Télévision : comment l’audiovisuel public belge pourrait inspirer la France
Tchac, tchac, tchac. En face du vieil immeuble de Bruxelles abritant tout l'audiovisuel public belge, les ouvriers s'activent pour construire les nouveaux locaux de la RTBF. Depuis les fenêtres du dédale de couloirs aux allures soviétiques, chacun peut voir son futur bureau. Ou plutôt son absence de bureau, puisque le bâtiment prévu en 2026 sera entièrement en open space, sans portes ni cloisons. « Y compris pour moi », précise Jean-Paul Philippot, l'administrateur général de la RTBF. Deux fois plus petit que l'actuel édifice, il est érigé en symbole de l'achèvement de la transformation de la RTBF, « avec l'objectif de multiplier encore plus les synergies ». Dans son grand espace entièrement vitré, où quiconque peut voir s'il reçoit des stars de l'audiovisuel, des personnalités politiques ou de simples collaborateurs, le grand patron de la RTBF en est convaincu : « On ne peut pas camper dans une forme de conservatisme organisationnel quand on est un média public. » Sa grande réforme entamée fin 2018 a profondément chamboulé le visage de l'audiovisuel francophone belge, en modifiant toute l'organisation. Six ans après, ce grand chambardement, lourd, quelquefois compliqué pour le personnel, semble porter ses fruits. Mêmes problématiques que l'audiovisuel français Un trajet de Thalys et le contraste saute aux yeux ! De l'autre côté de la frontière, le renouveau promis pour l'audiovisuel hexagonal est, lui, au point mort. Le projet de rapprochement entre France Télévisions et Radio France vient d'être avorté une fois de plus, avec la dissolution de l'Assemblée nationale. Et le flou demeure sur le futur financement du service public, l'actuel modèle reposant sur le transfert d'une fraction de la TVA n'étant, à ce stade, pas pérennisé. Même s'il n'est pas forcément érigé en parangon, le petit voisin belge est souvent vu comme un exemple de ce qu'il est possible de faire. Certes, la RTBF n'a pas l'envergure et la portée du modèle de la BBC, mais ses dirigeants sont régulièrement conviés par des parlementaires ou des groupes de travail pour expliquer son modèle. LIRE AUSSI : ANALYSE - Mais à quoi sert l'audiovisuel public ? Londres réfléchit à convertir la BBC en structure coopérative Car la RTBF est confrontée aux mêmes problématiques qu'en France : des questions sur l'organisation, sur le financement et sur son rôle même. « La Belgique a réussi à mener une réforme d'ampleur. Toute la question est de savoir si ce type de réorganisation serait possible à une plus grande échelle comme en France, où le service public est dix fois plus important en matière de budget », s'interroge Philippe Bailly, fondateur du cabinet NPA Conseil. La RTBF s'adresse, en effet, à un bassin limité de population : de 4 à 4,5 millions de personnes. Fini les silos entre télévision, média et Web Dans le plat pays, point de polémique sur la nécessité ou non de rassembler les médias. Exit les silos entre radio, télévision et numérique : depuis 2018, les collaborateurs ont commencé à être regroupés en deux pôles. Le premier baptisé « Contenus » crée et fait l'acquisition de contenus tandis que l'autre - appelé « Médias » - est chargé de l'analyse des publics, la valorisation des sujets et leur distribution. « On se pose toujours la question de quel public on veut toucher avant de déterminer quels canaux et on réfléchit aux synergies dès le départ », explique Xavier Huberland, directeur du pôle médias. Les auditeurs et téléspectateurs ont ainsi été répartis en quatre catégories : le grand public (« nous »), les jeunes adultes, les « passionnés » et, enfin, les nouvelles générations en quête de nouveautés. La grande réussite de la RTBF est d'avoir compris l'enjeu d'avoir une stratégie de distribution puissante multicanale. Pierre-Etienne Pommier Fondateur d'Arago « La grande réussite de la RTBF est d'avoir compris l'enjeu d'avoir une stratégie de distribution puissante multicanale, face aux plateformes numériques. Le groupe a, de fait, une offre plus réactive, ce qu'on voit moins en France dans le public », estime Pierre-Etienne Pommier, fondateur d'Arago, un outil de veille sur les médias et la politique, qui fut candidat - déchu - à la présidence de France Télévisions. C'est à la rédaction, dans un espace où les bureaux sont regroupés par grands domaines (international, économie, etc.), que le « multicasquette » est sans doute le plus visible. A la RTBF, un journaliste peut être spécialisé en politique par exemple mais ne va pas forcément travailler spécifiquement pour une seule radio ou télévision. « Pour l'actualité chaude, on envoie à la fois une équipe radio et télévision, mais pour des sujets plus froids, un même journaliste peut faire des sujets pour les différents médias, avec des angles différents, ajoute Aurélie Didier, directrice éditoriale adjointe de l'information. On a beaucoup formé les équipes. » A la clé, des économies en matière logistique notamment, et une « meilleure valorisation des compétences ». Un vrai contraste par rapport à l'Hexagone, où les tentatives de rapprochement entre France Télévisions et Radio France sont limitées et souvent freinées par les syndicats. Grand chamboule-tout Cette réorganisation s'est faite à marche forcée : pas moins de 90 % des cadres ont dû changer de métier depuis 2018-2019 ! Tous les managers, même confirmés, ont ainsi dû repostuler à de nouveaux postes, sans garantie d'obtenir ce qu'ils voulaient, avec souvent plusieurs concurrents. Des mois de réunion, des formations, des ateliers pour convaincre : un grand chamboule-tout, qui paraît bien radical vu d'ici. « En 2018, on a sauté sans élastique pour entamer une révolution, se souvient Jean-Paul Philippot, administrateur du groupe public depuis plus de vingt ans. Aujourd'hui, les hypothèses sur lesquelles on a fondé la réforme se sont confirmées : les modes de consommation se sont multipliés, d'où l'intérêt d'amplifier notre couverture éditoriale. » Avec des effectifs qui ont diminué de 8 % - aujourd'hui autour de 1.850 équivalents temps plein et un budget constant - « on a réussi à faire mieux », se félicite celui qui avait candidaté à la présidence de France Télévisions en 2020, finalement ravie par Delphine Ernotte. LIRE AUSSI : ANALYSE - Audiovisuel public : la petite révolution qui le protégerait d'une privatisation La RTBF, c'est aujourd'hui trois chaînes de télévision, dont la principale est la Une, qui affiche une audience de 19,8 % en 2023, devant RTL TVI (16,7 %) et la française TF1 (12,1 %), en Belgique francophone, selon Médiamétrie-Glance. Mais aussi, cinq radios, une plateforme de streaming (Auvio), un média digital, un espace « gaming »… « Elle a globalement une bonne image d'opérateur de service public. Pour autant, comme tous les groupes de service public, l'audience est vieillissante », explique Frédéric Antoine, professeur émérite de l'université de Louvain, spécialisé en économie des médias. Dans son bureau vitré, un grand tableau blanc où sont marquées les grandes échéances jusqu'en 2029 « pour avoir une vision de long terme », Jean-Paul Philippot égrène les chiffres et les succès depuis cinq ans : une part de marché augmentée de 2 points en télévision depuis 2019, une première place en radio avec une légère hausse, une plateforme de streaming comprenant quelque 4 millions d'inscrits, soit l'essentiel de la population, « juste derrière Netflix » en Wallonie-Bruxelles… LIRE AUSSI : INTERVIEW - Jean-Paul Philippot, : « Le modèle historique de séparation de la radio, de la télévision et du Web n'est plus viable » « Beaucoup de bla-bla pour pas grand-chose. La RTBF comme nombre de groupes audiovisuels publics n'ont pas réussi à gagner la vraie bataille : celle de l'attention, alors que le temps consacré à la télévision et la radio s'étiole un peu partout », fustige toutefois un bon connaisseur de l'audiovisuel. « La RTBF a été précurseur dans le rapprochement web-télévision-radio dans l'information et a fait des émissions pour les jeunes souvent avant tout le monde. Mais pour autant, on ne peut pas dire que c'est le modèle européen par excellence, en tout cas, il n'est pas au niveau des Scandinaves, qui ont réussi à se faire une place face aux plateformes », nuance Eric Scherer, directeur du News MediaLab et des affaires internationales de France Télévisions.
Le luxe succombe aux charmes de l’IA
Pour la troisième édition de son rapport annuel intitulé « Luxe et Technologie », le Comité Colbert, qui rassemble les Maisons de luxe françaises, a demandé au cabinet de conseil en stratégie Bain & Company de lui fournir un état des lieux précis du niveau d'adoption et d'acceptation des solutions d’intelligence artificielle dans son secteur.
