Après plus de vingt ans d’attente, et près de dix ans après la décision politique de fermer la vieille centrale polluante du Vazzio, EDF a enfin posé la première pierre de la future usine de production électrique d’Ajaccio, ce vendredi. « Un moment heureux qui vient de loin », a souligné Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse. Le projet a en effet « généré tellement d’attente, de peur, d’anxiété dans notre population », a rappelé Stéphane Sbraggia, le maire d’Ajaccio.

Mais il faudra encore patienter trois années avant qu’un carburant à base d’huile de colza fasse tourner les huit moteurs à cylindre de la future centrale du Ricanto, qui couvrira environ 15 % des besoins de l’Ile de Beauté. En attendant, le Vazzio reste la dernière centrale au fioul lourd en activité en France, depuis la fermeture de Porcheville en 2017, et l’une des dernières en Europe.

Virage vert
Le Ricanto « va ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de l’électricité en Corse pour renforcer l’autonomie et la résilience du territoire », explique Luc Rémont, PDG d’EDF. L’énergéticien public va investir « plus d’un milliard d’euros dans les cinq années qui viennent » sur l’île de Beauté, dont 800 millions d’euros pour le Ricanto. Car « la sécurité d’approvisionnement de la Corse est encore très tendue », rappelle Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie. En atteste encore, l’été dernier, l’arrêt d’un câble électrique reliant la Sardaigne à la Corse.

La centrale du Ricanto se dressera à quelques centaines de mètres de la plage du même nom, sur une bande de terre de 3,5 ha coincée entre la route de l’aéroport d’Ajaccio et les contreforts d’une colline où se dressent, depuis plus de quarante ans, les deux cheminées du Vazzio. Peintes en rouge et blanc, elles dominent le littoral de 85 mètres et font de l’ombre aux maisons tout proches. Leurs remplaçantes surplomberont la mer de 50 mètres. De couleur grise, elles devraient se fondre davantage dans le paysage, tout comme la centrale elle-même, avec ses bardages en bois.

LIRE AUSSI :
Malgré un démarrage « modeste », le biofioul croit en son avenir

Après le « black-out » , la Guadeloupe s’inquiète pour le tourisme

Ce projet symbolise le virage vert pris par la Corse, qui devrait atteindre une production électrique locale 100 % verte « en 2030 », selon Luc Rémont. Mais sans l’aide du nucléaire comme sur le continent. « Dans un territoire insulaire, l’électricité est déjà au XXIe siècle. Nous avons l’occasion d’y déployer les technologies les plus avancées », rappelle le patron d’EDF.

Première étape avec le Ricanto : « nous allons passer de 34 % d’énergies renouvelables à 74 % » en 2028, pointe Gilles Simeoni. Restera à convertir la centrale au fioul léger de Lucciano, au nord de l’île, à la biomasse liquide. Une transition déjà expérimentée par EDF à La Réunion, pour la centrale de Port-Est. La Corse devra aussi cesser de recourir à des groupes électrogènes, fonctionnant au gazole, pour absorber les pics de consommation, dus notamment à la climatisation en été.

Le site du Ricanto rejettera dans l’atmosphère trois fois moins de CO2 que le Vazzio, soit 300.000 tonnes de moins chaque année, promet EDF. Un calcul qui prend en compte les émissions liées à la production d’huile de colza et à son transport par bateau. Autres promesses : une baisse de 75 % des émissions d’oxydes d’azote, de 90 % pour les poussières, et plus un gramme d’oxyde de soufre. Les besoins en eau seront quant à eux inférieurs de 90 % aux 350.000 mètres cubes nécessaires pour refroidir le Vazzio.

Une électricité plus chère
La biomasse liquide n’était toutefois pas le choix initial de la Corse. L’île avait d’abord misé sur le gaz avant l’abandon d’un projet d’un gazoduc qui devait relier l’Algérie à l’Italie, via la Corse. La flambée du prix du gaz causée par la guerre en Ukraine a définitivement disqualifié ce combustible fossile, au profit du biocarburant.

Avec ses 130 MW, la centrale du Ricanto ne sera pas plus puissante que celle du Vazzio, et loin des 250 MW envisagés initialement pour le gaz. Il faudra 100.000 tonnes de biocarburant, d’origine européenne, pour la faire tourner chaque année, soit la production de « 60.000 hectares de colza », précise Cédric Dupuis, directeur du projet du Ricanto, chez EDF. Pour une tonne de colza récoltée, une grosse moitié servira à fabriquer des tourteaux pour l’alimentation animale , et le reste du biocarburant.

Le fonctionnement de la centrale coûtera 6,3 milliards d’euros sur vingt-cinq ans, précise la CRE. Aux cours actuels, le mégawattheure (MWh) produit au Ricanto reviendrait à « 400 euros », contre « 230 euros » pour le fioul lourd au Vazzio et « 280 euros » pour le fioul léger de Lucciana, précise Amandine Bono, cheffe du service de gestion du système électrique d’EDF en Corse. L’Etat met déjà la main à la poche – 370 millions d’euros l’an dernier – pour que les Corses paient leur électricité au même prix qu’ailleurs en France. Un système de péréquation qui fonctionne aussi outre-mer.

Dépendance à l’Italie
Contrairement à ces territoires, la Corse bénéficie toutefois d’une connexion avec le continent, via la Sardaigne et l’Italie. Cette électricité importée coûte « 100 euros le MWh », selon Amandine Bono. Provenant de sources carbonées ou non, elle a représenté l’an dernier 27 % de l’électricité consommée en Corse. « En 2050, ce sera toujours de l’ordre de 30 % », indique Amandine Bono. Une entorse à l’autonomie énergétique promise par l’exécutif corse à cet horizon. EDF va d’ailleurs investir dans la modernisation et l’augmentation de la capacité de la liaison par câble avec l’Italie SACOI3 (de 50 à 100 MW).

« En 2050, nous voulons être capables, uniquement à travers la maîtrise de l’énergie et la montée en puissance des énergies de renouvelables, de produire en théorie la totalité [de l’électricité] sur le territoire insulaire », réaffirme toutefois Gilles Simeoni. Les barrages hydroélectriques, éoliennes et panneaux solaires en représentent déjà un tiers, produit essentiellement par EDF, mais aussi Corsica Sole.

Pour lisser cet approvisionnement, par nature intermittent et aléatoire, l’île va investir dans des batteries de stockages. EDF veut aussi transformer une de ses stations hydroélectriques, pour pomper l’eau en aval et la réinjecter dans les turbines en amont. Les projets à base d’hydrogène restent en revanche embryonnaires sur l’île. Dernier levier pour absorber la demande croissante : changer les habitudes des consommateurs. EDF expérimente sur l’île les heures creuses (moins chères) en journée plutôt que la nuit.

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr