Finalement, la fin des cookies tiers, avec ou sans Google s’avère un puissant moteur d’innovation. Elle pousse les entreprises à adopter des approches plus éthiques et centrées sur l’utilisateur. Elle ouvre la voie à un paysage digital plus respectueux de la vie privée et plus engageant pour les consommateurs. C’est l’opinion de Lilia Sadiki, directrice data marketing et Alexandre Mahé, associé d’EY Fabernovel qui décryptent cette évolution de la collecte de données.
Alors que Google annonçait cet été retarder l’échéance du couperet sur les cookies tiers, les annonceurs n’ont pas attendu le dénouement de cette saga commencée il y a déjà quatre ans pour innover. Meta avait d’ailleurs emboîté les pas de Google en proposant dorénavant en Europe des publicités moins ciblées pour les utilisateurs de la version gratuite de ses applications.
Et si, l’innovation ne venait pas seulement des géants du numérique ?
Cette évolution de l’ère post-cookies tiers a été initiée par les géants américains pour répondre avant tout au durcissement des réglementations internationales en matière de données personnelles. Mais elle a été véritablement engagée par les annonceurs. Ils innovent sur de nouvelles stratégies digitales, plus proches de leurs clients et plus utiles.
C’est d’abord un investissement sur la donnée « first party » et sa valorisation que les entreprises ont visés. Cette approche implique de repenser l’expérience utilisateur en construisant une relation singulière avec la marque, valorisant la proximité et engageant le client dès la conception du produit.
Un changement d’état d’esprit par design
Les entreprises ont rivalisé d’ingéniosité pour reconstruire une relation et l’expérience proposées à leurs clients afin d’alimenter et collecter des données first party. Cette nouvelle dynamique oblige les marques à repenser leur approche, en privilégiant la transparence et la réciprocité dans leurs interactions avec leur audience. Les entreprises doivent désormais proposer une expérience utilisateur enrichie et personnalisée pour démontrer clairement la valeur ajoutée qu’elles offrent en échange des informations fournies par les consommateurs.
De nouvelles plateformes de marque innovantes, engagées et tournées vers l’avenir ont ainsi vu le jour avec une approche plus servicielle et empathique envers les consommateurs. On le retrouve chez Décathlon avec le service d’atelier et de réparation, chez Leroy Merlin avec des services tels que Kazaplan (outil de modélisation de son habitation en 3D) ou encore les fablab. Naos, entreprise française du soin de la peau, pour sa part a conçu une plateforme servicielle, empathique, soucieuse d’apporter des solutions innovantes et adaptées aux problématiques actuelles de ses clients.
La plateforme de Naos a permis de créer une communauté
La plateforme de Naos a permis de créer une communauté en ligne engagée autour des thèmes de l’Aging Science et du diagnostic de peau, générant naturellement des données first party. En contrepartie, Naos investit en R&D. La marque développe de nouvelles gammes de produits et étend son catalogue, en proposant des produits préventifs avec des traitements de longue durée, des produits adaptés à la famille, intergénérationnels et des produits très techniques et localisés, développés grâce à l’écoute de ses clients.
Malgré le revirement récent de Google en mettant en pause la suppression des cookies tiers dans Chrome, le géant américain a développé des outils pour renforcer ces stratégies first party avec Tag Diagnostics, First Party mode et la plateforme intégrée de gestion du consentement, allant dans le sens d’un choix plus éclairé de la part des internautes.
De nouvelles organisations en Data Factories
Mais pour ne pas retomber dans les travers connus avec les cookies tiers, il faut apprivoiser ces nouvelles technologies, en connaitre leurs limites et dé-siloter les organisations pour rendre exploitables certaines données et certaines technologies au service du métier.
C’est ainsi que les organisations en Data Factories sont venues apporter, au cœur des enjeux business, une meilleure productivité tant au niveau de la collecte des Data sources qu’au niveau des nouvelles méthodes de mesure. La donnée y est décentralisée pour les usages de chaque métier, ce que l’on appelle le Data mesh.
L’écoute client a permis de comprendre les besoins d’une nouvelle cible plus sensible aux enjeux de santé publique
Ces organisations sont aujourd’hui en pleine production avec, déjà, des premiers impacts mesurables en termes de retour sur investissement et d’autofinancement des solutions. Ces entreprises tirent notamment parti des méthodologies de « reverse ETL » qui permettent d’actionner une partie des données first party sous-exploitées historiquement. Par exemple, au sein d’un grand acteur du spiritueux, l’écoute client a permis de comprendre les besoins d’une nouvelle cible plus sensible aux enjeux de santé publique et de leur proposer un service à valeur ajoutée avec une gamme de recettes de cocktail sans alcool.
Dans sa Data factory, Naos a mis en place un système de tracking côté serveur et de proxification. Cette approche permet de collecter les données des utilisateurs lors de leur visite sans passer par le navigateur, tout en gardant la maîtrise de leur stockage. Un processus complet a été implémenté au sein du hub de données avec une décentralisation spécifique pour les fonctions marketing. C’est toute l’architecture de stockage des données qui a ainsi été repensée. Le résultat ? Une unification des données directement dans la plateforme Data délivrée par Snowflake permettant ensuite un accès décentralisé grâce à une « serve platform » dédiée aux enjeux d’expérience client.
Des organisations soutenues par de nouvelles méthodes de mesure et d’analyse
Après avoir attiré puis collecté de nouvelles données « first party », encore faut-il pouvoir les analyser. L’industrie a commencé à développer de nouvelles méthodes de mesure pour soutenir cette évolution du marketing digital et compenser la perte des cookies tiers.
Des APIs permettent de mieux mesurer l’impact des campagnes sur les conversions sans suivre les utilisateurs individuellement
À chaque révolution, son lot d’innovation. C’est le cas par exemple d’API, comme celles de « l’attribution reporting » de la « Privacy Sandbox » de Google, ou encore « les post-back impressions » de Meta et Pinterest, permettant de mieux mesurer l’impact des campagnes sur les conversions sans suivre les utilisateurs individuellement.
Ces changements, perçus initialement comme des contraintes, ont permis de déconstruire certains schémas tels que la mesure du dernier clic qui avait tendance à surévaluer certains affiliés via le cashback et le couponing, ou encore le retargeting en s’inspirant des méthodes statistiques historiques pour moderniser de nouvelles méthodes de mesure.
Le Marketing Mix Modeling moins coûteux
Le Marketing Mix Modeling (MMM) donne une vue holistique de l’efficacité marketing, moins dépendante des données individuelles. Grâce aux nouvelles organisations et nouvelles méthodes de collecte, le sourcing des données, autrefois très chronophage, est désormais plus efficace et industrialisé, rendant le MMM accessible et moins coûteux pour des entreprises de taille moyenne.
On peut recalibrer plus scientifiquement le MMM avec la mise en place de tests A/B géographiques
Enfin, la mesure d’incrémentalité permet d’évaluer l’impact réel des campagnes marketing et de recalibrer plus scientifiquement le MMM avec par exemple la mise en place de tests A/B géographiques offrant la possibilité de se confronter davantage au rôle serviciel que peut apporter la publicité et le rôle sociétal que peuvent porter les marques aujourd’hui dans leurs responsabilités de consommation.
Si la publicité ne représente aucune incrémentalité, des décisions sont prises plus rapidement en arrêtant la diffusion ou en changeant de cible ou de message. Là où avant avec les cookies tiers, on faisait confiance à la mesure analytique, qui présentait un nombre d’erreurs important et pouvait s’avérer contre performante.
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