Éthiopie : l’« abiymania » ne fait plus rêver Paris
La tension était palpable, le 29 novembre, au siège de l'Union africaine (UA). Devant la presse, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, s'est contenté de se féliciter, aux côtés du président de la Commission de l'UA Moussa Faki, de la reprise du dialogue stratégique avec l'instance panafricaine. La dernière session datait de 2019. LA NEWSLETTER AFRIQUE Tous les mardis à 16h45 Recevez le meilleur de l’actualité africaine. En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité. La veille au soir, un communiqué du ministère des Affaires étrangères tchadien a pris le ministre par surprise, quelques heures après son départ de N'Djamena. Le Tchad met un terme à sa coopération militaire avec la France. Les quelque 300 militaires tricolores présents sur son sol sont donc priés de quitter le territoire. Il a fallu près de 24 heures au Quai d'Orsay pour publier une déclaration de réaction par laquelle il « prend acte et entend poursuivre le dialogue pour la mise en œuvre de ces orientations ». À lire aussi Au Tchad comme au Sénégal, l'armée française n'est plus la bienvenue Sept millions d'euros supplémentaires pour le Soudan À la une des médias, ce retournement de situation, dans le dernier pays sahélien à abriter des forces françaises, a éclipsé le motif principal de la visite de Jean-Noël Barrot au Tchad. Il s'est rendu à Adré, dans un des plus vastes camps d'accueil des quelque 3 millions de Soudanais réfugiés à l'étranger pour fuir la guerre amorcée le 15 avril 2023. « C'est au Soudan qu'a lieu la crise humanitaire la plus grave de notre époque », insiste le ministre sur son compte X. À la frontière soudanaise, il a annoncé 7 millions d'euros supplémentaires « pour soutenir l'action des organisations onusiennes et non gouvernementales dans la lutte contre le choléra et dans l'accompagnement des femmes et enfants en bas âge ». Le chef de la diplomatie française a en outre exhorté les puissances étrangères impliquées dans le conflit opposant les Forces armées soudanaises aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) à « cesser de jeter de l'huile sur le feu ». Il s'est en revanche bien gardé de nommer les Émirats arabes unis, qui livrent, avec le consentement du gouvernement tchadien, des armes aux FSR via l'aéroport international du maréchal Idriss Déby à Amdjaras, à 300 km au nord d'Adré. Ce soutien est bien connu de la communauté diplomatique et a récemment été documenté par le Sudan Observatory Conflict. Mais Jean-Noël Barrot s'est contenté de dénoncer le veto imposé le 18 novembre par la Russie concernant une résolution de l'ONU appelant à un cessez-le-feu et à la protection des civils au pays des deux Nils. À lire aussi L'Égypte et le Soudan s'opposent à un nouvel accord sur le Nil Une quête « légitime » d'accès à la mer À Addis-Abeba, Jean-Noël Barrot a rencontré son homologue, Gedion Timotheos, ainsi que le Premier ministre Abiy Ahmed. Ce dernier a obtenu le prix Nobel de la paix en 2019 pour ses efforts de réconciliation avec l'Érythrée, avant de plonger sa nation dans une guerre civile dans la région septentrionale du Tigré qui a tué au moins 500 000 militaires et 360 000 civils. Malgré la fin de ce conflit en novembre 2022, le pays reste ravagé par les combats dans la région voisine de l'Amhara et dans plusieurs zones de la vaste Oromia. À lire aussi Éthiopie : l'abiymania ne fait plus rêver Une source diplomatique affirme que la question des violations des droits de l'homme a été abordée et que le ministre a « encouragé les autorités [éthiopiennes] à faire des progrès sur ce dossier ». Après les nombreuses exactions perpétrées au Tigré qui restent à ce jour impunies, l'armée fédérale utilise en effet des drones pour tenter de contrer les rebelles Fano en Amhara, sans épargner les civils. Dans le même temps, la liberté d'expression frôle le néant comme le démontrent l'assassinat de l'opposant oromo Bate Urgessa en avril, la détention d'au moins quatre journalistes d'après Reporters sans frontières ou encore la suspension, entre le 14 et le 21 novembre, de trois organisations défendant les droits humains. Abiy Ahmed entretient par ailleurs des relations exécrables avec ses voisins régionaux, à commencer par la Somalie depuis la signature, le 1er janvier, d'un accord de principe avec la république autoproclamée du Somaliland qui fournirait à Addis-Abeba un port commercial et une base militaire sur la mer Rouge. « Il est légitime que l'Éthiopie, le pays enclavé le plus peuplé, recherche un accès à la mer », a déclaré une source diplomatique française en marge de la visite du ministre. Avant de préciser que « ces discussions ne doivent pas engendrer des tensions dans la Corne, au moment où les pays de la Corne de l'Afrique sont confrontés à des défis importants » incluant le terrorisme. À lire aussi France-Éthiopie : ce que contient l'accord de défense signé par Macron et Ahmed Nouveau projet patrimonial et remise de 3 500 artefacts À découvrir Le Kangourou du jour Répondre Ce traité suscite pourtant l'inquiétude de la communauté internationale tandis que la Somalie dénonce une violation de sa souveraineté nationale. C'est cependant la collaboration scientifique, culturelle et éducative qui était au centre du déplacement du chef de la diplomatie française – outre la session de vendredi consacrée au dialogue stratégique avec l'UA. Samedi 30 novembre, dans l'enceinte du musée national d'Éthiopie, le fossile de Lucy, qui a été découvert il y a 50 ans, a été exceptionnellement présenté au ministre, alors que les visiteurs doivent habituellement se contenter d'une réplique. Jean-Noël Barrot a annoncé le lancement du projet « Patrimoine durable en Éthiopie » dans la continuité de la participation de la France à la restauration des églises monolithiques de Lalibela et du musée du Palais national. Et ce, afin de « continuer à mobiliser des méthodes qui placent les communautés locales, les autorités politiques et religieuses et les recherches scientifiques au cœur de l'action en faveur du patrimoine », a expliqué le ministre. Cette visite a également été l'occasion de remettre 3 500 objets archéologiques éthiopiens qui étaient étudiés en France depuis les années 1980. À lire aussi En Afrique de l'Est, Emmanuel Macron veut poser les jalons d'une nouvelle coopération Avant de s'envoler vers Dakar, Jean-Noël Barrot s'est rendu au lycée franco-éthiopien Guébré-Mariam pour signer un accord intergouvernemental avec le ministre de l'Éducation éthiopien, Birhanu Nega, prévoyant notamment le financement de la scolarité de 10 % d'élèves issus de milieux modestes. Au Sénégal, le ministre a assisté aux célébrations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, qui vient d'être reconnu comme tel par le président Emmanuel Macron. Jeudi 28 novembre, peu avant l'annonce surprise du Tchad, le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a exprimé, lui aussi, son souhait de tourner la page de la coopération militaire avec l'Hexagone.