CO2 : Paris engage le bras de fer avec Bruxelles contre les sanctions des constructeurs automobiles
La filière automobile a réussi à convaincre le gouvernement. Deux semaines après le Mondial de l'auto, porte de Versailles à Paris, l'exécutif a décidé de demander à la Commission européenne de ne pas appliquer les sanctions à l'encontre des constructeurs qui n'arriveraient pas à atteindre leurs objectifs de réduction d'émissions de CO2 en 2025. « Je considère que les constructeurs fermement engagés dans l'électrification des véhicules ne devraient pas avoir à payer d'amendes, a déclaré dimanche le ministre de l'Economie Antoine Armand dans une interview aux « Echos ». Je défendrai cette position avec le ministre délégué à l'Industrie Marc Ferracci auprès de la Commission et de nos homologues. » Une trop grande marche Le règlement européen dit « CAFE » prévoit depuis 2019 une trajectoire de baisse des émissions de CO2 des voitures neuves, qui débouche en 2035 sur l'interdiction des ventes de modèles à essence. En 2025, la marche à descendre est de -15 % par rapport au précédent palier de 2020. Cela suppose de vendre une voiture électrique pour pouvoir vendre quatre voitures thermiques, résument les représentants de la filière. LIRE AUSSI : DECRYPTAGE - Les règles CO2, cette nouvelle fracture entre Renault et Stellantis Emissions de CO2, sécurité… Comment l'Europe influe déjà sur nos voitures Cette marche est trop grande, martèle depuis le milieu de l'été le patron de Renault Luca de Meo, à l'unisson des constructeurs allemands . Or, des pénalités s'élevant à 95 euros par gramme de CO2 excédentaire, multiplié par le nombre de voitures vendues dans l'année, sont prévues pour les mauvais élèves. Les projections varient quant au montant des pénalités qu'auraient à verser les acteurs du secteur qui ne parviendraient pas à remplir leurs quotas. La filière parle de 10 à 16 milliards de pénalités . Les analystes d'HSBC tablent plutôt, dans leur scénario central, sur un montant potentiel de 5,1 milliards. Renault serait exposé, estime-t-on au sein de l'exécutif, à hauteur de quelques centaines de millions d'euros. « Politiquement, on ne peut pas assumer que Renault soit plombé par des amendes, ou doive acheter des quotas de CO2 à des concurrents chinois », glisse-t-on au sein de l'exécutif. Côté français, seul Stellantis veut conserver les règles. Une solution ciblée « La France souhaite désormais que la Commission européenne propose une solution ciblée afin que les acteurs vraiment engagés dans cette transition n'aient pas à payer d'amende au titre de 2025, sans remettre en cause notre trajectoire de décarbonation des mobilités », détaille Marc Ferracci aux « Echos ». En clair, pas question de remettre en cause l'interdiction de fin de vente de voitures thermiques en 2035. LIRE AUSSI : EXCLUSIF - Batteries : le pari à 3 milliards d'euros de la France DECRYPTAGE - Voiture électrique : le grand doute de l'automobile allemande Marché automobile déprimé, baisse voire disparition des subventions publiques à l'achat de voitures électriques notamment en Allemagne… « Les constructeurs commencent à anticiper des baisses de volumes supplémentaires sur les modèles thermiques pour tenir les objectifs de CO2, s'alarme-t-on dans l'entourage de Marc Ferracci. Cela entraînerait très directement des baisses d'activité, avec de lourdes conséquences sur l'emploi chez les sous-traitants. » Rallier une coalition L'exécutif se montre flou sur les voies possibles pour faire sauter les pénalités. Il fait valoir qu'il veut simplement convaincre la Commission européenne qu'il y a un problème à régler, sans empiéter sur les compétences de cette dernière en lui suggérant comment faire. Du côté de Bercy, on espère seulement, à ce stade, que la Commission européenne prenne une décision ciblée sur les seules pénalités, sans rouvrir le règlement, ce qui reviendrait à rouvrir une boîte de Pandore . Les pénalités, explique-t-on au ministère de la Transition écologique, sont exigibles jusqu'à la fin 2026, ce qui laisse le temps à Bruxelles de plancher sur le sujet. Le paiement des amendes pourrait par exemple être étalé, ou la Commission pourrait tout simplement ne pas les réclamer. Pour y parvenir, Paris compte rallier une coalition de capitales à sa cause. Dès ce lundi. Antoine Armand se rendra lundi et mardi à Bruxelles pour les réunions de l'Eurogroup et de l'Ecofin. En visite à Berlin en début de semaine, Marc Ferracci devrait chercher à convaincre ses interlocuteurs allemands. Le premier constructeur menacé par des pénalités n'est autre que le géant Volkswagen.
Zéro artificialisation nette : comment l’agence de développement d’Alsace sensibilise les entreprises
Anticiper l'impact du zéro artificialisation nette , le ZAN, sur le foncier des entreprises. C'est l'objectif des cinq réunions qui ont été organisées entre avril et octobre par l'agence de développement d'Alsace (Adira), du nord au sud du territoire. Une centaine de représentants d'industries et de PME y ont assisté. « La plupart des entreprises n'ont pas conscience que leur foncier privé est concerné. Or les futurs projets d'extension impacteront directement l'enveloppe foncière des collectivités, qui devront faire des arbitrages », pointe Sébastien Leduc, directeur du pôle développement des territoires à l'Adira. L'agence prône une communication renforcée entre les collectivités et les entreprises et la mise en place pour ces dernières d'une véritable stratégie foncière. Elargir le périmètre concerné Ce qui implique, selon l'Adira, une nouvelle manière de penser le développement des entreprises. « Il ne s'agit plus seulement de mettre en avant l'intérêt économique d'un projet d'extension ou d'implantation, mais aussi ce qu'il peut apporter à la stratégie du territoire », reprend Sébastien Leduc. D'autant que les collectivités alsaciennes, comme l'Eurométropole de Strasbourg (Bas-Rhin) ou Mulhouse Alsace agglomération (Haut-Rhin) souhaitent attirer de plus en plus d'entreprises qui se soucient de leur impact social et environnemental. L'Adira poursuit avec les entreprises qu'elle accompagne un travail d'analyse du foncier. Et souhaite travailler avec les industriels et les élus au niveau des territoires d'industrie alsaciens, pour réfléchir au ZAN sur un périmètre élargi.
