Sur le sujet de l’intelligence artificielle, alors que beaucoup d’experts essaient de désenfumer le débat, vous agitez les peurs et véhiculez l’idée d’un grand remplacement. Tout en entretenant une ambiguïté : quand on vous voit aux côtés de Jean-Gabriel Ganascia, expert en intelligence artificielle, on aurait presque l’impression que vous êtes alignés…
On me fait tenir un discours à la Musk, comme si je prétendais que les IA fortes [l’IA forte permettrait de reproduire un esprit sur une machine tandis que la faible permet de simuler des facultés cognitives : la reconnaissance de la parole, la compréhension du langage naturel, ou la conduite automobile, ndlr] arrivaient demain matin. Or j’y crois beaucoup moins que d’autres : j’établis dans mon livre 15 scénarios, et il n’y a qu’un scénario avec une IA forte. C’est mon intuition, mais je ne connais pas plus la vérité que vous. J’imagine un « zoo des intelligences » avec des IA semi-fortes et sans conscience artificielle mais faisant beaucoup de choses, avec des synergies complexes selon les types d’intelligence artificielle… Je ne crois pas aux IA fortes avant 2050. Après 2050 je suis pas capable de juger…
Toutes vos prédictions se fondent quand même sur l’idée d’une IA capable de nous remplacer sur les tâches les plus qualifiées…
Mais il n’y a pas besoin de conscience artificielle pour ça. Opérer un malade et conduire une voiture, c’est exactement la même chose, en termes de niveau d’IA. Il n’y a pas besoin d’IA forte pour remplacer le chirurgien. Ca fait plusieurs années que je le dis, on va révolutionner le marché du travail, la société et la civilisation, même si les IA n’ont pas de conscience artificielle. Même si on n’arrivait pas à dépasser le deep learning et à avoir des IA transversales, je pense qu’on aura quand même cette révolution sociale.
« Les déprimés, les vieux, les vieux schnocks, les gens sous Prozac disent “c’est terrible, on va tous mourir, on va être dévorés, etc”… »
Dans son livre Le Mythe de la Singularité, Jean-Gabriel Ganascia parle d’un « goût de la catastrophe » de la part des voix les plus alarmistes. Qu’en dites-vous ? Puisque vous faites partie de ceux qui prophétisent des cataclysmes…
J’ai toujours dit que sur un tel sujet, on ne peut pas s’empêcher de projeter notre propre structure psychanalytique. Les mégalomanes vont vers la Singularité, l’immortalité, disent qu’on va conquérir le cosmos, puis empêcher la mort du cosmos. Les déprimés, les vieux, les vieux schnocks, les gens sous Prozac disent “c’est terrible, on va tous mourir, on va être dévorés, etc”… Effectivement, on projette nos angoisses de castration et nos angoisses mégalomaniaques sur le sujet. C’est pour ça que je fais peu de pronostics, je fais plutôt des scénarios. Parce que je sais que j’ai des angoisses de castration, spontanément j’ai des scénarios, j’ai des angoisses de type hollywoodienne contre lesquelles je n’ai cessé de résister, et en même temps j’ai une structure mégalomaniaque, et donc la Singularité, les exponentielles, malgré leur naïveté, m’attirent intellectuellement, et me plaisent. Mais je sais bien qu’on est dans le brouillard numérique.
Mais beaucoup de gens vous écoutent, dans ce débat dont pas grand monde ne maîtrise la matière première. Et vous faites des prophéties…
Mais je ne cesse de dire que je ne sais pas ! Et en réalité si tu n’es pas du tout anxiogène, personne ne bosse le sujet. C’est bien le problème. L’absence de réaction de l’Europe, de notre système éducatif, a conduit où on est : un début d’apartheid intellectuel, les GAFA, les BATX qui prennent le pouvoir. Et il y a juste des petits journaux avec des escaliers pas repeints depuis 1912 qui en parlent en faisant des tribunaux… pour les générations futures. La seule chose qu’on est capable de faire, c’est non pas couper et castrer les GAFA, c’est de faire des faux procès… C’est la théâtralisation dans l’impuissance, publique et privée. Alors il faut qu’on se mette à travailler. Je suis le premier à dire que l’IA n’est pas un problème technologique, c’est un problème politique. Par rapport à l’école, parce que je suis affolé de ce qu’on est en train de faire. Je radote, mais c’est ma thèse. Mon slogan : « il faut mettre des Montessori à la place des REP » [Réseaux d’éducation prioritaire, ndlr], j’y crois profondément, sinon je pense qu’on va avoir une situation révolutionnaire.
Sourced through Scoop.it from: usbeketrica.com
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