Les règles CO2, cette nouvelle fracture entre Renault et Stellantis
Une fois n'est pas coutume, dans le duel à distance entre Carlos Tavares et Luca de Meo, c'est le premier qui joue le gentil. Habitué à endosser le costume du provocateur, le patron de Stellantis a, sur le sujet de la baisse des émissions de CO2, pris l'habit du bon élève. Une métamorphose récente. Quant au patron de Renault, Luca de Meo, il a adopté ces derniers mois la posture inverse, celle du contestataire. Il remet en cause la baisse de 15 % des émissions de CO2 demandée par l'Union européenne aux constructeurs en 2025. Ce qui passe par davantage de ventes de voitures électriques. « Un peu plus de souplesse » Le patron d'origine italienne se montre de plus en plus critique sur le sujet, à mesure qu'approche l'échéance de 2025. « Nous avons besoin d'un peu plus de souplesse dans le calendrier », déclarait-il dans nos colonnes en juillet. LIRE AUSSI : Décryptage - Voiture électrique : le coup de frein du marché pourrait coûter des milliards aux constructeurs automobiles En chiffres - Coup de mou sur les immatriculations de voitures neuves en août Egalement président de l'ACEA, l'Association des constructeurs européens d'automobiles, il brandit en outre le risque de 15 milliards d'euros d'amendes pour l'industrie automobile si les ventes d'électriques ne décollent pas et que les règles n'évoluent pas. En réalité, seuls Renault et Volkswagen sont en retard, donc en danger . L'opération Ampere Entre Carlos Tavares et Luca de Meo, les positions sur l'électrification étaient inversées il y a quelques mois encore. Jusqu'à la fin 2023, Luca de Meo lustrait la carrosserie d'Ampere , sa nouvelle entité consacrée à l'électrique, pour vendre aux investisseurs son introduction en Bourse. Pas question de dire, dans le contexte d'alors, qu'il faudrait repousser l'objectif de baisse des émissions de CO2 parce que les ventes d'électriques seraient insuffisantes. L'abandon de cette opération boursière, en janvier, semble avoir libéré la parole du patron du groupe au losange. A tel point qu'au printemps, à peine dévoilée sa prometteuse R5 électrique, il plaide pour un report des échéances d'électrification des ventes. La liberté de se déplacer Ne craignant pas de se contredire, il tente toutefois de rassurer des investisseurs de plus en plus inquiets sur les capacités de Renault à remplir ses obligations de baisse d'émissions. « S'il y a un constructeur qui peut atteindre ses résultats, c'est bien nous », martèle-t-il en présentant ses résultats semestriels fin juillet. Alors pourquoi réclamer un report ? LIRE AUSSI : Automobile : face au ralentissement de l'électrique, les constructeurs misent sur l'hybride Décryptage - Emissions de CO2, sécurité… Comment l'Europe influe déjà sur nos voitures Carlos Tavares, lui, a effectué un virage en épingle sur le véhicule électrique au cours des derniers mois. Jusqu'à peu, il ne masquait pas son désamour pour la voiture électrique. Et il brocardait volontiers l'interdiction des ventes de voitures neuves thermiques en Europe prévue pour 2035. Une atteinte à la liberté de se déplacer, arguait-il. L'électrique, c'est fantastique Depuis quelques mois, il ne veut plus rien changer. La voiture à batteries, c'est fantastique, glisse-t-il aux investisseurs. « Si vous roulez dans un de nos véhicules électriques, vous tomberez d'accord avec moi : ce sont de meilleures voitures, en termes de dynamique, de silence, bref, en tout point », a-t-il même plaidé devant les analystes rassemblés à Détroit en juin dernier. LIRE AUSSI : Automobile : l'écart se creuse entre les émissions de CO2 théoriques et la réalité Décryptage - Automobile : après deux ans de folie, les constructeurs freinent sur les prix En Europe, il ne veut pas voir remise en cause la baisse des émissions de CO2 de 15 % imposée par Bruxelles aux constructeurs dès 2025. « Ce que je demande, c'est de la stabilité, martèle-t-il dorénavant. Arrêtez de changer les règles, ou de laisser penser qu'elles pourraient changer. » Ne pas changer le programme Le bon élève ne veut pas modifier le programme qu'il bachote depuis des mois et des mois, au prétexte que les cancres n'ont pas révisé. Pour ne rien gâcher, la marche à franchir pour le groupe, du fait de son mix produit, est l'une des plus faciles à atteindre du secteur. Aujourd'hui, Stellantis proclame donc qu'il « s'est organisé pour délivrer la compliance avec les normes en 2025 sans recourir à l'achat de crédits CO2 ». Pour autant, le groupe n'en appelle pas moins les Etats à continuer de subventionner les achats de voitures électriques, encore chères. Un effort budgétaire « plus que jamais nécessaire ». Même les bons élèves ont parfois besoin d'un coup de pouce.
Les nouvelles promesses de la carte à puce
Ça tourne toujours à Gémenos ! Sur ce site industriel, près de Marseille, qui a vu grandir dans les années 1990 et 2000 la pépite française Gemplus - devenue Gemalto puis rachetée par Thales -, les bobines aux airs de cinéma du siècle dernier continuent de dérouler un film métallisé et les puces qu'il enveloppe. Comme des millions d'autres chaque année, elles viennent d'être assemblées. Après découpe, chacune d'entre elles deviendra l'élément central d'une carte bancaire. Le système est rodé depuis des années. Mais il ne faut pas se fier à ces bobines, devenues dans d'autres industries le symbole d'une époque révolue. Ici, cinquante ans après l'invention de la carte à puce par le Français Roland Moreno, et trente ans après sa première utilisation grand public pour les cartes prépayées des cabines téléphoniques, on travaille pour l'avenir, comme en témoignent les déambulations de ce robot cylindrique qui se promène d'un atelier à l'autre pour apporter aux techniciens fil d'or et autres matières premières. L'héritage de la carte à puce Le même type de puces fait maintenant partie intégrante des dernières générations de cartes d'identité et de passeports plus difficilement falsifiables. Ultra-sécurisés, ces petits rectangles de silicium sont désormais programmés pour résister à la puissance d'un ordinateur quantique, les ordinateurs du futur qui pourraient mettre à mal les algorithmes traditionnels de chiffrement des données d'ici vingt ans. LIRE AUSSI : Puces : l'européen ASML attaque les nouvelles sanctions envisagées contre la Chine « La carte à puce n'est pas morte », assure, depuis un laboratoire fourmillant de prototypes, Ali Zeamari, le responsable de l'innovation pour la branche Identité et Sécurité Numériques de Thales. Le groupe industriel spécialisé dans les systèmes critiques a racheté Gemalto en 2019 pour 4,8 milliards d'euros. Son pari est de voir la carte à puce se transformer tout en conservant son rôle fondamental d'authentification. Des opportunités existent, notamment dans le secteur de la cybersécurité. Thales s'y développe par ailleurs, avec le récent rachat de l'américain Imperva. « Le savoir-faire hérité de la carte à puce nous permet de protéger des données et des systèmes, par exemple un smartphone, ou même un lieu en repérant les drones non autorisés à le survoler », explique Philippe Vallée, l'ancien patron de Gemalto. Il dirige désormais l'activité pour Thales. Un marché mondial en croissance Après une mauvaise conjoncture en Europe et aux Etats-Unis à la fin des années 2010, le marché a repris un peu d'allure depuis, aidé par les pays émergents. Il se vend désormais plus de 9 milliards de cartes à puce par an d'après le cabinet ABI Research. Celui-ci prévoit un retour tout près de la barre des 10 milliards à l'horizon 2028. LIRE AUSSI : Apple, Samsung, Google : le match de l'IA dans les smartphones est lancé Le phénomène de numérisation des paiements et des télécoms a certes eu un impact sur le marché, mais il atteint désormais ses limites, selon les professionnels du secteur. « Sur le bancaire, il y a une digitalisation mais la carte se maintient. D'une part, c'est une solution de repli pour les cas où le smartphone n'aurait pas de batterie. D'autre part, les banques - y compris les banques en ligne - investissent dans l'objet pour créer un lien physique avec leurs clients », assure Amaanie Hakim, la vice-présidente innovation d'Idemia, concurrent français de Thales. Dans les télécoms, de nombreux opérateurs, par exemple en France, freinent des quatre fers contre l'arrivée de la carte SIM virtualisée (eSIM), par peur que sa simplicité d'activation permette à leurs clients de migrer plus facilement vers la concurrence. La carte à puce à l'ère du logiciel Mais pour les industriels du secteur, l'essentiel n'est plus seulement dans ces cartes à puces physiques. Contraints de se transformer, sous la pression des champions de la tech comme Apple, Google ou Stripe, ils ont développé de nouvelles activités mêlant la carte elle-même avec des services sous forme de logiciels. Alors que certains opérateurs télécoms prennent le pli de commercialiser des eSIM et que le paiement mobile gagne du terrain, les fabricants se muent en fournisseurs d'un élément sécurisé physique pour les marques de smartphone. Cette puce, puisqu'il s'agit toujours de cela, est ensuite intégrée dans l'appareil pour y jouer son rôle d'authentification. Depuis la position stratégique du smartphone, la puce sécurisée peut ensuite être utilisée dans une myriade d'applications. La sécurité de l'intelligence artificielle, de l'Internet des objets et de la voiture connectée passera en partie par la carte à puce.
