Où en sont les grandes écoles, cinquante ans après la création de leur association, dont la vocation était, après mai 1968, de promouvoir un modèle de formation plus proche des entreprises ? Pour la Conférence des grandes écoles (CGE), les défis sont nombreux. L’association prépare d’ailleurs un appel à projets pour « imaginer les grandes écoles du futur », a annoncé lundi son président Laurent Champaney, candidat à un deuxième mandat.

Dans les débats qui se sont tenus lundi, lors d’un colloque anniversaire à la Cité internationale universitaire de Paris, « l’excellence » a souvent été mise en avant. Que recouvre-t-elle aujourd’hui, alors que les grandes écoles sont régulièrement pointées du doigt pour leur manque de diversité sociale ?

La sélectivité « fait peur »
« Quels que soient les efforts que l’on fait, la proportion de vrais boursiers n’est pas du tout importante, regrette Pierre Mathiot, à la tête de Sciences Po Lille. La très grande sélectivité est synonyme d’attractivité, mais elle fait peur aux candidats de milieux populaires et c’est dommage, car ceux qui entrent réussissent aussi bien. » Il faudrait que tous les élèves boursiers soient accompagnés, dès la quatrième, par un établissement d’enseignement supérieur, plaide-t-il.
Les classes préparatoires installées en région sont souvent présentées comme un réservoir de diversité. Encore faut-il y « recruter » assez d’élèves, insiste le président de l’association des proviseurs de lycées de classes préparatoires, Joël Bianco, qui évoque le « tassement » des effectifs de certaines prépas. Dans la filière économique et commerciale (ECG), après un projet de réforme avorté, on s’attend d’ailleurs à des fermetures de classes. « Le ministère ne peut pas continuer à financer des classes de dix élèves », admet la directrice générale d’une grande école.

« Repenser le modèle »
La relation avec les entreprises doit aussi évoluer, selon Sanaa Nahla. La responsable des relations académiques d’Engie appelle à « repenser le modèle des grandes écoles pour qu’il soit calqué sur le modèle anglo-saxon ». Le système français « fonctionne trop en silos », juge-t-elle, en citant les écoles de commerce d’un côté, les écoles d’ingénieur de l’autre, et les universités.
Elle dénonce la tendance de certaines entreprises à ne recruter que des profils issus des grandes écoles qui caracolent en tête des classements. A Engie, avant son arrivée, ceux qui n’étaient pas passés par l’une de ces grandes écoles n’accédaient pas aux postes de direction les plus prestigieux, explique-t-elle, au motif qu’« ils n’avaient que l’université dans leur cursus ». « L’université offre des cursus excellents et des profils qu’on recherche », poursuit-elle, en expliquant aussi avoir imposé le recrutement de salariés issus de grandes écoles moins prestigieuses.

LES CHIFFRES CLEFS
12 % d’étudiants à l’entrée des grandes écoles
sont d’anciens boursiers du secondaire
56 % des grandes écoles
déploient des programmes favorisant la diversité sociale des étudiants lors du recrutement et de l’admission.

« Personne n’est vraiment contre la diversité, même si certains recrutent toujours les mêmes, admet Anne-Sophie Barthez, numéro deux du ministère de l’Enseignement supérieur. Il n’y a d’excellence que s’il y a de la diversité, encore faut-il que les employeurs regardent autre chose que les diplômes et la marque de l’école. »
A charge aussi, pour les grandes écoles, d’« enseigner la capacité à accueillir des gens différents », insiste Benoît Serre, DRH de L’Oréal. Et de glisser : « On récupère parfois des jeunes avec de super diplômes mais qui ne savent rien faire et voudraient nous expliquer comment définir la stratégie », alors qu’ils devraient « commencer par écouter et apprendre à faire ».
Pour alimenter la diversité, Sanaa Nahla appelle les grandes écoles à « se mettre davantage à l’apprentissage ». « Le problème, c’est le financement », rétorque Laurent Champaney qui suggère aux entreprises de « payer plus », en posant « la question des coûts contrat et des restes à charge ».

« Réformer les concours pour tout le monde »
Un autre défi de taille est celui de l’image. Les grandes écoles sont trop souvent associées à l’idée de « faire de l’argent », déplore-t-il, en précisant que « les deux tiers des écoles de la CGE sont publiques et les autres, non publiques, sont à but non lucratif. »
Il faut « clarifier la notion d’établissement privé lucratif », approuve Anne-Sophie Barthez, qui entend le faire aussi pour l’offre d’enseignement supérieur. « Plus personne ne comprend rien de ce qui est public, privé et des promesses qui figurent derrière chaque diplôme », ajoute-t-elle en y voyant un moyen de « lutter contre l’autocensure ».
Pour accéder aux grandes écoles, elle suggère aussi de « réformer les concours pour tout le monde », au lieu d’avoir des boursiers « stigmatisés par les points bonus ». Si on parlait de compétences, tous les élèves étiquetés comme « divers » seraient meilleurs, assure-t-elle. « On ne peut pas dire que les compétences sont importantes et puis, au moment de sélectionner, ne regarder que les notes et juger sur la seule capacité des élèves à faire des équations mathématiques. »

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