Lancements ratés, plongeon boursier : la série noire d’Ubisoft
Le rendez-vous était important, pour les « gamers » comme pour les investisseurs : en cette rentrée, Ubisoft a lancé deux jeux vidéo à gros budgets, avec des enjeux lourds, pour ses finances comme pour sa réputation, écornée par plusieurs ratés. Las ! Le champion français de l'industrie s'est pris les pieds dans le tapis avec le premier d'entre eux, « Star Wars Outlaws ». Lancé fin août, le titre s'était pourtant vu décerner une note honorable (76/100) par la critique sur le site de référence « Metacritic ». Mais de nombreux joueurs ont rapidement, et publiquement, fait part de leur déception concernant ce tout premier jeu Star Wars en monde ouvert. Ce qui a amené plusieurs analystes à revoir à la baisse leurs prévisions de ventes tout en abaissant leur objectif de cours. Conséquence : l'action a dévissé de 34 % depuis la sortie du blockbuster, faisant plonger la capitalisation boursière de l'entreprise à moins de 1,5 milliard d'euros, son plus bas historique en dix ans. La semaine prochaine, Ubisoft cédera sa place au sein de l'indice paneuropéen Stoxx 600. Tout un symbole. Changement de catégorie « C'est une rentrée chaotique pour Ubisoft. La sortie de 'Star Wars Outlaw' est clairement poussive et son jeu de tir à la première personne 'Xdefiant' est en train d'agoniser, après un bon démarrage, expose Charles Louis Planade, analyste financier jeu vidéo chez TP ICAP. Les déceptions sur les gros jeux se sont multipliées ces derniers mois, et la Bourse a fini par sanctionner Ubisoft. C'est une forme de capitulation du marché à l'égard du titre : le groupe n'est plus perçu comme jouant dans la même catégorie qu'Activision ou Electronic Arts », prévient l'expert. LIRE AUSSI : DECRYPTAGE - Croissance, licenciements : pourquoi l'hiver du jeu vidéo perdure Jeux vidéo : la rentrée contrastée des éditeurs français La récente charge du fonds AJ Investment vient alimenter la défiance à l'égard de l'éditeur tricolore. Ce hedge fund d'origine slovaque, actionnaire très minoritaire (avec moins de 1 % du capital) a publié, la semaine passée, une lettre ouverte courroucée appelant à des changements radicaux : le retrait de la cote, une revente à un fonds et un remplacement du management, incarné par la famille fondatrice Guillemot. Les doutes des analystes Celle-ci en a vu bien d'autres depuis la création du groupe il y a presque quarante ans, de l'arrivée impromptue d'Electronics Arts au capital en 2004 au bras de fer avec Bolloré au mitan des années 2010. Mais la critique de cet actionnaire activiste tombe au pire moment. Car les bonnes nouvelles se font rares. Cet été, le groupe a annoncé que ses jeux « Rainbow Six Mobile » et « The Division Resurgence » ne sortirait finalement pas lors de son exercice fiscal 2024-2025 actuel (Ubisoft clôt ses comptes à fin mars). De quoi faire douter les analystes de Morgan Stanley sur la capacité d'Ubisoft à améliorer ses résultats, sans lancement réussi de nouveaux jeux. De son côté, Exane BNP Paribas fait valoir que la firme tricolore devra refinancer 1,3 milliard d'euros de dette d'ici à 2027, à des conditions qui pourraient s'avérer moins favorables. Sur ses lancements de jeux comme sur les critiques des investisseurs, l'éditeur n'a pas réagi publiquement à ce jour. L'énorme enjeu d'« Assassin's Creed Shadows » « Ubisoft, c'est une très grosse machine, avec près de 20.000 salariés. Mais son problème majeur, c'est qu'elle ne dispose pas dans son catalogue de jeux d'une machine à cash du niveau de GTA, Call of Duty ou EA Sports FC [ ex-Fifa ] », relève un observateur de l'industrie. LIRE AUSSI : Ubisoft, l'odyssée d'un géant français du jeu vidéo ANALYSE - Jeux vidéo : une industrie en plein big bang « Cela fait maintenant plusieurs années que le plus gros jeu d'Ubisoft en matière de revenus, c'est le 'back catalogue', ces jeux de plus d'un an qui permettent de financer ceux qui ne fonctionnent pas. Ce foyer de revenus est constitué pour l'essentiel par Rainbow Six Siege dont les signaux demeurent positifs », explique Charles-Louis Planade, qui voit des motifs d'espoir pour le groupe avec la sortie, le 15 novembre, d'un nouveau volet d'Assassin's Creed, la licence phare du groupe. « C'est une industrie où vous pouvez vite passer de tout à rien et inversement. Plusieurs fois déjà dans l'histoire d'Ubisoft, un jeu Assassin's Creed a tiré le groupe d'un mauvais pas. Même le dernier d'ampleur en date, 'Valhalla', avait eu un accueil réservé de la critique, mais a largement franchi le milliard d'euros de revenus », rappelle l'analyste financier. Prévu pour le 15 novembre, « Assassin's Creed Shadows » sera le jeu le plus ambitieux de l'histoire du groupe en matière de budget de développement. Ubisoft ne peut plus se permettre de décevoir, sous peine d'accélérer encore son déclassement.