Les confidences du bureau d’études d’Airbus sur les futurs avions et hélicoptères à batterie
L'aviation et l'automobile ont au moins un enjeu technologique en commun : les batteries. Si les avions de ligne 100 % électrique ne sont pas pour demain, la propulsion hybride, associant un moteur thermique à des moteurs électriques alimentés par des batteries, semble la piste la plus prometteuse pour des avions régionaux à faible émission de CO2. Les batteries sont aussi le point de passage obligé des aéronefs interurbains et même des futurs hélicoptères. Mais plus encore que pour l'automobile, les batteries restent la principale limitation technologique à l'électrification de l'aviation, du fait de leur puissance limitée et de leur poids. A titre d'exemple, 150 tonnes de batteries actuelles seraient nécessaires pour faire décoller un Airbus A320 de 150 passagers, dont la masse maximale au décollage est de 68 tonnes. A cela s'ajoute un risque d'explosion ou d'incendie, en cas d'emballement thermique. La batterie n'est pas un composant aéronautique « Les batteries font partie des briques technologiques nécessaires pour aller vers la neutralité carbone, mais en l'état actuel, la batterie n'est pas un composant aéronautique, souligne Karim Mokaddem, directeur de la stratégie hybride et électrique du groupe Airbus. Contrairement à l'automobile, on ne peut pas compenser l'effet négatif de la masse de la batterie sur la consommation en récupérant de l'énergie au freinage. On ne peut pas non plus s'arrêter sur la bande d'arrêt d'urgence en cas d'emballement thermique. Le point de dimensionnement est donc plus difficile à trouver. » Face à ce double défi de la densité énergétique et de la sécurité posé par les batteries, Airbus s'est mis très tôt au travail. Le premier projet d'avion à propulsion électrique, l'E-fan, remonte à 2011. Le projet a été stoppé en 2017, quand il est apparu clairement qu'une propulsion 100 % électrique pour le transport aérien n'était pas réaliste. Mais depuis, le groupe a clarifié sa feuille de route, en faisant le tri entre le possible et le rêve. Si une propulsion électrique reste hors de portée, même pour le plus petit des Airbus, le groupe a identifié plusieurs cas d'usage, qui intéressent aussi bien l'avionneur Airbus que la division défense et spatial et Airbus Helicopters. Une feuille de route et des cas d'usage Parmi les pistes explorées, c'est l'hélicoptère qui offrirait le plus de possibilités à l'électrification. « Nous avons démontré l'intérêt d'embarquer des batteries [couplées à un moteur électrique d'appoint dans nos hélicoptères, NDLR], soit pour atterrir en sécurité en cas de défaillance du moteur thermique, soit pour réduire la consommation à certaines phases de vol à travers l'hybridation, explique Karim Mokaddem. On peut atteindre jusqu'à 15 % de réduction de la consommation de carburant. » LIRE AUSSI : Le portrait-robot du premier avion décarboné se précise Les projets d'avions électriques évoluent tous vers des solutions hybrides Mais l'avion n'a pas été oublié, avec la campagne d'essais, de juin 2023 à l'été 2024, d'un petit avion à propulsion hybride « distribuée », l'Ecopulse, développé avec Daher et Safran, qui associe six petits moteurs électriques Safran placés le long des ailes à un moteur thermique. « Ce premier démonstrateur nous a permis de mieux comprendre les problèmes posés par l'utilisation et la certification de batteries telles qu'elles existent aujourd'hui, mais utilisées à une tension beaucoup plus forte, de 800 volts. Soit près de huit fois le niveau de tension des avions actuels, précise Karim Mokaddem. Nous sommes parvenus à un consensus sur ce niveau de 800 volts, qui répondrait aux besoins des petits avions et des hélicoptères. » Les gros avions aussi, peuvent en bénéficier Quant aux gros avions, s'ils ne voleront pas de sitôt à l'électricité, les études ont permis de dégager quelques pistes intéressantes. « Nous avons revu notre approche, en étudiant le dimensionnement de batteries pour des besoins non propulsifs, comme l'air conditionné. Mais aussi pour aider le moteur thermique pendant les phases de transition durant lesquelles son efficacité n'est pas optimisée, poursuit le directeur d'Airbus. Nous avons travaillé le sujet avec nos motoristes pour aboutir à une zone de design qui permettrait de réduire la consommation d'un A320 d'environ 5 %. » Tous ces cas d'usage nécessitent toutefois d'atteindre les spécifications techniques requises pour les batteries. Airbus n'a pas vocation à fabriquer des batteries, mais il a néanmoins constitué une équipe d'une cinquantaine d'ingénieurs, au sein d'Airbus Defence and Space, qui fait office de « centre de référence » pour l'ensemble du groupe. A eux d'étudier et de tester des batteries susceptibles d'équiper, demain, des satellites, des hélicoptères, des taxis volants ou des avions Airbus.