Des chercheurs d’HEC ont découvert le meilleur moyen de décarboner les cantines
Près de 38 %. C'est la part de la viande rouge dans l'empreinte carbone d'un Français, selon le Haut Conseil pour le climat. Si la France veut atteindre la neutralité carbone en 2050, impossible de faire l'impasse sur cet aliment si savoureux. Mais dans un pays où la vache est sacrée (ou plutôt sa consommation), quels leviers utiliser pour inciter à moins en manger ? HEC a mené une étude sur sa propre cantine, à laquelle « Les Echos » ont eu accès en exclusivité. Deux chercheurs en finance, Stefano Lovo et Yurii Handziuk, ont observé pendant près de deux ans les 140.000 plateaux passés par le réfectoire de l'école de commerce. Objectif : comprendre comment les choix variaient en fonction des méthodes mises en place pour inciter les utilisateurs à choisir le plat vegan (à faible intensité carbone) plutôt que le steak haché. Les chercheurs ont d'abord affiché l'empreinte carbone de chaque plat. Résultat : nul, ou presque. Etudiants, professeurs et personnels d'HEC continuaient, dans la même proportion qu'auparavant, à choisir le plat carné. Stefano Lovo et Yurii Handziu ont aussi tenté d'interdire la viande le jeudi. L'empreinte carbone moyenne a baissé (-12 %) tout comme la fréquentation de la cantine ce jour-là ! Ils en ont déduit un déplacement de la consommation de plats carbonés en dehors de la cantine. Levier peu concluant… Les deux hommes ont alors essayé de faire varier les prix. Un système de bonus-malus a été mis en place en fonction des émissions de CO2 de chaque plat. Bingo. Rien qu'une légère baisse du prix du plat vegan et une augmentation, tout aussi contenue, de celui du steak réduit d'un quart l'empreinte carbone moyenne des plateaux. Diviser par deux le prix des plats vegan Stefano Lovo et Yurii Handziu ont ensuite accru les variations, en divisant par deux le prix du plat vegan et en multipliant par deux celui du steak. Là, l'empreinte carbone a chuté de 42 %. L'action sur le prix est alors jugée la seule méthode efficace pour modifier les habitudes. Oui, mais à une condition : « Pour obtenir un réel changement de comportement, il faut rendre systématiquement le prix du plat bas carbone inférieur à celui du plat à haute intensité carbone. Si on baisse le premier mais qu'il reste au-dessus du second, il n'y a pas d'effet », explique Stefano Lovo. Autrement dit, et en appliquant ces résultats à un autre domaine, pour inciter les citoyens à prendre le train, il ne suffirait pas d'en baisser le prix, il faudrait le rendre inférieur à celui de l'avion. Au sortir de l'étude terrain, les chercheurs ont réalisé un sondage auprès de la population HEC, en partageant les résultats obtenus, pour savoir si elle était prête au déploiement de cette politique du bonus-malus. Sous réserve qu'elle soit raisonnée, une majorité des répondants l'a validée. LIRE AUSSI : Taxe sur les billets d'avion : le gouvernement veut prélever un milliard d'euros Le réchauffement climatique causé par l'homme atteint un « rythme sans précédent » Conclusion : faut-il déployer à tout-va des politiques basées sur l'effet prix ? On ne saurait être trop prudent car l'échantillon d'HEC n'est pas représentatif de la population française. Les Français sont-ils prêts à voir doubler le prix de la viande ? Pas un politique n'a oublié que la taxe carbone avait déclenché le mouvement des gilets jaunes… Les leçons à tirer de cette expérience Sur le sujet de l'acceptabilité face aux taxes, une étude sur la fiscalité environnementale - publiée en septembre par le Crédoc pour l'Ademe - pourrait éclairer la lanterne de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher. On y apprend que 18 % des Français sont prêts à payer plus de taxes sur les carburants, le gaz naturel et le fioul domestique pour lutter contre le réchauffement climatique. Avec un tel niveau d'acceptabilité, bon courage pour surtaxer les produits polluants ! Sauf qu'à y regarder de plus près, les chiffres sont plus encourageants que cela. En effet, selon l'étude, parmi les 82 % de Français réfractaires, la moitié peut changer d'avis si on lui explique ce qui est fait de l'argent du malus écologique (pour la transition énergétique, la redistribution sociale, une compensation fiscale ou encore la réduction du déficit public). Alors ce ne sont plus 18 % mais 57 % qui sont prêts à payer davantage. Ça progresse. Augmenter le soutien aux politiques climatiques Peut-on faire encore grimper ce chiffre ? « Oui », répondent trois doctorants du Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, qui se sont penchés sur les politiques écologiques. En ciblant le comportement à fort impact carbone des groupes sociaux privilégiés, un gouvernement augmente le soutien aux politiques climatiques coûteuses. Selon leur recherche publiée en septembre 2024, le ressort est simple : faire appel aux sentiments d'injustice et de ressentiment envers ces groupes. Ils se sont, par exemple, demandé comment faire accepter une baisse de la vitesse sur les routes, sujet ô combien inflammable, que ce soit sur les départementales ou le périphérique parisien. Eh bien le niveau d'acceptabilité d'une telle mesure augmente significativement si, dans le même temps, les pouvoirs publics régulent le transport aérien pour les catégories favorisées. « Ce niveau est fort si on cible, par exemple, les transports en jets privés des ultrariches. Il l'est encore davantage si on cible celui des ministres », explique Théodore Tallent, premier auteur de l'étude. Autrement dit, associer un symbole à un coût - financier ou comportemental - permet de faire passer la pilule. Et ce, même si la mesure symbolique est rigoureusement inefficace. Contraindre les ministres à moins utiliser l'avion aura une influence très limitée sur la trajectoire bas carbone de la France mais incarnera un modèle. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les ministres, désormais vous savez que la planète pourra vous remercier de vous être montrés exemplaires…
CAC 40 : Quelles sont les entreprises les plus engagées pour le climat ?
