Pas plus qu’en politique, il n’y a pour le moment de « maître des horloges » dans l’univers horloger. L’heure est au doute dans le secteur alors que le ralentissement des ventes s’accentue, une forme de normalisation après l’euphorie qui a suivi la crise sanitaire. « C’est, avec les spiritueux, une des catégories du luxe qui a le plus souffert cette année », observe Joëlle de Montgolfier, directeur associé chez Bain & Co.
Les ventes de « biens personnels de luxe » (qui incluent les montres) devraient diminuer d’environ 2 %, à 363 milliards d’euros cette année, selon le cabinet de conseil, et même de 20 % à 22 % en Chine. Même s’il est encore trop tôt pour évaluer le recul de ce marché, juge la spécialiste. « Sur deux ans, le luxe a perdu plus de 50 millions de consommateurs. Nombre d’entre eux, issus des générations Y [les milléniaux, NDLR] ou Z, notamment en Chine », rappelle-t-elle.

Quand la Chine plonge
Or, la deuxième économie mondiale « pèse près de 30 % des ventes de l’horlogerie haut de gamme, et son poids est encore plus important en termes de clientèle », souligne Luca Solca, analyste chez Bernstein, avec des touristes chinois qui achètent aussi des montres lorsqu’ils voyagent, au Japon notamment.
Toutes catégories confondues (de l’entrée de gamme au luxe), les exportations horlogères suisses vers la Chine ont chuté de 38 % (sur un an) en octobre. C’était encore pire le mois précédent (-49,7 %), ce qui a représenté avec Hong Kong (-35 %) « les deux tiers du repli » des exportations suisses sur la période.
Swatch Group, qui détient Omega, a subi de plein fouet cette tendance, avec des ventes en repli de 14 % au premier semestre (dont -30 % en Chine) et un profit divisé par trois. Sur les neuf premiers mois de l’année, les ventes de la division montres & joaillerie de LVMH (propriétaire des « Echos ») ont baissé de 3 % (en organique), une diminution qui s’est accentuée au troisième trimestre. La panne du marché chinois a aussi pénalisé Richemont, qui détient Cartier et la maison horlogère Vacheron Constantin.
Le recul des ventes, enclenché à partir de l’été 2023, est apparu après deux années postpandémie de folles croissances. Le ralentissement a d’abord été le signe d’une « normalisation des ventes », mais il s’est amplifié. « Il n’y a néanmoins pas de décrochage de l’horlogerie dans le luxe », assure Joëlle de Montgolfier.

Flambée d’inflation
Il n’empêche. Plusieurs facteurs inquiétants se conjuguent. La flambée d’inflation, notamment aux Etats-Unis, premier marché du luxe, a freiné la demande alors que la Chine n’offrait pas de perspective de rebond.
Le secteur souffre ensuite dans son modèle de distribution de sa dépendance aux détaillants. « Lorsqu’un ralentissement s’opère, ceux-ci gèlent les commandes. A l’inverse, tout peut s’emballer lors d’une reprise », précise Joëlle de Montgolfier. « Les marques résilientes sont celles qui ont construit un partenariat solide avec de grands distributeurs », estime l’expert du luxe Joël Hazan.
Outre la dépendance à la Chine, « l’impact de l’activité horlogère cette année est lié aux stocks [qui sont encore à des niveaux élevés, NDLR] » et à l’exposition à la clientèle dite « aspirationnelle » (qui achète au moins un produit de luxe par an entre 3.000 et 10.000 euros), estime David Dubois, professeur associé de marketing à l’Insead. 
Des clients très courtisés. Ainsi, « la montre connectée a dévasté le ‘luxe accessible’ et le milieu de gamme souffre. Seuls les grands acteurs du secteur s’en sortent », observe Luca Solca, analyste chez Bernstein. Selon Morgan Stanley, les quatre plus grandes marques horlogères (Rolex, Cartier, Omega et Audemars Piguet) concentrent plus de la moitié des revenus de l’industrie horlogère suisse. « En Chine comme ailleurs, l’attrait est intact pour quelques maisons horlogères ayant un savoir-faire historique et une forte valeur d’investissement », déclare Olivier Guillon, directeur général adjoint d’OpinionWay.

« Un désir d’immortalité »
De quoi donner au secteur des raisons d’espérer. Au-delà de la période actuelle, David Dubois pointe que les produits de luxe conservent, outre une fonction statutaire, une valeur de « biens intemporels ». « Dans nos enquêtes auprès de panel de consommateurs » apparaît « un désir d’immortalité, plus ou moins conscient », souligne-t-il.
Quant aux augmentations de prix, elles « ont été plus mesurées dans l’horlogerie que dans d’autres activités du luxe où celles-ci ont fait fuir les clients », indique Joëlle de Montgolfier. Un danger toutefois, l’horlogerie est aussi plus exposée à la « seconde main ». « La jeune clientèle accède aux montres de luxe par la revente. Dans le luxe, l’essentiel de la seconde main repose sur l’horlogerie et la joaillerie, et non la mode et maroquinerie », rappelle encore la spécialiste.
Dans ce marché en proie au doute, la remontée du bitcoin, qui a franchi les 100.000 dollars jeudi dernier, fait figure de signal. En 2023, la chute des cryptomonnaies avait précédé sinon précipité l’éclatement de la bulle horlogère. « Le retour en force du bitcoin sera source de profits », avance un dirigeant. Le voilà attentif aux signes de la reprise de la consommation aux Etats-Unis, « marché clé et de collectionneurs où nous devons grandir », concède-t-il.

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