Sur le plateau de Saclay, l’ébauche d’une « ville post-carbone »
Les grands concepts impliquent aussi des actions très concrètes. Au sud de Paris, sur l'immense plateau de Saclay, l'établissement public chargé d'aménager un territoire qui abrite beaucoup de matière grise comme de terres fertiles, va tester le traitement des urines de 20.000 personnes - habitants et usagers - pour en faire de l'engrais agricole. C'est là, explique l' EPA Paris-Saclay , la première marche d'une ambition de taille : « faire la ville post-carbone ». L'expérimentation aura lieu dans le futur quartier de Corbeville, à Orsay, dans l'Essonne : un réseau de collecte des urines séparé et une unité de traitement (un système à trois bacs d'hygiénisation et un passage sur charbon actif) vont être construits. Le dispositif peut récupérer 10.000 mètres cubes de liquide par an et les transformer en produit près à l'emploi pour les champs, « une innovation encore inédite à l'échelle internationale », assure Paris-Saclay. A l'origine du projet, il y a « la bonne rencontre, qui nous a décidés à nous lancer », raconte Martin Guespereau, à la tête de l'EPA depuis un an . Celle d'un agriculteur, voisin direct au nord du site, qui était intéressé, convaincu que cette forme chimique d'azote et de phosphore est mieux assimilable par la plante que les engrais classiques. Logiquement, il devrait être le premier client à monter dans cette opération. « Et, comme il est sur place, ce sera un circuit ultracourt », souligne Martin Guespereau. Nombreux défis Ce passage à l'échelle est intéressant industriellement - pour prouver la faisabilité -, mais surtout économiquement, poursuit-il. Car les eaux usées de ce territoire vont à des dizaines de kilomètres, jusqu'à la station d'épuration de Valenton, dans le Val-de-Marne, qui est aujourd'hui peu ou prou à sa capacité nominale. Les urines étant ce qu'il y a de plus cher à traiter (la dénitrification est très énergivore), la baisse des volumes serait donc bienvenue. L'agence de l'eau suit ça de près : c'est enfin une démonstration à une échelle de quartier, nécessaire pour voir si le système pourrait éventuellement être généralisé. Mais les défis sont nombreux : ménages comme responsables des bâtiments devront, par exemple, accepter de modifier leur comportement, notamment renoncer aux produits lavants habituels, trop agressifs. Par ailleurs, pour qu'il puisse être développé à grande échelle, le nouvel engrais devra idéalement sortir à un prix inférieur à ceux des produits existants. « Nous allons apprendre en marchant, lance Martin Guespereau. Personne n'a fait si grand que nous ». LIRE AUSSI : Paris-Saclay teste l'aménagement « agro-urbain » (2022) Après deux ans d'incubation, d'autres actions ont été lancées. L'EPA veut également réutiliser les eaux usées traitées dans les logements : l'idée est que les eaux « grises » de douche et de cuisine servent pour les toilettes et les lave-linge. Le test se fait cette fois-ci à l'échelle d'un bâtiment, un ensemble de 200 logements (600 habitants) à Corbeville, afin de s'assurer de la sécurité sanitaire, et en lien avec l'Agence régionale de Santé. Le directeur de Paris -Saclay connaît le sujet sur le bout des doigts pour avoir dirigé l'ex -Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail. « De nombreux autres pays l'ont fait ». Paris-Saclay compte aussi réfléchir à l'utilisation de ses propres terres de chantier, qui sont « très bonnes », assure son directeur général. L'objectif est de faire émerger une filière de construction en terre crue. En parallèle, il pousse chercheurs, étudiants et agriculteurs à monter des projets communs au sein d'une « lisière agricole expérimentale » sur six hectares. Histoire aussi de créer du lien. Le coût de ces opérations de « transformation écologique de la ville » a été évalué à 13,5 millions d'euros. Des investissements qui sont financés à hauteur de 5,4 millions par la Banque des Territoires via son programme « Démonstrateurs de la ville durable » dont Paris-Saclay est lauréat. « Nous sommes mariés dans notre histoire au métro de la ligne 18, à la mobilité décarbonée donc, rappelle Martin Guespereau. Par conséquent, nous voulons que la ville aussi soit décarbonée ».
