Dans ce cas précis, Facebook a prétexté un engagement humanitaire pour développer son emprise sur un juteux marché : Free Basics promettait peut-être de connecter l’Inde à Internet, mais en réalité Facebook était le seul service proposé gratuitement. Au passage, l’offre contrevenait au principe de neutralité du Net, qui garantit l’égalité de traitement de tous les contenus sur Internet. Toute cette affaire n’est pas sans rappeler ce que le penseur Evgeny Morozov appelait, dans son livre Pour tout résoudre cliquez ici (FYP éditions, 2014), le « solutionnisme technologique ». Il y dénonce les illusions dont se berce la Silicon Valley, qui pense pouvoir résoudre des problèmes complexes à coups d’applications. Or, s’adapter au contexte local exige de bien le connaître, ce qui signifie aussi impliquer des ingénieurs qui en sont issus dans la conception des solutions proposées.
« iEsclavage »
Car les entreprises de la Silicon Valley entretiennent également dans leur manière même de travailler une asymétrie qui confine à la domination. Elles s’appuient sur une division internationale du travail qu’elles n’ont certes pas inventée, mais sur laquelle elles s’enrichissent grassement. Aux ingénieurs (mâles, blancs, américains) des pays du Nord la conception des nouveaux produits ; aux travailleurs pauvres des pays du Sud les tâches industrielles (assemblage de smartphones, recyclage des appareils, etc.) ou dématérialisées (plateformes de micro-travail). Toute cette masse d’emplois précaires assumés par des travailleurs du Sud pour asseoir la prospérité des géants du Nord peut être regroupée sous le terme digital labor, ou « travail numérique ».
Pour le chercheur Christian Fuchs, ce phénomène n’est ni plus ni moins que le prolongement de l’exploitation de l’ère industrielle, car il « englobe tous les modes de production numérique ; un réseau agricole, industriel et informationnel de travail qui permet l’existence et l’utilisation des médias numériques. Aujourd’hui, la plupart de ces relations de production numérique sont façonnées par le travail salarié, le travail esclavagisé, le travail précaire et le travail freelance, faisant de la division internationale du travail un réseau interconnecté et complexe de processus d’exploitation ».
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