En mars 2020, alors que la pandémie de Covid-19 commence à menacer le monde entier, une étude française fait naître un immense espoir. Publiée dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents par le Pr Didier Raoult et son équipe de l’IHU de Marseille, elle semble démontrer l’efficacité spectaculaire de l’hydroxychloroquine (HCQ) associée à l’azithromycine contre le coronavirus. Cette étude historique vient tout juste d’être rétractée par Elsevier, son éditeur. Sur le plan scientifique, cela signifie qu’elle n’existe plus, que son contenu n’est plus valide. En d’autres termes, elle ne démontre pas l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le virus du Covid. Le coup de grâce pour Didier Raoult.
L’infectiologue marseillais avait menacé, par lettre d’avocat, de poursuivre Elsevier en cas de rétractation de cet article. Du jamais vu dans ce milieu académique où le débat se tranche sur le fondement d’arguments scientifiques et non juridiques. C’est donc une victoire pour les médecins, chercheurs, lanceurs d’alerte et journalistes, qui pendant la pandémie n’ont eu de cesse de dénoncer cette publication marquée par d’énormes biais méthodologiques, mais aussi des manipulations grossières des résultats.
Mais une victoire au goût très amer, car cette rétractation arrive presque 5 ans trop tard. « Cela aurait dû se faire dans les jours ou au pire les semaines qui ont suivi la publication de cet article irresponsable, affirme Fabrice Franck, docteur en biochimie et l’un des principaux lanceurs d’alerte durant la pandémie. Elsevier a reculé face aux menaces de poursuites juridiques brandies par Didier Raoult. Ce qui pose la question de la responsabilité de cette maison d’édition dans les dommages causés par cette étude. Même la société savante qui gère ce journal avait déclaré depuis longtemps que cette étude était problématique. »
La « folie hydroxychloroquine »
Effectivement, malgré les dénégations et les discours rassurants que l’infectiologue marseillais tiendra à la télé, sur YouTube ou sur les réseaux sociaux, il sera très vite montré que l’hydroxychloroquine est responsable d’une surmortalité chez les malades du Covid.
« Grâce à la pharmacovigilance, 8 arrêts cardiaques ont été signalés, dont 4 ont conduit à la mort, rien que durant le premier mois de prescription de HCQ en France. Par la suite, des études de grande ampleur ont estimé une surmortalité de 11 % chez les patients qui recevaient l’HCQ. Ce sont donc des dizaines, voire des centaines de milliers de morts de par le monde que l’on doit à la folie hydroxychloroquine », assure Mathieu Molimard, professeur au service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux et l’un des plus farouches opposants aux thèses de l’infectiologue.
Cette rétractation tardive est difficile à comprendre tant les alertes n’ont pas tardé : « Le 3 avril, soit quelques jours après la parution de l’étude, j’ai fait une vidéo qui a fait environ 400 000 vues dans laquelle j’explique la fraude de Didier Raoult, comment il a truqué ses résultats. Mais elle est passée inaperçue auprès des médias traditionnels », raconte Alexander Samuel, docteur en biologie et professeur de mathématiques dans un lycée de Grasse.
Le jeune prof de math regrette surtout que l’attention se soit focalisée sur la mauvaise qualité de l’étude, sa méthodologie. « Si on avait admis tout de suite que cela reposait sur une fraude scientifique, je pense que la gravité de la situation aurait été comprise. Truquer ses résultats pour faire croire qu’un traitement marche, ce n’est pas la même chose que d’avoir des résultats vaguement positifs avec une méthodologie imparfaite. »
Cette fraude sera d’ailleurs affirmée publiquement et avec force dans l’émission Complément d’enquête, par Louis Schweitzer, alors vice-président du Conseil d’administration de l’IHU. Mais en novembre 2022, bien trop tard encore.
Populistes et conspirationnistes en soutien
Lonni Besançon, chercheur à l’université de Linköping, en Suède, très engagé dans la lutte contre la désinformation sur le Covid-19, insiste sur ce point : « Il y a aussi une possible fraude lors de l’évaluation de l’article par les pairs censés valider la qualité scientifique de l’article. Habituellement, cela prend du temps. Là, cela a été bouclé en une journée seulement. Une partie des données indiquant que cette relecture a été très rapide ont depuis été supprimées du site de l’éditeur. Dans le cas d’études comme celle-ci, pouvant modifier la pratique clinique et la politique de santé publique, il est très important d’agir très rapidement. »
Que disait l’étude ? « Le traitement par hydroxychloroquine est significativement associé à une réduction/disparition de la charge virale chez les patients atteints de Covid-19 et son effet est renforcé par l’azithromycine ». Des résultats qui ont rapidement fait le tour du monde, relayés par des personnalités influentes et même des chefs d’État, dont Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil.
L’article a ainsi eu un impact majeur sur la gestion de la pandémie : une promotion massive de l’hydroxychloroquine comme traitement miracle, des pénuries pour les patients souffrant de maladies comme le lupus ou l’arthrite traités en routine par ce médicament et un gaspillage considérable de ressources pour tenter de reproduire ces résultats. L’HCQ est même devenue une sorte de symbole contre l’industrie pharmaceutique au sein de la sphère conspirationniste et antivaccination.
Une revue scientifique remise en question
Pourtant, les biais méthodologiques, relevés dès les premiers jours, sautaient aux yeux pour qui savait lire une publication scientifique. Ils concernaient un échantillon très réduit de seulement 26 patients traités, l’absence de randomisation, c’est-à-dire de répartition aléatoire des patients entre groupe traité et groupe contrôle non traité, un groupe contrôle inadapté, composé de patients d’autres hôpitaux, et des incohérences dans les données rapportées.
« Les patients en mauvais état, transférés en réanimation ou décédés, avaient été exclus de l’analyse, biaisant encore davantage les conclusions. L’étude a également été publiée en un temps record – un jour seulement – par une revue dont l’éditeur était affilié aux auteurs, soulevant des questions sur la rigueur de cette évaluation par les pairs », rappelle le docteur Jérôme Barrière, oncologue médical, membre du Conseil scientifique de la Société française du cancer et très impliqué dans la lutte contre la désinformation médicale.
L’histoire n’est pas terminée. Cette étude est la première d’une longue série publiée par le professeur marseillais et son équipe, avec à chaque fois toujours plus de patients traités. La dernière, portant sur plus de 30 000 patients, a été rétractée en 2023 et attaquée en justice par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Écarté de la direction de son IHU en septembre 2022, mis à la retraite, banni de la communauté scientifique, suspendu par l’Ordre des médecins il y a quelques mois, Didier Raoult devra dans les mois et années à venir affronter plusieurs procédures judiciaires pour ses essais jugés illégaux. Comme on dit à Marseille, à trop faire le cacou…
Lire l’article complet sur : www.lepoint.fr
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