chez soi salive et urine avec un kit d’autoprélèvement. Durant deux heures trente, vont se relayer autour de vous, dans votre suite, un radiologue qui va explorer par échographie un à un vos organes, puis une infirmière pour une vaste batterie de tests : prélèvement sanguin, mèche de cheveu pour traquer les polluants, tension, ECG, acuité visuelle et auditive, préhension, glycation, spirométrie, microbiote, OCT (examen de la rétine et du nerf optique), impédancemétrie, ostéodensitométrie, rien n’est laissé au hasard.

Le couloir au design futuriste qu'empruntent les patients, ou plutôt les « membres », à leur arrivée chez Zoī. 
Le couloir au design futuriste qu’empruntent les patients, ou plutôt les « membres », à leur arrivée chez Zoī. © Florent Michel/11h45

Après cela, place à la collation (on est arrivé à jeun) signée Alain Ducasse, avant l’examen clinique du médecin. Enfin, pour finir, un parcours personnalisé de 45 minutes accompagné d’un kiné dans le vaste espace balnéo clôt l’expérience : bassins à jets froids et chauds minéralisés ou non, hammam, sauna… L’affaire est pliée en une petite demi-journée sans le fameux stress de la blouse blanche.

Détecter les signaux faibles
Unité de temps, de lieu et d’action, comme au théâtre, sur les 2.000 m2 du centre. On est loin, très loin, du parcours du combattant classique pour un bilan de santé de cette ampleur. Quelques semaines après, une fois toutes les données collectées, traitées, corrélées via l’algorithme maison qui éclaire le travail des médecins, place à la « restitution » : analyse de votre état de santé global, recommandations précises, ordonnances si nécessaire, pour les douze prochains mois. Un nouveau bilan sera programmé à l’issue de cette période.
Zoī ne vend ni soins médicaux ou de confort, ni compléments alimentaires, ni cours de méditation ou de yoga, ni injections ou liftings… Elle se focalise sur la médecine préventive en revisitant certaines habitudes (sommeil, alimentation, exercice…) pour un impact à court terme sur la qualité de vie et en détectant les signaux faibles, à bas bruit, de maladies dormantes afin de pouvoir les freiner. Et permettre de vivre plus vieux en bonne santé.

Une histoire de rencontres
Dans la création d’entreprise, tout est souvent affaire de rencontres. Zoī n’échappe pas à la règle, avec quatre acteurs clés. Ismaël Emelien, 36 ans et cofondateur. Sciences Po attiré par les sciences sociales, il a d’abord tâté du conseil politique auprès de Dominique Strauss-Kahn (son professeur) pour les primaires de 2006 et de 2011. Conseiller d’Emmanuel Macron à Bercy puis directeur de sa stratégie de campagne présidentielle, il quitte son poste de conseiller spécial du président à l’Elysée en 2019 en quête d’une « next big thing », comme il dit. Paul Dupuy, 34 ans, autre cofondateur, est un entrepreneur récidiviste. Il cocrée Actvertising (publicité vidéo en ligne) à 18 ans à Hong Kong, lance la branche Europe de The Fancy (réseau social) en 2012, cofonde la start-up NeverEatAlone (2015) devenue Workwell, en 2017, monte deux restaurants japonais à Paris…

Enfin Stéphane Bancel, 51 ans, investisseur leader. Centralien, ancien directeur général de bioMérieux, il est DG fondateur et actionnaire de Moderna , la firme de biotechnologie américaine dont la notoriété a explosé pendant la pandémie de Covid pour son vaccin ARN messager. Le point commun entre ces trois personnages : le docteur Claude Dalle.
A 71 ans – il en paraît facilement dix de moins – cet ardent défenseur de la médecine préventive, membre de l’Académie des sciences, a bâti au fil des ans un protocole de diagnostic de l’état de santé avec une approche horizontale et globale, traitant la cause plus que les symptômes et axée sur les fonctions plutôt que sur les organes.

Charité bien ordonnée, c’est en identifiant et en soignant lui-même la cause d’une pathologie handicapante dont il souffrait que la nécessité d’envisager la médecine autrement s’est imposée à ce généraliste. Il s’est plongé dans la littérature scientifique, comme la base de données en biologie et en médecine PubMed, riche de plus de 2 millions de publications par an, a accumulé les compétences, créé un diplôme universitaire (DU) à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, et réorienté son cabinet vers la médecine préventive et anti-âge. Il est l’âme inspiratrice de Zoī, entreprise à laquelle il se consacre désormais. Conseiller médical, il en oriente le développement scientifique.

Une expérience choc
Le trio fondateur a expérimenté sa méthodologie. « En 2020, à 33 ans, je m’estimais en bonne santé. On m’a parlé de lui, j’ai pu le rencontrer et il m’a prescrit toute une batterie d’examens. Un enfer, passer de labo en labo et sans compter les coûts… », se souvient Ismaël Emelien. Lors de la consultation finale, c’est la déflagration : en résumé, un virus latent s’attaque sournoisement à ses systèmes immunitaire et digestif. « Je me dirigeais vers un décès prématuré ! » Il parle de son expérience à Paul Dupuy qui, d’abord sceptique, décide de suivre le même parcours. Bilan : « Pas de problème de santé sous-jacent, mais une perception erronée de mon alimentation qui me conduit à une forme de binge-eating (frénésie alimentaire, NDLR). Claude m’a dit qu’on peut ajuster cela. Il a vu aussi que j’avais eu un Covid sévère. En fait, il m’a donné le manuel d’utilisation de mon corps. »
Stéphane Bancel, lui aussi, a été convaincu. « Quand Ismaël et Paul m’ont contacté, j’ai demandé à tester. Claude Dalle m’a pris comme cobaye. On m’a prélevé 48 tubes de sang ! » Aujourd’hui 6 à 7 tubes suffisent. Claude Dalle lui a trouvé une maladie génétique des reins. La prescription de la bonne molécule et des recommandations adéquates ont permis de rétablir le bon équilibre : « J’ai modifié mon style de vie et mes habitudes. J’ai plus la pêche qu’il y a dix ans, je cours 5 % à 10 % plus vite qu’il y a cinq ans et j’y prends plus de plaisir. »

