« Le but des autorités aujourd’hui, c’est d’accaparer les terres de 250 millions de paysans… C’est vraiment la fin du monde rural chinois »
Aujourd’hui, ce phénomène d’expropriation/urbanisation est en train de s’étendre partout. Depuis 2006, les autorités ont imaginé une nouvelle politique, déployée depuis 2010, qui consiste à construire des « nouveaux villages socialistes ». C’est ce qu’ils appellent de la petite urbanisation. Leur but, c’est d’accaparer les terres de 250 millions de paysans comme ça… Ça veut dire que c’est vraiment la fin du monde rural chinois.
Dans le discours officiel, les autorités prétendent faire de Guanzhou une « île écologique », et ouvrir ainsi « une nouvelle ère »…
L’argument écologique qui justifie l’urbanisation de Guanzhou est une manière de contourner les lois de protection des terres. Normalement, au-delà d’une certaine superficie de terres agricoles, il faut passer par le Bureau national de la gestion des terres pour exproprier. À Guanzhou, les autorités locales ont prétendu que le village n’était pas sur des terres agricoles, mais dans un parc forestier et fruitier. Ils ont appelé ça le « Parc aux 10 000 arbres » et ont brodé un projet de parc écologique et de centre de recherche médicinal pour exproprier les villageois sans passer par le bureau national, et donc sans les indemniser à la hauteur de ce qu’ils étaient en droit d’attendre. J’ai observé des détournements du même type dans plein d’autres villages de Chine.
Comme beaucoup d’autres territoires agricoles urbanisés, Guanzhou était pleinement écologique avant ce projet. C’était une île sans pont ni tunnel, et donc sans voitures, un écosystème préservé dans lequel une grande variété d’oiseaux venait trouver refuge. Les agriculteurs avaient créé des systèmes hyper ingénieux de bassins de rétention des eaux et de puits, et ils connaissaient leur terroir par cœur : ils savaient à quel endroit la terre était plus acide, à quel endroit l’eau s’écoulait le mieux, là où le pH était le meilleur, etc.
Pourtant, aujourd’hui, on connaît la valeur de l’agroécologie et de la permaculture pour construire des sociétés durables. La Chine n’est-elle pas en train de mettre en danger sa souveraineté alimentaire et la santé de sa population ?
Les autorités auraient pu accompagner les paysans pour faire grandir l’agriculture bio et responsable, et la Chine aurait pu devenir la championne du monde de la permaculture. Ils avaient tout pour le faire : des petites parcelles agricoles, une main d’œuvre abondante et impliquée au niveau local, des systèmes d’irrigation naturels millénaires… Mais tout ça est en train de disparaître au profit d’une urbanisation massive et d’un modèle agricole fait de mécanisation et d’intensification. Le maître mot, c’est « faire du PIB ».
Les conséquences, on les connaît : il y a quinze ans, 85 % des sources d’eau potable étaient déjà polluées. À 100 kilomètres à la ronde autour de Pékin, toutes les nappes phréatiques sont souillées. Pendant longtemps, la Chine ne s’est pas posée de question, parce qu’elle voyaitla vie rurale comme synonyme de pauvreté, et l’urbanisation comme une manière d’en sortir. Aujourd’hui, les autorités s’inquiètent davantage de la souveraineté alimentaire, mais elles pensent que l’agriculture intensive est la solution. C’est la raison pour laquelle elles continuent de détruire les villages, qui sont remplacés par de grandes superficies agricoles fondées sur la monoculture et de mécanisation.
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