Qui, parmi les grands groupes du CAC40, peut prétendre au titre de champion du climat ? Comme chaque année depuis maintenant 3 ans, l'association Les Ateliers du Futur, qui regroupe des dirigeants engagés dans la réduction [...]
Adaptation au changement climatique : les décisions difficiles restent devant nous
Les inondations dans le Var qui ont nécessité l'intervention de l'armée. Les inondations meurtrières en Espagne . Ces événements tragiques, et leur coût humain et économique, nous rappellent que nous ne sommes pas prêts à faire face au climat qui change. Nos territoires, nos infrastructures, nos bâtiments ne sont pas prêts. Pas plus en France qu'en Espagne, ou ailleurs en Europe. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre est plus que jamais essentiel. Adapter nos territoires au climat qui change l'est désormais tout autant. Hasard du calendrier, le Premier ministre entend présenter dans quelques semaines un plan de réformes à cinq ans, dans la continuité de sa déclaration de politique générale, où il pointait : « Nous pouvons et devons faire plus pour lutter contre le changement climatique et prévenir tous les risques de plus en plus nombreux et violents qu'il porte en lui. » LIRE AUSSI : INTERVIEW - Valérie Masson-Delmotte, climatologue : « On pourra avoir à Paris des températures de plus de 50 degrés en 2050 » EN CHIFFRES - Adaptation au réchauffement, les premières estimations des milliards nécessaires Hasard du calendrier toujours, après deux ans de travaux, le gouvernement a mis en consultation le 25 octobre le nouveau plan national d'adaptation au changement climatique, troisième du nom (PNACC). Enfin. Cette mise en consultation devrait permettre à la bonne dynamique enclenchée par de très nombreux acteurs depuis deux ans de se poursuivre et de sortir de son cercle d'initiés. Electrochoc On peut évidemment regretter que le plan mis en consultation soit plus incitatif que prescriptif pour les acteurs publics et privés. Le PNACC marque néanmoins un tournant dans notre approche de l'adaptation. Il consacre l'idée qu'on ne peut plus concevoir une infrastructure, urbaniser un territoire ou choisir d'implanter une usine en continuant de faire comme si le risque climatique de demain allait rester le même que celui des cinquante ou même des vingt dernières années. Il met sur la table une trajectoire de réchauffement de référence. Cette trajectoire devrait constituer pour tous les secteurs un électrochoc. Et déclencher un « réflexe adaptation » pour préparer une France à + 4° C. Il est désormais essentiel que les opérateurs stratégiques, comme SNCF Réseau ou les gestionnaires de route par exemple, mais aussi les élus locaux, s'en saisissent pour que tous les futurs investissements structurants puissent contribuer à l'adaptation de nos territoires au climat qui change et va continuer à le faire. LIRE AUSSI : EXCLUSIF - Catastrophes naturelles : bras de fer autour de l'extension du fonds Barnier DECRYPTAGE - Climat : bientôt une carte de France des régions difficilement assurables Le PNACC n'est pas précis sur la manière dont cela va se décliner en pratique. Sur quelques objets stratégiques, il va à l'évidence falloir obliger les acteurs publics et privés à intégrer l'adaptation au changement climatique, en inscrivant la trajectoire de référence dans la loi. Par exemple, le bâtiment avec une meilleure prise en compte du climat futur, nécessaire à la fois dans la réglementation thermique pour les constructions nouvelles et dans les aides à la rénovation ; le futur de la politique de la ville ; ou encore les stratégies de financement des infrastructures. L'opérationnalisation du PNACC et du « réflexe adaptation » ne sera possible qu'en étant accompagnée. Le faible niveau de moyens associés au PNACC dans le projet de loi de finances est de ce fait inquiétant. La mission « adaptation » qui doit accompagner les collectivités dans cet exercice nouveau et difficile devrait ainsi composer au mieux à moyens constants des opérateurs de l'Etat qui la constituent. La bonne nouvelle pour le gouvernement est que, compte tenu d'où l'on part, sur beaucoup de sujets on n'en est pas encore à l'heure des grands arbitrages budgétaires. Malgré le contexte budgétaire tendu, il est donc possible d'avancer sur des études de vulnérabilité des réseaux, des révisions de référentiels, et autres travaux essentiels pour mieux se préparer. Ces travaux nécessitent des moyens d'ingénierie et d'accompagnement relativement modestes, mais qu'il est néanmoins nécessaire de prévoir. Ne serait-il donc pas sage de penser davantage à l'adaptation dans le débat budgétaire, dès cet automne ? Benoît Leguet est le directeur général de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE).
