Le continent est celui qui compte le plus de cheffes d’entreprise. Elles se lancent par manque d’emplois salariés, mais aussi pour faire avancer leur communauté et leur société.
Par Maryline Baumard Publié hier à 17h30, mis à jour hier à 17h42
C’est un proverbe baoulé qu’on se répète entre femmes, sourire entendu. La locution, imagée comme il faut, rappelle que « les poules savent quand le jour se lève, mais elles laissent le soin aux coqs de l’annoncer »… A Marrakech, au forum Women in Africa (WIA), qui consacre les 54 femmes entrepreneuses de l’année, on adore ce bon mot.
En 2019, elles étaient 500, de ces femmes qui œuvrent en silence au développement de l’Afrique, à avoir fait le déplacement au WIA, monté par celle qui a déjà inventé le Women’s Forum, Aude de Thuin. L’événement veut leur offrir un petit coup de projecteur et un réseau mondial au féminin afin que ces Africaines pleines d’idées et d’élan trouvent les moyens de leur créativité pour faire avancer leur continent.
Un travail mené en 2018 par Anne Bioulac, partenaire associée chez Roland Berger, a montré que si les femmes représentent la moitié de la population africaine et produisent 62 % des biens économiques du continent, elles ne sont que 8,5 % à être salariées. Face à la difficulté à trouver un emploi, elles ont décidé de réagir et sont devenues des serial-entrepreneuses, dans l’informel d’abord. Une histoire déjà ancienne. « La formidable puissance économique et sociale des femmes africaines distingue ce continent du reste du monde. Leur présence massive dans le secteur informel et la production de biens alimentaires font d’elles des agents économiques de premier plan, que l’émergence d’une société civile conduit de plus en plus à s’organiser », analysait la philosophe Sylvie Brunel dans un article intitulé « La femme africaine : bête de somme… ou superwoman », publié dès 2005 dans le hors-série « Femmes, combats et débats » de la revue Sciences humaines.
Réponse aux défaillances des Etats
Mais l’Afrique a son propre rapport au temps, plus précoce que la vieille Europe sur certains points, en allant tout de même à son pas.
Cette activité féminine informelle, cachée depuis des décennies, est en train de s’imposer sur le devant de la scène. Aujourd’hui, « l’Afrique est le continent qui compte le plus de femmes entrepreneuses : elles représentent 24 % des chefs d’entreprise, quatre fois plus qu’en Europe et deux fois plus qu’en Amérique », rappelle Anne Bioulac.
L’analyste a voulu, cette année, interroger leurs motivations profondes. Ses résultats cassent l’idée reçue selon laquelle la femme africaine entreprendrait « seulement » par manque d’emplois salariés disponibles. Au contraire, « elles créent des entreprises parce qu’elles ont une idée pour faire avancer la société, améliorer la vie de leur entourage », quand les hommes, eux, se lancent d’abord pour « devenir indépendants », résume la chercheuse qui tire ces informations d’un vaste sondage mené auprès de 1 200 femmes du continent. D’un sexe à l’autre, le ressort de la création d’entreprise sur le continent le plus jeune de la planète serait donc différent.
Autre enseignement, l’entreprise au féminin s’intéresse plus souvent à l’éducation ou à l’agriculture qu’à la « tech ». Et peu importe si les secteurs qu’elles choisissent permettent de faire moins de marge financière. Les femmes africaines veulent agir dans les secteurs qui ont besoin d’elles. La sociologue burkinabée Félicia Bilgho a justement analysé dans sa thèse comment « le rôle de gestion communautaire de la femme, perçu bien souvent comme une extension de sa fonction domestique, prend en Afrique une dimension contextuelle de réponse à la défaillance de l’Etat – accentuée par les vagues des programmes d’ajustement structurel [du FMI] – dans des secteurs essentiels tels que la santé ? l’éducation, l’alphabétisation ». Une approche qui était vraie hier dans le monde de l’informel et se confirme de plus en plus souvent avec les entreprises formelles.
L’Histoire en marche
Evidemment, le fait de se focaliser sur ces secteurs en grand besoin plus que sur des marchés porteurs type différemment les entreprises de femmes et rend plus difficile leur financement. L’étude de Mme Bioulac montre qu’« une sur deux se lance avec de la “love money”, c’est-à-dire de l’argent prêté par des proches, quand ce n’est le cas que d’un homme sur quatre ».
La mise en réseau intercontinental, voulue par la fondatrice du WIA, la serial-entrepreneuse Aude de Thuin, a vocation à aider ces jeunes femmes à être financées autrement, grâce aux compétences qu’elles acquièrent dans ce réseau et à la visibilité offerte par la sélection du WIA. « Plus encore quand on sait que 1 800 d’entre elles ont postulé et que nous n’en prenons que 54, soit autant que de pays africains », résume Aude de Thuin.
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