Sensible aux enjeux climatiques, Michel Barnier est attendu au tournant sur la transition écologique
L'ONG Génération futures a de son côté rappelé qu'il « avait su résister aux pressions » en tant que ministre de l'Agriculture, notamment sur les pesticides, et qu'il avait été le premier à ouvrir le ministère aux associations. Il avait aussi placé l'écologie parmi ses thèmes de prédilection, lors de la campagne des primaires LR en 2021, au risque de se voir moquer par sa famille politique. « Michel, c'est cui-cui les petits oiseaux », ricanaient certains, comme l'a rapporté « Le Monde » . LIRE AUSSI : ZOOM - Retraites, impôts, emploi : ce que proposait Michel Barnier lors des primaires de LR en 2021 La question de ses positions actuelles n'en reste pas moins ouverte. « Il s'est peu exprimé récemment sur la transition écologique, hormis pour critiquer l'éolien », s'inquiète Anne Bringault, du réseau Action climat. Signal toutefois, le nouveau locataire de Matignon a assuré lors de sa passation de pouvoirs avec Gabriel Attal ce jeudi qu'« on attend d'un Premier ministre qu'il dise la vérité sur la dette financière et la dette écologique. » Alors que la planification écologique relève désormais directement de Matignon, Michel Barnier trouvera sur son bureau un énorme travail, réalisé par le Secrétariat général de la planification écologique (SGPE), et entamé en 2022 à l'époque où Emmanuel Macron affirmait « mon quinquennat sera écologique, ou ne sera pas ». LIRE AUSSI : DECRYPTAGE - Législatives 2024 : la planification écologique en suspens DECRYPTAGE - L'avenir en suspens du plan d'adaptation au changement climatique Le SGPE a défini des trajectoires de mix énergétique et de décarbonation par secteur, une stratégie pour la biodiversité, un plan pour l'adaptation de la France au réchauffement climatique. Avec, en ligne de mire, le respect de l'objectif européen d'une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, et la neutralité carbone en 2050. Portage politique Le processus a toutefois été brutalement suspendu avec la dissolution. « Est-ce que Michel Barnier se sentira tenu par ce qui a été fait ? , s'interroge Benoît Leguet, directeur de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). Les services de l'Etat ont travaillé, ce travail n'a pas vraiment de couleur politique. Il serait dommage de le jeter. » Essentiellement technique, le travail du SGPE n'a toutefois de valeur que s'il trouve maintenant un portage politique. Quelle place pour le nucléaire, pour les énergies renouvelables ? Quelles aides et incitations à la rénovation énergétique des bâtiments, le verdissement du parc automobile, la décarbonation de l'industrie lourde ? Le nouveau gouvernement devra se positionner rapidement. La crise climatique et environnementale n'a pas disparu Sébastien Treyer Directeur de l'Iddri En particulier, dès le budget 2025. Alors qu'Elisabeth Borne avait été relativement volontariste, ayant débloqué 7 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la transition écologique dans le budget 2024, Gabriel Attal s'est, lui, montré beaucoup plus attentiste. Ces crédits ont été amputés de plus de 2 milliards d'euros, à l'occasion du premier plan d'économies budgétaires annoncé en février (de 10 milliards). Et la « lettre plafond » envoyée il y a quelques jours au ministère de la Transition écologique, au titre du budget 2025 « réversible », prévoit de nouveaux coups de rabots importants. « On est très inquiets », avance Anne Bringault. LIRE AUSSI : DECRYPTAGE - Budget 2025 : le projet de Gabriel Attal prévoit de nouvelles coupes pour la transition écologique « La crise climatique et environnementale n'a pas disparu, insiste de son côté le directeur de l'Iddri, Sébastien Treyer. De manière urgente, une première bonne décision serait d'annuler les baisses de crédits du Fonds vert et de l'Ademe découvertes dans les derniers documents budgétaires. » La suite sera tout aussi importante. Plusieurs documents programmatiques, nécessaires pour inscrire dans le marbre les trajectoires envisagées, et prêts depuis l'automne , attendent toujours d'être publiés : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la stratégie nationale bas carbone (SNBC), le plan national d'adaptation au réchauffement climatique (PNACC)… Financements pluriannuels « Les acteurs économiques, dans les renouvelables ou le nucléaire par exemple, en ont besoin d'urgence, pour engager des investissements et recruter ! De même que les particuliers qui doivent s'endetter pour rénover leur logement », avance Géraud Guibert, président de la Fabrique écologique. Enfin, derrière les trajectoires, se pose la question des moyens financiers dans la durée. « Le Trésor et le SGPE ont travaillé à une stratégie pluriannuelle de financement pour la transition : que deviendra-t-elle ? », insiste Benoît Leguet. En mai 2023, le rapport Pisani-Mahfouz estimait que la transition nécessiterait 66 milliards d'euros annuels supplémentaires à l'horizon 2030, dont 25 à 34 milliards de dépenses publiques.