Climat : Thouars, 15.000 habitants, objectif zéro émission
Thouars, 15.000 habitants, son château, son église romane, ses jolies petites rues en pente, pavées et bordées de maisons à colombages. A première vue, rien ne distingue cette petite bourgade tranquille, située dans le nord des Deux-Sèvres. Seules quelques éoliennes visibles dès la sortie du centre-ville, l'obscurité des rues dès la nuit tombée, ou encore les déviations liées aux nombreux travaux de voirie, laissent deviner que la commune - et ses voisines - figure parmi les territoires désignés champions de la transition écologique en France. Le classement établi il y a un peu plus d'un an par l'Ademe (l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) a placé le Thouarsais (26 communes, 35.000 habitants) au 19e rang des 217 collectivités étudiées. Surtout, c'est l'une des rares collectivités rurales à avoir été distinguée. « C'est la première communauté de communes à avoir historiquement obtenu 4 étoiles, dès 2021 », indique Jean-Philippe Estrade, chargé de mission à l'Ademe pour les Deux-Sèvres. « Pour l'instant, les collectivités qui ont obtenu 5 étoiles sont toutes des grandes villes, comme Grenoble ou Bordeaux. » Projet porteur Production d'énergie verte et consommation d'énergie, rénovation thermique des bâtiments, mobilité, gestion de l'eau ou des déchets, tous les grands leviers de la transition écologique ont été passés au crible. Et il faut reconnaître que sur certains critères, le Thouarsais sort effectivement du lot. Ses ordures ménagères ont plongé de 203 à 117 kg par habitant et par an entre 2018 et 2023. Ses émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 19 % entre 2015 et 2021 (les équipes sont en train de calculer son nouveau bilan carbone). La production d'électricité renouvelable locale représente déjà 72 % de sa consommation. Le chemin n'est pas terminé, loin de là. L'expérience de ce petit territoire n'est est pas moins riche d'enseignements. « La clé, c'est de commencer par un projet porteur, qui emporte une large adhésion locale », témoigne Delphine Maisonneuve, directrice des services développement durable et ingénierie financière de la communauté de communes. LIRE AUSSI : Planification écologique : 50 « leviers », dans tous les secteurs Immobilier : le palmarès des villes où cumuler les aides à la rénovation énergétique A Thouars, c'est la fermeture d'un vaste site militaire, où étaient entreposées des munitions, qui a fait office de tremplin. C'était en 2004, il y a tout juste 20 ans. « A l'époque, tout le monde pleurait : le site employait du monde, il faisait partie de l'histoire de la ville. C'est alors que je me suis dit, et si c'était une opportunité ? », raconte Bernard Paineau, le président de la communauté de communes, qui était à l'époque maire de l'une des communes voisines. Les élus locaux imaginent alors de convertir les 12 hectares concernés en un vaste complexe de production d'électricité renouvelable : un méthaniseur, des parcs solaires photovoltaïques, des parcs éoliens, et même une unité de production d'électricité par gazéification - qui sera abandonnée quelques années plus tard. Soit une cinquantaine de millions d'euros d'investissements, à financer par des partenariats publics privés. « L'objectif était de produire l'équivalent de la consommation de 30.000 à 40.000 personnes. Comme nous avions un projet, l'Etat a accepté de débourser les 12 millions d'euros nécessaires à la dépollution du terrain, que nous avons ensuite racheté », explique Bernard Paineau. Vaste plan vélo De cette première initiative naît la dynamique qui fait aujourd'hui la réputation de cette petite communauté de communes. Au départ, il s'agit de développer les énergies renouvelables. Le Thouarsais sera l'un des tout premiers territoires à s'engager en 2014 dans la démarche Tepos (territoire à énergie positive), consistant à produire plus d'énergie qu'il n'en consomme à horizon 2050. Puis il passe aux objectifs climatiques, visant dans un premier temps à diviser ses émissions de gaz à effet de serre par quatre à l'horizon 2050, puis à atteindre la neutralité carbone à cette date. « Et nous sommes sur la bonne trajectoire », affirme Manon Planet-Achat, responsable du service énergie climat à la communauté de communes. Nous avons payé pour apprendre. Rémy Viaud, directeur de la production chez Séolis Il poursuit ensuite par des offensives tous azimuts. Dans les déchets, il équipe les foyers de bacs individuels pucés et met en place une tarification incitative : le poids des déchets à enfouir chute de plus de 40 %. Dans la rénovation thermique des logements, il crée un service de conseil sur les travaux et les subventions possibles, bien avant la création de « Mon accompagnateur Renov' » (le label national, dont il bénéficie aujourd'hui) : les 150 dossiers traités entre 2019 et 2023 ont généré 244.000 euros de subventions et 5 millions d'euros de travaux. Dans la mobilité, il lance un vaste plan vélo à 4,8 millions d'euros, « le plus gros investissement de la 'com-com' », selon Pierre-Emmanuel Dessèvres, vice-président en charge de l'économie. Autre exemple parmi d'autres, il soutient Recto-Verso, une association d'accompagnement des entreprises dans leur transition écologique. « Nos adhérents ont par exemple évité 8.230 tonnes équivalent CO2 depuis janvier 2023 », indique William Fosset, l'un de ses dirigeants. Odeurs nauséabondes Les élus locaux le reconnaissent aujourd'hui, la transition n'a pas été un long fleuve tranquille. « Il a fallu une certaine persévérance… », sourit Bernard Paineau. Et pas seulement à cause des odeurs nauséabondes dégagées à ses débuts par le premier méthaniseur, inauguré en 2013. « A l'époque, ce projet de méthanisation, alimenté par les lisiers et fumiers locaux, était extrêmement innovant… et la technologie pas encore très au point », raconte