Cette approche a été pour tous une révélation, un coup de foudre, une sorte d’épiphanie. Mais les limites de l’exercice apparaissent vite : une collecte des données éparpillée, un bilan médical qui repose sur la seule expertise et le logiciel mental de Claude Dalle. Comment mettre de telles connaissances au service d’un plus grand nombre ? De cette idée est né Zoī . Pour Ismaël Emelien et Paul Dupuy, le schéma sur le papier est alors clair : recueillir des données fiables, objectivées, corrélables ; forger les outils technologiques pour standardiser leur traitement ; construire l’algorithme clé qui colle au plus près au protocole de Claude Dalle ; trouver un lieu unique de collecte avec une barrière d’entrée la plus basse possible ; rendre l’expérience plaisante et agréable – on ne parle pas de patient mais de membres ; et interactive via une appli pour l’accompagnement.

Londres et New York dans le viseur
Zoī, c’est de la « deeptech », de l’innovation de rupture, mais où la personne et l’humain sont au centre de l’expérience. « Les objectifs étaient élevés, on se retrouvait face à un Everest ! », reconnaît Ismaël Emelien. Zoī naît en 2021. L’idée convainc quelques investisseurs et 20 millions d’euros d’amorçage sont réunis en juillet 2022, à temps pour la signature du bail de la rue Volney : « Le 92e lieu que nous avons visité ! » assure Paul Dupuy. Une petite quinzaine de personnes ont mis au pot, « qui apportent plus que de l’argent mais chacune leurs compétences », souligne Ismaël Emelien : Stéphane Bancel et Jean-Claude Marian (fondateur d’Orpea) en « lead investors » mais aussi Xavier Niel (Iliad), Jean Moueix (Petrus), Jean-Marie Messier (banque d’affaires), Hassanein Hiridjee (Axian), Patrick Levy-Waitz (France Tiers-Lieux), Emmanuel Goldstein (Morgan Stanley), Rodolphe Saadé (CMA CGM)…

Il a fallu concevoir et réaliser Volney, embaucher l’équipe – 75 salariés, dont la moitié se consacre au développement technologique – recruter et former les médecins à cette approche. Objectif affiché : monter en puissance pour arriver à 35.000 bilans par an à horizon de cinq ans sur les dix-huit suites et avec un second espace balnéo. Suffisant pour la France dans un premier temps. Mais déjà New York et Londres sont dans le viseur pour un deuxième centre. « On regarde des immeubles », confie Paul Dupuy.

Le coût de ce parcours de santé reste élevé : deux fois 3.600 euros, puisqu’il faut s’inscrire pour deux bilans à douze mois de distance. Encore faut-il comparer avec la somme des coûts des mêmes tests s’ils étaient réalisés dans le circuit classique. Zoī, entreprise à mission, a vocation à baisser ses tarifs pour passer des « early adopters » dotés de moyens élevés à une cible plus large. « On pense possible de monter des centres peut-être moins haut de gamme mais plus accessibles, notamment dans le monde du travail via les entreprises. L’idée est véritablement de définir un modèle pour diffuser la médecine préventive, puis prédictive », avance Stéphane Bancel. Rendez-vous est pris.

De la prévention à la prédiction
« La médecine préventive ne cherche pas la pilule du centenaire mais propose de vivre plus longtemps en bonne santé. Le phénotype humain (l’expression des gènes, NDLR) ne va pas changer, on va juste le translater dans le temps », explique Claude Dalle. Cette approche fait son chemin, certains la présentant comme la clé de la réforme de santé, et séduit un nombre croissant de jeunes médecins. Dans cette optique, la physiologie et les aspects moléculaires et génétiques sont de plus en plus importants. « D’ici trois à cinq ans, je suis persuadé qu’on comprendra 90 % à 95 % de l’essentiel du fonctionnement du corps humain grâce au séquençage, à l’intelligence artificielle, au big data… », pronostique Stéphane Bancel, le DG fondateur de Moderna. D’où l’intérêt de multiplier les points de données (anonymisées) : plusieurs milliers par bilan. « Plus on a d’infos sur un corps, plus on a de chance de le comprendre », explique Claude Dalle. Cette accumulation devrait permettre d’affiner les outils, les algorithmes. Zoī, pour ses acteurs, n’est en effet qu’une étape sur le chemin de la médecine prédictive où il s’agira de détecter très tôt les signaux faibles de toutes natures, de freiner voire stopper l’évolution de maladies quasi programmées en les prenant très en amont, avant même que n’apparaisse le moindre symptôme. « 70 % des maladies sont déjà engrammées dans le foetus et au cours des 1.000 premiers jours, conception comprise » rappelle Claude Dalle.

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