Anemos, le plus grand voilier-cargo moderne, fait entrer le transport maritime dans une nouvelle ère
Une nouvelle étape du renouveau du transport de marchandises à la voile vient d'être franchie. Le navire Anemos de l'entreprise bretonne Towt a achevé mardi son premier voyage, entre Le Havre et New York, avec plus de 1.000 tonnes de marchandises à bord. Ce bateau de 81 m de long, le plus grand voilier-cargo de l'ère moderne, a mis dix-huit jours pour traverser l'Atlantique et arriver à destination. Ce premier voyage a été « un peu compliqué », a concédé le capitaine, Hadrien Busson. « Nous améliorons le positionnement des voiles », a-t-il expliqué. Sept autres navires similaires Fondée en 2011, la compagnie Towt est aujourd'hui le premier transporteur français de marchandises à la voile. « Nous étions chargés à plein sur cette traversée et la demande est soutenue », se félicite Guillaume Le Grand, président de Towt. A bord, on trouve notamment du champagne, du cognac et de la confiture. Anemos va maintenant rallier Santa Marta, en Colombie, avant de revenir au Havre, les cales pleines. Environ une douzaine d'allers-retours sont prévus chaque année au départ du Havre. LIRE AUSSI : En Bretagne, Grain de Sail voit plus grand pour son cargo à voiles Le cargo hybride d'Alizés toutes voiles dehors pour transporter Ariane 6 VIDEO - Les cargos sont-ils à l'aube d'une révolution maritime ? Sept autres navires du même type ont déjà été commandés aux chantiers Piriou de Concarneau, dans le Finistère, une partie des bateaux étant construite sur ses sites en Roumanie et au Vietnam. L'entreprise indique que l'ensemble de la flotte devrait être opérationnel d'ici 2027. La soeur jumelle d'Anemos, Artemis , doit s'élancer ce mercredi du Vietnam pour son voyage inaugural.
Climat : l’été 2024 a été le plus chaud jamais enregistré sur la planète
Le dérèglement climatique lié aux activité humaines continue, implacablement, son oeuvre mortifère. L'été 2024 a été le plus chaud jamais mesuré sur la planète. De juin à août, l'hémisphère nord a enregistré la température moyenne mondiale la plus élevée jamais mesurée, battant déjà le record de 2023, a annoncé l'observatoire européen Copernicus. En 2024, la planète a ainsi connu les mois de juin et août les plus chauds jamais mesurés, et la journée la plus chaude . « Cette série de records augmente la probabilité que 2024 soit l'année la plus chaude jamais enregistrée », là aussi devant 2023, s'alarme Samantha Burgess, cheffe adjointe du service changement climatique (C3S) de Copernicus, dans son bulletin mensuel. Des émissions toujours élevées de gaz à effet de serre Des pays comme l'Espagne, le Japon, l'Australie (en hiver) et la Chine ont annoncé cette semaine avoir mesuré des niveaux de chaleur historiques pour un mois d'août. Les « phénomènes extrêmes observés cet été ne vont faire que s'intensifier, avec des conséquences dévastatrices pour les peuples et la planète, à moins que nous prenions des mesures urgentes pour réduire les gaz à effet de serre », a encore mis en garde Samantha Burgess. LIRE AUSSI : ENQUÊTE - Climat : la dernière bataille des vignerons pour sauver la filière DECRYPTAGE - Catastrophes naturelles : bras de fer en vue sur les prix de la réassurance L'humanité, qui émettait environ 57,4 milliards de tonnes d'équivalent CO2 en 2022 selon l'ONU, n'a pas encore commencé à réduire sa pollution carbone. Mais la Chine, premier pollueur devant les Etats-Unis, se rapproche de son pic d'émission , construisant deux fois plus de capacités dans l'éolien et le solaire que le reste du monde. Un dérèglement climatique qui tue En attendant, les fléaux climatiques se succèdent sur tous les continents. Au moins 1.300 personnes sont mortes sous la canicule lors du pèlerinage de la Mecque en juin. Dans l'ouest américain, les incendies ont fait rage après plusieurs canicules qui ont asséché la végétation depuis juin et entraîné la mort de plusieurs personnes ; Las Vegas a connu en juillet un mercure de 48,9 °C record. Au Maroc, une brutale canicule a fait 21 morts en 24 heures fin juillet dans le centre du pays, en proie à sa sixième année consécutive de sécheresse. Mais les bilans complets mettent du temps : une étude publiée mi-août a dévoilé pour l'Europe une estimation de 30.000 à 65.000 morts , principalement chez les plus âgés, en raison de la chaleur en 2023. En Asie, le typhon Gaemi , qui a tué en juillet des dizaines de personnes et dévasté des régions aux Philippines et en Chine, a été accentué par le réchauffement climatique, a confirmé une étude publiée dès août. Au Niger, pays sahélien désertique très fragilisé par le changement climatique, les inondations en juillet ont fait au moins 53 morts et 18.000 sinistrés. Le seuil de + 1,5 °C battu Août 2024 s'est conclu avec une température moyenne mondiale de 16,82 °C selon Copernicus, soit 1,51 °C plus chaud que le climat moyen préindustriel (1850-1900), autrement dit au-dessus du seuil de 1,5 °C, objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris de 2015. Ce seuil emblématique a déjà été battu sur treize des quatorze derniers mois, selon Copernicus, pour qui les douze derniers mois ont été en moyenne 1,64 °C plus chauds qu'à l'ère préindustrielle .