Rémy Viaud, directeur de la production chez Séolis, filiale du syndicat d'énergie des Deux-Sèvres (lui-même détenu par les collectivités locales). Les pannes à répétition contraindront les actionnaires à réinvestir à plusieurs reprises. « Nous avons payé pour apprendre ! Mais aujourd'hui, la rentabilité est conforme au business plan », affirme le dirigeant. Le Thouarsais porte même un deuxième projet de méthanisation qui regroupe une trentaine d'agriculteurs, afin de produire du biogaz injecté dans le réseau. LIRE AUSSI : Elisabeth Borne détaille les milliards de la planification écologique Les transports publics cherchent des leviers pour décrocher les Français de leur voiture Il a aussi fallu vaincre les résistances des riverains, en particulier pour les convaincre d'accepter les 29 mats d'éoliennes emblématiques du paysage local. « Nous avons dû faire preuve d'une grande pédagogie », reconnaît Bernard Paineau, évoquant des réunions cocasses, avec des habitants craignant que les éoliennes tarissent le lait des vaches, par exemple. « Pour avancer, nous nous sommes fixés pour règle de toujours respecter l'avis des conseils municipaux », dit-il. « Mais nous avons sans doute désormais atteint la saturation… », reconnaît-il. Autre facteur de succès : une vision déployée dans la durée. « La discontinuité politique n'a pas été un frein ici », affirme Pierre-Emmanuel Dessèvres. Question d'alchimies personnelles, sans doute, mais aussi parce que dès l'origine le territoire s'est doté d'équipes dédiées. Titulaire d'une maîtrise dans les énergies renouvelables, la directrice du développement durable Delphine Maisonneuve a été recrutée dès 2007. Une dizaine de personnes (hors déchets et assainissement) travaillent aujourd'hui sur la transition écologique. « Cette ingénierie précieuse permet de ne pas repartir de zéro lors des alternances », poursuit Pierre-Emmanuel Dessèvres. Passoires thermiques D'autant que l'équipe a développé un réel savoir-faire sur la recherche de financements. « Ils n'ont pas moins de déchets ou plus de vent que d'autres territoires, mais ils savent mobiliser les budgets », relève Jean-Philippe Estrade, de l'Ademe. Les subventions apportées par le Département, la Région, ou l'Etat (via l'Ademe) ont par exemple représenté 1,5 million d'euros pour le plan vélo (sur 4,5 millions) ou 1,3 million pour le deuxième méthaniseur (sur 9 millions). Certains chantiers avancent plus vite que d'autres. Comme dans toutes les zones rurales, les deux secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (hors énergie) - les logements et la voiture individuelle - restent ici bien difficiles à décarboner. Ainsi, 41 % de la consommation énergétique du territoire est encore constituée de produits pétroliers, brûlés dans les chaudières à fioul ou les carburants. LIRE AUSSI : Sensible aux enjeux climatiques, Michel Barnier est attendu au tournant sur la transition écologique Eolien, solaire, réseaux de chaleur : la filière renouvelable craint le coup de rabot budgétaire Malgré les aides financières à la rénovation des logements, qui peuvent désormais atteindre 90 % du montant des travaux, rares sont encore les foyers à se lancer. « Il reste 23 % de passoires thermiques », reconnaît Delphine Maisonneuve, évoquant les freins habituels : les faibles revenus des ménages, la méfiance face aux propositions, etc., « même si nous avons développé un bon réseau d'artisans labellisés », dit-elle. Et comment convaincre les habitants de se passer de leur voiture ? « Nous avons étudié de nombreux schémas, mais cela reste une vraie difficulté », explique Bernard Paineau. Le covoiturage pour les trajets domicile-travail ? « On essaie, mais les gens ont toujours soit un gamin à passer prendre à l'école, soit des courses à faire sur le trajet du retour », dit-il. Des navettes sur les itinéraires les plus fréquentés ? « Nous avons étudié un système de minibus de 9 à 12 places, qui passerait toutes les demi-heures : nous n'avions pas les moyens d'en financer le coût, estimé à 350.000 euros », poursuit-il. Sans soutien de l'Etat et de la Région, la 'com-com' n'aurait pas eu les moyens de développer tous ces projets. Bernard Paineau, président de la communauté de communes La « com-com » a finalement choisi de miser sur le vélo : location de vélos électriques, services de réparation, itinéraires sécurisés et signalétiques adaptés (avec non seulement le kilométrage, mais aussi le temps de trajet), points d'attache dédiés, et surtout nouveau réseau de plus de 7 kilomètres de pistes cyclables - qui doit être achevé en juillet 2025. « Nous avons ciblé en priorité les zones d'emplois et les établissements scolaires », indique Pierre Rambault, vice-président en charge de l'écologie. Objectif, passer à 9 % de part modale pour le vélo (comme au niveau national), contre 4 % aujourd'hui. LIRE AUSSI : « On n'est pas le Gosplan ! » : comment le gouvernement décline la planification écologique en région Ecologiste convaincue, Anne-Cécile Boulière n'a toutefois pas encore franchi le pas. « J'y ai réfléchi à plusieurs reprises », témoigne cette membre du mouvement Colibris, qui regroupe des citoyens actifs pour l'environnement. « Soit le trajet aurait été trop long (45 minutes, au lieu de 15 minutes en voiture), soit je n'aurais pas pu emmener mes enfants à l'école », explique-t-elle. Quant à la voiture électrique, elle est encore inabordable pour de nombreux ménages du territoire, où le revenu médian disponible ne dépasse pas 21.200 euros par foyer. Les élus locaux ne comptent pas baisser les bras, déterminés à poursuivre - avec enthousiasme - sur leur lancée. Encore faudra-t-il que les politiques publiques en faveur de la transition écologique suivent. « Sans soutien de l'Etat et de la Région, la 'com-com' n'aurait pas eu les moyens de développer tous ces projets », insiste Bernard Paineau.
