C’est l’histoire d’une start-up qui, comme tant d’autres, a l’idée d’émettre des NFT. Fairplayer doit vendre des jetons aux fans de petits clubs de sport pour les aider à se financer et à animer leur communauté. Intention louable. Comme dans le financement participatif, les soutiens ont une contrepartie : accès aux joueurs et goodies. Seulement, le flou sur le statut juridique des NFT l’en dissuade. Ses avocats craignent une requalification à venir qui lui serait mortelle.

Alors que le grand raout Virtuality Web3 Summit 2023 se déroule ce vendredi à Paris, l’écosystème des NFT, de la crypto et de la blockchain clame être entré dans une phase de construction, devant tourner la page de la spéculation de 2021 et du début 2022. Mais la réglementation de ce jeune secteur est, elle aussi, en construction. Entre le tour de vis de l’Autorité des marchés financiers (AMF) à la suite du crash de FTX, et en attendant le règlement européen MiCA en 2024, les start-up du Web3 ne savent pas toujours à quel saint se vouer.

Des projets Web3 sans NFT
Le PSG a peut-être ses NFT, comme d’autres clubs de foot dans le monde, mais Fairplayer préfère jouer la prudence. « Nos avocats nous ont conseillé de les éviter car, lorsqu’on en émet et qu’on assure les échanges sur le marché secondaire, il faut s’enregistrer comme prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) », rapporte Rémi Gilliot, cofondateur du start-up studio Lab-0x, qui accompagne la start-up.
La procédure est beaucoup trop lourde et apparaît, aux yeux des fondateurs, surdimensionnée pour une initiative avant tout marketing. « Cela demanderait de procéder à une identification des utilisateurs ( KYC ), ce qui serait trop dissuasif pour juste accéder aux loges des joueurs », pointe Rémi Gilliot, qui s’interroge sur le degré de conformité avec la loi de certains clubs. Du coup, la start-up accompagnée par une structure Web3 … n’utilise même pas de blockchain et recourt à des contrats classiques, tout en planchant sur un modèle hybride utilisant des NFT.

Clubs de sport et immobilier tokenisé
Le Rugby club toulonnais, lui, a lancé ses NFT en janvier. Créés en marque blanche par le site Tailor, ils sont la propriété du club. Mais ni l’un ni l’autre n’est enregistré PSAN. Les jetons sont gratuits et servent à emporter un souvenir du stade. D’autres sont à 5 euros et « donnent des avantages exceptionnels ». La somme, modique, ne sert pas à lever des fonds ni à spéculer.
« Nous avons été transparents sur le process et acculturé les équipes », souligne Karen Jouve, fondatrice du cabinet Doors3, qui a cadré ce projet. Pour elle, il faut distinguer « les activations marketing et les tokens à logique financière ». Se voulant rassurante, elle dit rester attentive. Les NFT immobiliers sont aussi concernés. Le français Wincity affiche, en gros sur son site, qu’« une candidature à l’enregistrement PSAN est en cours, une première dans l’immobilier NFT ».

Un cadre juridique assez clair en France
Derrière leurs trois lettres, les NFT cachent une multitude de fonctions qui demandent aux avocats-conseils une étude au cas par cas. Selon leur destination, ils peuvent être qualifiés d’actifs numériques, d’instruments financiers ou (c’est plus rare) de monnaie numérique. Ils entrent alors dans le champ de l’AMF. Lorsqu’ils sont par exemple employés par des marques comme outils marketing , ils sont des biens immatériels encadrés par le code de la consommation.

L’article L222-16-2 stipule ainsi que « toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la publicité, directe ou indirecte, en faveur de services sur actifs numériques ». « C’est pour cette raison que certaines opérations menées dans le cadre d’activités sportives ont dû rétropédaler », pointe Franck Guiader, chez Gide.
« Une série de facteurs aident à déterminer si un NFT est un actif numérique ou un instrument réglementé : s’il est édité en grande série ou pas, s’il est échangeable, ou s’il donne accès à des prérogatives au-delà de l’image à laquelle il est associé », explique Matthieu Lucchesi, chez Gide. Pour lui, « le marché s’organise autour de cela » et « les start-up ne vont pas au casse-pipe si elles sont bien préparées », même s’il voit que « certains projets doivent pivoter ».

Réglementer des épées magiques
Le numéro un français du secteur, Arianee, propose aux marques (notamment de luxe) d’associer un NFT à un produit, comme une montre, afin qu’il fasse office de preuve de propriété. Ces jetons-là ne sont pas commercialisés ni revendables sur le marché secondaire. Son émetteur reste donc bien loin d’une requalification – lourde et coûteuse – en PSAN.

« Comme dans toute situation de rupture, il faut accepter que ce ne soit pas simple », pointe Frédéric Montagnon, cofondateur d’Arianee. Mais pour celui qui est aussi membre actif du lobby des cryptos Adan, « les entrepreneurs doivent aussi accepter de mener le débat, et représenter leurs cas d’usage, alors que des règles trop mouvantes risquent d’étouffer l’innovation ».

Quoi qu’il en soit, les avocats ne voient pas la réglementation imposer aux NFT de tous devenir des actifs numériques. L’AMF, qui est déjà réputée débordée par les demandes d’enregistrement PSAN, « n’a pas vocation à réglementer des jetons d’épées magiques dans des jeux vidéo ».

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