La tension est à son comble entre le géant français de l’uranium Orano et les nouvelles autorités militaires du Niger. Ce mercredi 4 décembre, Orano a confirmé avoir perdu le contrôle opérationnel de la Somaïr (la Société des mines de l’Aïr), sa dernière filiale active dans le pays. Avec cette prise en main par Niamey, une page se tourne dans l’histoire des relations économiques entre la France et le Niger, désormais déterminées par la souveraineté proclamée du régime issu du coup d’État de juillet 2023. « Depuis plusieurs mois, Orano alerte sur les ingérences que le groupe subit dans la gouvernance de la Somaïr, dont il est actionnaire majoritaire et opérateur au Niger », pointe le groupe français dans son communiqué de mercredi. « En effet, les décisions prises lors des conseils d’administration de la société ne sont plus appliquées et, de fait, Orano constate aujourd’hui que les autorités nigériennes en ont pris le contrôle opérationnel », poursuit-il.

Une escalade de décisions unilatérales
Depuis des mois, le climat s’est détérioré. En juin, le gouvernement nigérien avait déjà retiré à Orano son permis d’exploitation sur le gigantesque gisement d’Imouraren. Fin octobre, le groupe français annonçait qu’il suspendait les activités de la Somaïr en dénonçant des « ingérences » dans sa gouvernance. Mais la junte a continué à défier son partenaire historique, refusant catégoriquement l’exportation de 1 150 tonnes de concentré d’uranium pourtant prêtes à quitter le pays. Mais la frontière du Niger avec le Bénin est fermée pour des raisons de sécurité, selon Niamey après une brouille diplomatique avec son voisin. Ces stocks, d’une valeur estimée à 200 millions d’euros, s’entassent désormais sur les sites d’Arlit, aggravant les pertes financières.
Orano accuse les autorités nigériennes d’avoir bloqué les résolutions visant à prioriser le paiement des salaires et la préservation des infrastructures industrielles. Au contraire, Niamey a maintenu les dépenses liées à la production, amplifiant les difficultés économiques de la Somaïr. « Les dépenses de production qui se poursuivent sur le site dégradent chaque jour davantage la situation financière de la société », estime le groupe français.

Souveraineté contre partenariats historiques
Le Niger, quatrième producteur mondial d’uranium, est une source stratégique pour l’approvisionnement énergétique français. Orano, qui détient 63,4 % de la Somaïr, évoque désormais une action en justice et reste ouvert à un accord. Mais l’État nigérien, qui possède 36,6 % des parts, semble vouloir affirmer une souveraineté totale sur ses ressources stratégiques.
En parallèle, Niamey multiplie les ouvertures vers d’autres partenaires. En novembre, le ministre des Mines, Ousmane Abarchi, a invité des sociétés russes à explorer et exploiter les ressources naturelles du pays. Une démarche qui marque une rupture géopolitique nette avec l’ex-puissance coloniale française.
Depuis l’annonce, les réseaux sociaux nigériens s’enflamment. De nombreux soutiens de la junte militaire au pouvoir saluent cette décision, la considérant comme un pas crucial vers la souveraineté économique du pays et une rupture nécessaire avec des décennies de domination étrangère sur les ressources stratégiques du Niger. Un internaute écrit : « Pendant des décennies, notre uranium a alimenté les centrales françaises pendant que nos écoles manquaient de bancs. Il est temps que ça change ! »
Cependant, ce soutien unanime n’est qu’en apparence. Quelques voix, plus rares, appellent à la prudence face à ce repositionnement stratégique. Certains craignent que les nouveaux partenaires, notamment les entreprises russes, n’offrent pas de meilleures conditions et perpétuent les déséquilibres déjà critiqués.

Cette crise ne concerne pas seulement les relations bilatérales entre les deux pays, elle illustre aussi des tensions géopolitiques autour des ressources stratégiques africaines. L’uranium, clé de la transition énergétique mondiale, est devenu un levier de négociation majeur pour des pays en quête de contrôle sur leurs richesses. Si les entreprises russes s’imposaient comme de nouveaux acteurs dans l’exploitation de l’uranium nigérien, cela pourrait avoir des implications géopolitiques majeures. La France, qui dépend en partie de l’uranium nigérien pour son industrie nucléaire, verrait son approvisionnement fragilisé. L’Europe dans son ensemble, engagée dans la transition énergétique, pourrait également pâtir de cette redistribution des cartes.

Orano, détenu à 90 % par l’État français, a exprimé ses « plus vifs regrets » face à cette situation, soulignant son impact sur les salariés et les communautés locales. En 2021, le Niger représentait 4,7 % de la production mondiale d’uranium naturel, loin derrière le Kazakhstan (45,2 %), selon des chiffres de l’agence d’approvisionnement d’Euratom (ESA). Désormais, cette filière vit un tournant décisif.

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