Baisse des ventes, restructuration, divergences familiales : le déclin de l’empire Estée Lauder
Sur le papier, l'empire américain de la beauté Estée Lauder n'est pas prêt de vaciller. Le groupe, avec la marque éponyme, Clinique, La Mer ou le maquillage MAC, figure toujours au second rang mondial de la cosmétique après L'Oréal . L'entreprise new-yorkaise, fondée en 1946 par la fille d'immigrants juifs hongrois devenue pionnière de la beauté, est néanmoins confrontée à des difficultés sans précédent. Le déclin de ses performances financières s'accentue depuis deux ans et un cap symbolique est en passe d'être franchi : le 8 novembre, l'entreprise ne comptera plus aucun « Lauder » à des fonctions opérationnelles avec le départ, à 64 ans, de William P. Lauder, le petit-fils de la fondatrice. Jusque-là président exécutif du groupe, il est aussi le fils de Leonard Lauder qui a transformé la PME américaine en multinationale (130 pays). L'ambiance est décidément morose. Le cours de l'action plonge depuis janvier (en repli de 54 %) et désormais des dissensions entre héritiers apparaissent au grand jour. Ce n'est pas sans conséquences sur la gestion du géant des cosmétiques coté à Wall Street depuis 1996. Dans son ensemble, la famille Lauder détient environ 35 % d'actions du groupe, mais contrôle 80 % des droits de vote. A lui seul, Leonard demeure le premier actionnaire avec une part évaluée à 22 % du capital. La troisième génération quitte l'opérationnel « Nous sommes une famille en affaires, pas une entreprise familiale », a déclaré un jour Leonard, 91 ans, qui n'a quitté le conseil d'administration que l'an passé et en demeure le président émérite. Mais les affaires, en famille ou pas, peuvent parfois mal tourner. L'entreprise a récemment annoncé que Jane Lauder, 51 ans (la nièce de Leonard) quittera ses fonctions de responsable du marketing et des data d'ici à la fin de l'année. Un an plus tôt, elle avait pourtant été pressentie comme candidate sérieuse au poste de PDG. C'est un homme du sérail, Stéphane de La Faverie, qui a rejoint le groupe Lauder en 2011, qui prendra cette fonction au 1er janvier, a-t-on appris le 30 octobre. William P. Lauder et Jane Lauder, petits-enfants d'Estée Lauder, pionnière de la beauté aux Etats-Unis. Le premier a renoncé au rôle de PDG en 2009. La seconde en rêvait, mais a été évincée. Getty Images via AFP Son prédécesseur, Fabrizio Freda, 67 ans, se dirige vers la retraite après seize années d'activité dans l'entreprise, mais « assurera la transition » pendant quelques mois. Signe que, décidément, une page se tourne, la directrice financière est aussi récemment partie. Et Mark Loomis, patron de l'activité américaine et au service du groupe depuis vingt-huit ans, le quittera à la fin « de l'exercice 2025 ». La situation est assez paradoxale souligne un observateur. La troisième génération Lauder quitte l'opérationnel, mais reste très présente dans l'actionnariat et la gouvernance. Et si une héritière ambitieuse vient d'être évincée, il y a aussi William P. Lauder qui a, lui, refusé de conserver les commandes il y a quelques années. Désaccords en famille PDG depuis 2004, il passe finalement le relais en 2009 sur fond de frictions persistantes avec son père. « Une décision personnelle alors prise sans concertation, contraignant le groupe à recruter hors de la famille », estime un familier. « Diriger une entreprise cotée est une condamnation, mais diriger une entreprise cotée et familiale est une condamnation à perpétuité », avait déclaré William. C'est William P. qui a alors suggéré le nom de Freda pour prendre la relève. Cet ancien de Procter & Gamble avait fait savoir qu'il rêvait du poste. « Il a offert, en 2009, une solution à William P. qui lui est depuis redevable. Les deux hommes sont restés très proches », témoigne-t-on. William P. Lauder et Fabrizio Freda au New York Stock Exchange le 12 août 2010.Bloomberg Et quand, à 66 ans, Freda s'est approché de l'âge de la retraite, les débats ont été houleux, l'an dernier, au siège feutré de l'entreprise sur la très chic Cinquième Avenue. Contrairement à son père, William P. aurait souhaité que son allié reste un peu plus longtemps à bord en raison des turbulences traversées par le navire. C'est Freda qui a défini le plan de redressement visant à redynamiser les ventes et gonfler le bénéfice en restructurant la distribution, en écoulant les stocks d'invendus et en réduisant les effectifs… Ce fut un « conflit entre le duo William P. - Freda et Leonard ». Car comme dans la série à succès « Succession », diffusée sur HBO, le « patriarche » a ses marottes et n'en démord pas. Leonard louait, il y a encore quelques mois, une distribution à privilégier dans les grands magasins qui firent la gloire d'Estée Lauder. Toutefois, tous connaissent une baisse de fréquentation à quelques exceptions près. Mais à 91 ans, même s'il répète depuis des années qu'il « ne se mêle plus des affaires du groupe », il demeure une personnalité écoutée et respectée. Prévisions revues à a baisse Il était temps de réagir : depuis la pandémie, les revenus et les bénéfices ont plongé. Sur son dernier exercice clos au 30 juin, les ventes ont accusé un repli de 2 % à 15,6 milliards de dollars alors que L'Oréal brave le ralentissement de la demande. Le bénéfice net du géant américain est tombé sur cette période à 390 millions contre 1 milliard de dollars un an plus tôt. Une boutique Estée Lauder à Hong Kong.Sopa Images/SIPA Au cours du dernier trimestre , l'entreprise a blâmé l'atonie de la demande en Chine (20 % de ses revenus). Ses difficultés ne se limitent cependant pas à l'Asie. Les ventes en « duty free » (20 %), en chute libre, sont un lourd handicap. Le 31 octobre, l'entreprise new-yorkaise du groupe, qui a fait l'acquisition de la marque de prêt-à-porter Tom Ford pour 2,3 milliards de dollars en 2022, a annoncé, outre des résultats décevants , l'abandon de ses prévisions à l'horizon 2025 et sa décision de réduire le dividende… De quoi faire encore dévisser le titre. LIRE AUSSI : RECIT - Estée Lauder met la main sur Tom Ford pour 2,3 milliards de dollars Autre déconvenue majeure et beaucoup