Maintenant, attaquons-nous à la nouvelle marotte des innovateurs de tous poils qui veulent remettre « l’humain au centre ». Mais au centre de quoi ?

Le design thinking, disions-nous, revêt l’habit du designer et se targue d’entrer en empathie avec sa cible. Par ailleurs, il s’agirait d’une méthode dite « collaborative », impliquant à la fois l’extérieur (les clients), et l’intérieur (les collaborateurs de l’entreprise). Cette saine alliance produirait une réaction en chaîne vertueuse pour tous, d’où sans doute l’expression « remettre l’humain au centre » ou « human centric ». Seulement voilà, comme nous venons de l’expliquer, tout dépend de ce qu’on appelle un homme car en réalité, l’homme n’est au centre de rien.

Difficile de dire s’il s’agit là d’une réminiscence toute judéo-chrétienne pour qui l’homme pourrait être appréhendé comme un être hors-sol pouvant dominer son environnement et disposer de la nature selon ses besoins, car force est de constater que, depuis lors, l’humanité a un peu avancé. Darwin l’avait déjà montré en 1859 : chaque être organisé tend à se déployer et à se multiplier autant qu’il le peut, dans les limites que lui imposent son milieu (depuis 1935, on dit « écosystème » (2)). Spinoza aussi : « l’homme n’est pas un empire dans un empire », en d’autres termes, nous ne sommes pas « à part » mais bien liés à la nature et déterminés par elle. L’homme n’est pas plus au centre de quoi que ce soit que la terre n’est au centre de l’univers. Corolaire : penser l’homme « au centre » est le meilleur moyen de viser à côté de ses besoins réels. Ce que la plupart des innovateurs mettent au centre, c’est un client, et c’est très différent.

Dès lors, il convient de saisir que le terme « human centric » exprime une vision de l’Homme parmi d’autres. En l’occurrence, un individu à l’intérieur d’une certaine économie de marché qui considère encore très mal les notions de « milieu », « d’écosystème », etc. Darwin et Spinoza auraient probablement donné un tout autre sens à la formule.

Le designer, un manipulateur manipulé ?
Que doit-on en conclure ? Que la vision du designer, aussi pure soit-elle, est toujours déterminée par un cadre idéologique, inscrite dans un temps et soumise à des intérêts plus ou moins conscientisés. En témoignent les nombreuses citations de Steve Jobs qui parsèment la littérature propre au design thinking. Oui, Steve Jobs était ce génie du design, oui, ses produits ont fait pâlir d’envie bon nombre d’entre nous. Dans quelle mesure peut-on qualifier sa démarche « human-centric » ? Doit-on faire l’impasse sur les modes de management internes ou chez les prestataires tels que Foxconn dont certains « salariés » se sont suicidés en se jetant par les fenêtres (3) ? Peut-on passer outre les externalités écologiques ahurissantes qui font peser des risques inconsidérés à la planète entière ? Que penser du modèle économique d’iTunes ? Des architectures verrouillées des systèmes d’exploitation propres à la marque ? Quelle est la vision de l’Homme défendue ici ?

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