Le sujet est explosif, et particulièrement sensible : comment mieux protéger les zones de captage, d’où provient l’eau destinée à la consommation humaine ? Au moment même où la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a promis de s’attaquer rapidement à la question, un rapport d’inspections ministérielles montre en tout cas qu’il y a urgence.
Daté de juin 2024, et publié seulement ce 22 novembre, ce rapport de près de 600 pages a été réalisé par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Il avait été commandé par le gouvernement Borne en novembre 2023, alors que la crise agricole commençait à couver.

Echec de la préservation de la qualité de l’eau
Ses conclusions sont accablantes. Rappelant que les substances chimiques contenues dans les pesticides se retrouvent dans l’eau des captages à travers le ruissellement ou l’infiltration dans les sols, souvent à l’état de métabolite (molécules issues de leur dégradation), les inspections concluent à « l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau ».
Soulignant que les procédures de surveillance « pourraient être améliorées », le rapport constate aussi que les eaux brutes, tout comme les eaux distribuées, contiennent des concentrations de pesticides et de métabolites bien supérieures aux normes.
Les inspections ont ciblé trois substances : deux dérivées de la chloridazone (un herbicide utilisé dans la culture des betteraves sucrières) et le chlorothalonil (un fongicide utilisé dans la culture des céréales). Pour chacune d’elles, des dépassements « préoccupants » ont été constatés, particulièrement dans la moitié nord de la France. Les inspections citent notamment l’Aisne, où de nombreux captages (dans les rivières et les nappes souterraines) révèlent une concentration supérieure à 2 microgrammes par litre : selon elles, « ces ressources ne devraient plus être utilisées pour produire de l’eau potable, et devaient être abandonnées ».

« C’est la première fois qu’un rapport, qui plus est signé à la fois par les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, constate une telle impasse sur certains territoires », relève Régis Taisne, spécialiste de l’eau à la FNCCR, qui représente des collectivités locales. Les régions Hauts-de-France et Normandie, ainsi que le Calvados, sont également pointés.

Redevance pour pollution diffuse
Les inspections rappellent que le dernier bilan annuel disponible du ministère de la Santé (2022) a aussi relevé des dépassements dans l’eau du robinet , pendant plus d’un mois, sur cinq métabolites. De fait, ont-elles constaté, la « gestion des non-conformités » souffre également de graves lacunes. Les règles en vigueur ne sont pas forcément pertinentes, avec par exemple de nombreuses dérogations sources de bureaucratie.
En aval, elles pointent l’efficacité variable des filières de dépollution pour rendre l’eau potable, sachant que les plus efficaces (osmose inverse, nanofiltration) coûtent « entre deux et trois fois plus cher ». Avec un impact déjà constaté sur le prix de l’eau dans certains départements, comme l’Aisne (2,55 euros/m3) ou le Calvados (2,49 euros/m3), par rapport à la moyenne nationale (2,13 euros/m3).
Le rapport préconise donc toute une série de mesures à mettre en place d’urgence, allant du relèvement de la redevance pour pollution diffuse à la création de « zones soumises à contrainte environnementale » pour les aires de captage en dépassement, qui seraient alors soumises à un programme d’actions spécifiques.
Il évoque aussi des solutions plus fondamentales, comme la refonte des autorisations de mise sur le marché des molécules concernées, ou le changement des pratiques agricoles de sorte à réduire l’utilisation des pesticides dans les aires de captages – sans toutefois proposer de les y interdire comme le souhaiteraient certains. Quelque 12.500 captages ont déjà été fermés entre 1980 et 2019, essentiellement en raison des pollutions. Il en reste environ 33.000, dont environ 3.000 « sensibles », où des dépassements ont été constatés.

Opposition des agriculteurs
Que retiendra le gouvernement de ces préconisations ? Agnès Pannier-Runacher a promis faire de la protection des captages « une priorité ». «Ce rapport servira de base de travail entre les différents ministères», affirme-t-on au sein de son cabinet, sans préciser à ce stade quelles mesures concrètes sont envisagées. «Mais nous ne l’avons pas attendu. Le plan Ecophyto [de réduction des pesticides, NDLR] comporte déjà des dispositions en ce sens».
Le gouvernement précédent avait promis que l’année 2 du plan eau de mars 2023 serait consacrée à la qualité. «Le groupe de travail sur les captages ne s’est toutefois pas réuni depuis deux ans… », déplore Régis Taisne. Il n’est pas sûr toutefois que ce groupe de travail, qui réunit tous les acteurs, soit réactivé avant les élections professionnelles agricoles, en janvier. Car il s’agit d’un sujet qui fâche chez les agriculteurs. En décembre 2023, la FNSEA avait déjà fait renoncer le gouvernement Borne à la hausse de la redevance pour pollution diffuse mise en place l’an dernier dans le cadre du plan eau.

La protection des captages fait aussi l’objet d’une proposition de loi déposée le 29 octobre par le député écologiste Jean-Claude Raux. Ayant recueilli 74 signatures, elle n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

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