plus traumatisante pour la « dynastie Lauder » : ses marques ont aussi perdu de leur éclat dans son marché d'origine, les Etats-Unis, premier marché de la beauté. « C'est peut-être le plus grand choc pour le clan familial au-delà même du frein aux bénéfices que cela constitue », juge un observateur du groupe qui détient aussi les marques Tom Ford Beauty ou les parfums Jo Malone et Frédéric Malle… Ainsi, dans les « soins haut de gamme », l'entreprise s'est fait devancer en début d'année par L'Oréal passé en tête sur cette catégorie. Tout un symbole. Il manque un effet « Oh my God ! » Collectionneur d'art et mécène des musées Metropolitan Museum (MET) et Whitney Museum à New York, Leonard Lauder aime rappeler la méthode infaillible de son cadet, Ronald, également collectionneur et dont le premier achat à 13 ans fut une toile d'Egon Schiele. Pour ce dernier, face à une oeuvre d'art, « il y a trois effets possibles : le ‘‘Oh' , le ‘‘Oh my' et le ‘‘ Oh my God' ». Il préconise de ne céder qu'au troisième. L'effet « Oh my God », c'est peut-être ce qui manque aujourd'hui aux marques de cosmétiques de l'empire Lauder. « Les marques Estée Lauder et Clinique ont de très bons produits mais le groupe s'est fait doubler en raison d'erreurs commerciales et d'une approche marketing trop traditionnelle » note un expert. « C'est le premier géant en difficulté, mais cela pourrait arriver à d'autres », souligne Joël Hazan, directeur associé de BCG. LIRE AUSSI : RECIT - Fragilisé, Estée Lauder accélère le départ de son patron Avec des effets sur le patrimoine du clan Lauder. Selon les estimations du « Wall Street Journal », sa fortune aurait fondu de 15 milliards de dollars l'an passé. Charge au nouveau CEO, Stéphane de La Faverie, de retrouver la formule. Il a pour atout d'avoir dirigé la marque Estée Lauder et supervisé plus récemment des marques qui ont le vent en poupe comme The Ordinary chez Lauder. Il hérite cependant d'un plan de relance draconien et « il n'est pas certain d'avoir les coudées franches », note un analyste.
Electricité : la France s’apprête à battre son record historique d’exportation
La France devrait exporter 90 TWh d'électricité en Europe cette année. (Laurent Grandguillot/REA) Par Sharon Wajsbrot Publié le 7 nov. 2024 à 16:48Mis à jour le 7 nov. 2024 à 17:10 PREMIUM Votre abonnement Premium vous permet d'accéder à cet article L'hiver ne fait que commencer mais les chiffres sont déjà impressionnants. Depuis le début de l'année, la France a exporté 75 térawattheures (TWh) d'électricité vers ses voisins européens, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, le Benelux et dans une moindre mesure l'Espagne qui, avec ses grands champs solaires, bénéficie de prix encore plus attractifs que l'Hexagone. Ce score est tel que Marc Benayoun, le directeur exécutif d'EDF chargé du pôle Clients, Services et Territoires, estime que la France est en passe de battre tous ses records. « On attend autour de 90 TWh d'exportations d'électricité cette année », a expliqué ce dernier, à l'occasion d'une conférence de presse ce jeudi. Soit largement plus que le record historique de 77 TWh atteint il y a plus de vingt ans… en 2002. Une demande atone Pour EDF, cette performance traduit « le regain de production des centrales nucléaires » et « l'accélération des énergies renouvelables ». Cette année, le parc de 57 réacteurs du groupe devrait produire 340 à 360 TWh, un niveau encore en deçà des belles années mais largement supérieur à l'année 2022, qui avait été catastrophique. Ce score d'exportations exceptionnelles, EDF le doit aussi à l'écart de prix qui profite à la France, en matière d'électricité, sur les marchés de gros. Désormais et depuis la fin de la crise de production du nucléaire tricolore, les Français payent à nouveau leur électricité une quinzaine d'euros moins cher que les Allemands sur les marchés de gros. LIRE AUSSI : DECRYPTAGE - Data center : poussée de fièvre sur les demandes de raccordement au réseau électrique L'autre facteur qui pèse largement dans l'explosion de ce niveau d'exportations, c'est la faiblesse de la demande d'électricité en France. « Sur tous nos segments de clientèle, la demande est en baisse de 8 % à 10 % par rapport à avant la crise », explique Marc Benayoun, qui concède que le groupe EDF n'avait pas prévu que la demande se limite à 400 TWh en France cette année. C'est environ 10 % de ce qu'attendait le groupe en 2019 à cet horizon. Ruée des géants des data centers vers EDF Les raisons de ce coup de frein sont connues : ralentissement de la vente de véhicules électriques, réindustrialisation plus difficile qu'anticipé mais aussi pérennité des écogestes et des économies d'énergie. En dépit de ce contexte, EDF garde son cap. Il vise 150 TWh de consommations supplémentaires d'ici à 2035 en France, grâce d'abord à la demande des véhicules électriques mais aussi à celle des data centers et des industriels. Dans le détail, le groupe attend 70 TWh de demande supplémentaire liée au transport, 60 TWh issus de l'industrie et 20 à 30 TWh des centres de données, avec un vrai décollage des connexions au réseau « d'ici à 2028-2029 ». 150 TWh Les consommations électriques supplémentaires attendues par EDF d'ici à 2035 en France. « La demande électrique des data centers est en train d'exploser », confirme Marc Benayoun, qui explique discuter avec trois géants du secteur qui demandent la mise à disposition d'une puissance allant jusqu'à 1 GW pour un seul site « soit l'équivalent d'un réacteur nucléaire » par data center. C'est considérable et lié aux besoins de l'intelligence artificielle. A ce jour, la puissance moyenne d'un centre de données implanté en France oscille plutôt autour de 100 MW. De quoi mettre l'approvisionnement national sous tension ? Pas vraiment, estime EDF. « On a largement assez d'électricité pour approvisionner ce type de sites, la question clé c'est notre capacité à les raccorder très rapidement : pour ces sites il faut de la haute tension, ce sont donc des pylônes visibles dont l'installation implique des débats publics parfois trop longs aux yeux des acteurs internationaux », précise le dirigeant.
