La popularité retrouvée d’un bitcoin, qui vient de franchir la barre des 100.000 dollars réjouit la cryptosphère. Mais, au sein des grandes banques centrales, le coeur est beaucoup moins à la fête. Même si cette menace semble encore très éloignée, elles redoutent que les cryptoactifs ne viennent concurrencer leurs propres monnaies. Au risque de porter atteinte à la stabilité monétaire dont elles sont les garantes.

« Depuis quelques semaines, et particulièrement depuis l’élection de Donald Trump qui a fait bondir le bitcoin, on sent une plus grande fébrilité, souligne une bonne connaisseuse de l’univers des banques centrales. Cela pourrait même pousser la Banque centrale européenne (BCE) à accélérer ses travaux sur l’euro numérique. »

Moyen de paiement alternatif
Les inquiétudes des grands instituts d’émissions portent d’abord sur le risque de voir les cryptos s’imposer comme un moyen de paiement alternatif. Cet usage pourrait se démocratiser auprès du grand public. La chaîne de grands magasins Printemps accepte désormais les règlements en bitcoin. Cela pourrait créer un engouement nouveau, avec le risque que la volatilité inhérente aux cryptos classiques affecte la valeur des portefeuilles dédiés des particuliers.
Dans le domaine des entreprises, la récente expérience du géant des paiements numériques PayPal a déclenché un signal d’alarme. Ce dernier possède sa propre crypto stable (stablecoin en anglais), le PYUSD, qui est adossé au dollar. Et il l’a utilisée pour régler une facture au cabinet comptable EY.
Jusqu’à présent les paiements interentreprises en cryptomonnaies étaient plutôt réservés aux entreprises du secteur. Elles pourraient se multiplier. Coinbase affirme ainsi être contacté par un nombre croissant de sociétés appartenant au classement Fortune 500 pour expérimenter des paiements en crypto.

Perte de surveillance
Si cet usage devenait plus répandu, de nombreux paiements échapperaient au système bancaire, et donc à la surveillance des banques centrales qui les supervisent. Avec à la clé, estiment les banquiers centraux, un risque accru en termes de défaut de contrepartie, d’opacité et de solidité des intermédiaires.
D’où l’émergence de projets plus ou moins aboutis de monnaie numérique de banque centrale pour les paiements. La Chine teste depuis 2020 son yuan électronique, le e-CNY, avec des volumes en constante croissance. La BCE semble de son côté de plus en plus décidée à lancer son euro numérique, même si celui-ci ne sera probablement pas disponible avant 2028.
Mais un autre risque, encore plus systémique, inquiète les grands instituts d’émission. Celui-ci est lié à la tokenisation de la chaîne des transactions financières. L’idée est d’utiliser la technologie de la blockchain pour toutes les étapes de création d’un titre financier, une obligation par exemple, depuis son émission jusqu’au règlement-livraison, c’est-à-dire le paiement et le transfert de propriété.
Cette évolution aurait le mérite d’accélérer le processus en assurant la sécurité des opérations. Toutefois, à l’heure actuelle, la phase de règlement-livraison n’est pas aussi solide que pour les transactions physiques. Classiquement, ces opérations entre établissements dépositaires des titres se concluent en monnaie de banque centrale. C’est-à-dire, en Europe, avec leurs fonds conservés par la BCE qui offrent une sûreté plus forte que les sommes qu’elles ont simplement à leur bilan.

Sécurité des transactions financières
Or, il n’y a pas d’équivalent de cette monnaie de banque centrale dans l’univers des cryptos. Ce qui freine actuellement la démarche de tokenisation. Certes, les stablecoins pourraient représenter une solution, puisque la valeur de ces jetons est censée être arrimés à celle d’une grande devise « fiat » comme le dollar. Mais leur solidité est égale à celle de la société qui les émet. Bien loin de celle d’une banque centrale.
Faute d’une alternative convaincante disponible suffisamment rapidement, certains acteurs de marchés pourraient tout de même être tentés d’utiliser les cryptos stables, avec tous les dangers que cela comporte. La BCE a donc lancé un projet pilote sur la tokenisation des transactions financières, afin de fournir une solution aussi sûre que pour les opérations physiques.

La Banque de France est particulièrement en pointe dans cette initiative, avec une chaîne d’opérations entièrement numérique grâce à une monnaie numérique de banque centrale de gros utilisée pour le règlement livraison. Plusieurs tests ont jusqu’ici validé ce dispositif. Le conseil des gouverneurs de la BCE doit décider de se lancer, ou non, dans une phase plus dynamique en 2025.

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