Quand l’IA aide la police à traquer la mafia italienne
« Suis l'argent et tu trouveras la mafia », répétait le juge Giovanni Falcone, assassiné en 1992 par Cosa Nostra . Pour les aider dans leur traque, les institutions italiennes ne disposent plus seulement du flair de leurs magistrats et policiers mais pourront bientôt compter sur l'intelligence artificielle : celle des algorithmes mis au point pour débusquer les accointances entre la criminalité organisée et les milieux économiques et politiques. Depuis la mort des célèbres juges anti-mafia Falcone et Borsellino il y a un peu plus de trente ans, près de 400 conseils municipaux ont été dissous pour infiltrations mafieuses. La corruption est un délit qui laisse bien peu de traces, à la différence des crimes et règlements de compte éclatants auxquels les mafieux ont de moins en moins recours. L'idée est ainsi venue à Gian Maria Campedelli, criminologue spécialisé en « machine learning » à la fondation Bruno Kessler, ainsi qu'aux économistes étudiant la criminalité organisée Marco Le Moglie et Gianmarco Daniele, d'utiliser l'IA pour anticiper les infiltrations mafieuses au sein des conseils municipaux, sans attendre le résultat de longues et complexes enquêtes. 200 algorithmes testés « Nous avons travaillé pendant deux ans sur un système avec des résultats prometteurs et encourageants, se félicite Gian Maria Campedelli, qui s'apprête à publier, avec ses collègues, un article scientifique sur leurs travaux. Nous avons recueilli 152.000 informations concernant plus de 90 % des communes italiennes entre 2001 et 2020 ». Initialement, seules les dépenses publiques étaient prises en compte mais des variables politiques ont été ajoutées comme le parti politique du maire, son genre, son niveau d'études, ou encore le score obtenu lors de son élection. LIRE AUSSI : ZOOM - Quand le FBI lance sa propre crypto pour piéger des manipulateurs de marché PRESSE ETRANGERE - La mafia italienne s'infiltre sur la Côte d'Azur « Ce sont autant de facteurs qui nous permettent d'affiner le risque d'infiltrations mafieuses, précise Gian Maria Campedelli. Nous avons confronté 200 algorithmes et celui que nous avons élaboré est le plus performant. Il indique dans plus de 90 % des cas les communes dont le conseil municipal a bien été dissous. » « Il y a enfin les cas des 'faux positifs', poursuit l'expert. Ils sont indiqués par l'algorithme comme étant infiltrés, mais s'avèrent, pour l'instant, ne pas l'être officiellement. On s'aperçoit que leurs caractéristiques sont très proches, ce qui ouvre de grandes perspectives pour anticiper et faciliter les enquêtes. » L'algorithme a déjà 80 % de chances de prédire les infiltrations mafieuses lorsqu'il est utilisé pour analyser des informations d'un conseil municipal deux ans avant sa dissolution. L'intérêt du monde économique Outre les autorités italiennes, qui devraient bientôt manifester publiquement leur intérêt pour cette technologie, « le monde économique pourrait également en tirer profit, considère Gian Maria Campedelli. Il sera plus facile par exemple pour une entreprise française qui souhaite investir en Italie de faire son choix dans la commune qui est la plus propice à l'accueillir ». L'utilisation de l'IA devient en effet un allié précieux dans la lutte contre la criminalité organisée. La mafia italienne n'opère évidemment pas uniquement dans les régions reculées et plus pauvres du Mezzogiorno. LIRE AUSSI : PRESSE ETRANGERE - Italie : comment la mafia a conquis les élites du pays Un long travail de recherche a été initié en 2014 par Antonio Parbonetti, professeur d'économie d'entreprise à l'université de Padoue. L'analyse de centaines de condamnations définitives pour appartenance à la mafia prononcées au nord et au centre de la péninsule lui a permis, avec l'aide de deux autres chercheurs, de mettre au point un outil prédictif capable « d'identifier, en termes de risque, la probabilité qu'une entreprise soit liée à une mafia ». Il est alimenté en continu par les données financières qui « dressent » l'algorithme à déceler la moindre anomalie ou incohérence dans les finances ou le fonctionnement : un chiffre d'affaires faisant un brusque bond par rapport au nombre d'employés à des administrateurs au passé trouble ou des changements de gestion fréquents. Interpol s'inspire de l'Italie Pour la seule Vénétie, l'un des poumons économiques italiens, 30.000 sociétés - soit 5 % à 7 % du tissu économique du pays - sont liées d'une manière ou d'une autre au crime organisé. Elles opèrent dans des secteurs traditionnellement à risque, comme le BTP, l'immobilier, l'industrie manufacturière ou encore la gestion des déchets. Interpol s'est d'ailleurs inspiré d'un logiciel similaire à celui de l'université de Padoue pour lancer I-Can, un programme de collaboration internationale contre la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise considérée comme la plus puissante du monde. Au total, treize pays - dont la France, l'Espagne, la Suisse et les Etats-Unis - ont rejoint l'Italie pour combattre son expansion hors de la botte. Le logiciel devrait atteindre son plein potentiel d'ici à l'an prochain devenant ainsi l'un des plus fins limiers de la police dans son combat contre le crime organisé.